Magazine Journal intime

Par où commencer ? Pas nécessairement par le début... ou peut-être que c’est ça le commencement !

Publié le 20 novembre 2009 par Suzywong
Depuis un an, y’a la maladie du pater, un grand tsunami dans la vie de ma mère, une p’tite tempête dans la mienne. Après tout, sa démence n’a pas changé grand-chose. Selon moi, il a toujours été dément. Toutefois, je dois tout de même avouer que son intelligence, il l’a perdue au bloc opératoire quand il s’est cassé une hanche. Depuis, il n’a pas retrouvé ses esprits. D'entrée, on nous a dit qu’il faisait un délirium. Peu de temps après, on nous a appris qu’il faisait de la démence vasculaire et que son cerveau était troué tel un gruyère. La question que je me pose : est-il né avec cette maladie ou l’a-t-il vraiment acquis à la suite de son AVC ? Pour moi, c’est clair qu’il n’a jamais eu toute sa tête.

Je me sens coupable. Pourquoi ? Parce que cette image de mon père affaibli, aux gestes gauches et répétés, au corps frêle, m’apaise. Enfin, je sais que tout s’achèvera six pieds sous terre. Pas quand moi y serai, mais plutôt quand le pater mangera des pissenlits par la racine. Je sais, ce que je viens d’écrire est épouvantable. Je n’en reviens pas moi-même. Disons que je ne m’en vante pas. D’ailleurs, pour mon entourage, je suis quasiment une mère Theresa avec mon géniteur. Pire, même mon géniteur s’est mis à m'idolâtrer.  Pas besoin de me le chanter, si l’enfer existe, je vais assurément y croupir. Mais peut-être que non. Après tout, je reste une fille dévouée. Je vais lui couper les cheveux tous les mois, lui achète ses bébelles qu’il aime manger, paie quelques comptes... Aussi, je m’organise pour qu’il rigole, sourit et oublie les minutes qui passent et se ressemblent désormais toutes pour lui. Je l’aide à se relever quand il tombe, je fais même le pitre pour qu’il n’angoisse pas. Parfois, j’ai même un peu d’attendrissement à le voir ainsi diminué et je me mets presque à apprécier cette naissante relation père-fille.  Mais évidemment, ça ne dure pas longtemps. Dare-dare, je me rappelle…
Je me rappelle mes frères, moi, petits animaux traqués à coups de ceinture, de tapette à mouches, de mil objets inusités, tremblotants devant la furie paternelle. J’arrive aussi à me souvenir qu’une fois l’avalanche passée, on profitait de l’accalmie pour vivre presque heureux. Après tout, comme nous palabrait la mater, nous étions chanceux. Nous, on ne végétait pas entassés dans un bloc de logements. Effectivement, nous on croupissait anxieux dans une maison pas suffisamment grande pour nous échapper d’une bonne claque sur la gueule.
Ah ! S’il s’était contenté de m’administrer des volées, la terre, sous mes pieds, aux jours d’aujourd’hui, ne serait pas entrouverte. Je ne me sentirais pas m'enliser dans une rage étouffée. Je ne m’en voudrais pas à mort de l’avoir laissé faire. Quand il a empoigné la gorge de l’un de mes frères pour presque l’étouffer à mort, j’aurais dû le tuer. Quand il nous rabaissait avec ses phrases meurtrières, qu’il traitait ma mère de gros éléphant, qu’il nous humiliait jusqu’à ce que je veuille m’exploser la cervelle, j’aurais dû le descendre.  Anyway, au Québec, un jeune, ça ne finit pas au pénitencier. Anyway, le passé étant le passé, laissons-le derrière et cheminons. Oublions cette mère qu’on avait, détachée, invisible, qui préférait croire qu’on avait besoin davantage d’un toit que d’être élevé comme du monde. Pardonnons à cette mère qui a su et qui n’a rien foutu. Aimons-la quand même.
Mon père au tempérament volcanique, ma mère à la nature automate ; longtemps, ai pensé qu’ils avaient saboté ma vie entière.  Mais lorsque j’ai eu l’âge de ne plus m'encombrer de parents, j’avais alors 16 ans pile et un premier trimestre de cinquième secondaire, j’ai compris que j’étais aux commandes de mon destin.  Du moins, suffisamment pour en être l’unique responsable.  Le rêve récurrent que je faisais, à ce moment précis, s’est envolé aux oubliettes.  Quel était-il ?  Notre maison pleine de monde et, dans celle-ci, des gens appartenant à la famille maternelle, du voisinage, des inconnus, tous endimanchés en noir, causant, souhaitant leurs sympathies à ma mère et lui disant combien c’était triste que je sois emportée si jeune.  Eh oui !  Tout au long de ma puberté, m’éteindre, c’était mon rêve.  

Aujourd’hui, jour après jour, depuis un an et quatre mois, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ma mère s'emploie à veiller sur le pater.  Et en la contemplant s’en occuper aussi bien, même si ça m’exaspère un peu de la voir s’éteindre à petit feu pour lui, ça me réconcilie un brin avec ma jeune jeunesse.  Ainsi, je sais qu’elle l’aimait vraiment et qu’elle n’en était pas juste dépendante. Qu’elle n’a pas sacrifié nos trois enfances uniquement pour des murs de briques couleur roussâtre.  Qu’au moins, nous avons été abandonnés pour un sentiment noble, même si c’était pour cet amour fou envers un con qui n’en valait pas une miette.


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