Magazine Journal intime

MAYA ORIPEAU : la cyclopéenne

Publié le 22 novembre 2009 par Suzywong
Nous pouvons jeter des pierres,
nous plaindre d'elles,
trébucher dessus, les escalader,
ou les utiliser pour construire
-Wiliam Arthur Ward
Elle est une loque, tout s’est écroulé. Le gars qui disait l’aimer l’a trahie, quoiqu’il ne se souvienne plus de rien, ne la reconnaît d’ailleurs même plus, encore que ça ne l’empêche pas de lui dire pareil qu’il l’aime. Mais quand même bien il lui mâchouille son amour, il n’est pas celui qu’elle croyait et, de toute manière, c’est avec le regard désert qu’il lui proclame son bon sentiment. À cet instant précis, soit à l’heure des mots gaufrés d’un véritable culte pour elle, si elle avait des fusils à la place des yeux, elle le criblerait de balles tellement elle a de la peine à les ouïr. À chaque fois, elle en perd tous ses moyens, mais réussit tant bien que mal à agir comme si de rien n’était, car après tout elle espère toujours qu’il se remémore…
Pendant son assoupissement là-bas on ne sait où quelque part entre la vie et la mort, elle a tout inhibé : sa frustration, sa rage, son ânerie de n’avoir jamais vu ces petites lumières rouges qui auraient dû s’allumer. Quand elle était trop sur le bord de culbuter dans la rancœur, elle se pacifiait les nerfs en se radotant qu’elle aurait préféré ne jamais avoir su et continuer à ne pas savoir. Cependant, maintenant qu’il s’est ressuscité, qu’elle a assimilé qu’il n’est pas et ne sera en aucun cas en mesure de mettre des points sur les "I", qu’à tous ses "réveille-matin" il s’éveillera pour la première fois, que son "aujourd'hui" disparaît aussi vite que neige au soleil de printemps, qu’il émettra continûment les mêmes vocables et qu’elle lui répondra toujours les mêmes répliques, elle a envie d’appuyer sur le piton off . Pas qu’elle veuille vraiment mourir mais juste qu’elle ne voit pas comment continuer à vivre, d’autant plus que sa raison bat de l’aile de plus en plus à force de passer au peigne fin son histoire avec lui.
De la sorte, parce qu'elle ne veut pas continuer à végéter dans une telle tourmente, elle sait qu'il faut qu’elle fasse un choix : continuera-t-elle comme étant Maya la loque ou préférablement comme Maya la vivace? Elle se donne dix jours pour y penser…
Dix jours
Maya déraisonne. Déraille complètement dès qu’elle entreprend de se raisonner. Il n’y a rien à faire, pense-elle. D’ailleurs, elle en a rien à faire d’être en train de devenir cinglée, d’autant plus qu’elle est présentement dans l’aile de l’urgence psychiatrique parmi d’autres désespérés qui, comme elle, ont également échoué leur suicide. Plus sardonique encore, elle qui n’en peut plus de respirer sa "dépression" dans ses pénates parce que chez elle sa cousine paranoïaque et histrionique y vit, elle partage actuellement son oxygène avec une bonne vingtaine de psychotiques, de traîne-misère héroïnomanes et de va-nu-pieds schizophrènes. Quelle flamboyante idée elle a eu de gober des tonnes de narcotiques et après coup d'aller héler les secours! Pas géniale, mais quelle bonne idée tout de même pour parvenir enfin à s’échapper du train-train quotidien qui l’emmenait depuis soixante-neuf jours passer vingt heures par jour en traumatologie.
Elle passe dans chacun de ses jours comme une ombre, et ce n’est même pas le simulacre d’elle-même. Quoiqu’il en soit, elle ferait peur à un fantôme si elle en croisait un. Par les temps qui courent, inapte de prolonger la jérémiade, de durer son cœur devenu trop dense, elle s’étale avec le sourire sur sa civière et se tape des Sudoku en attendant sa promenade journalière chez le psychiatre et la tournée de Celexa. Il n’y a plus d’amour-propre derrière ce petit nez retroussé, zéro d’elle dans cette chair qui inhale encore la vie. Que le vide. Un désintéressement soudain et plutôt désarmant de tout ce qui la concerne. Elle se croit déjà morte en ce moment. Ainsi, flâner parmi les délirants, tous encore plus hallucinés que la cousine laissée à l’appartement, elle en badine presque. Disons que son humour luciférien ne l’a pas émigrée et c’est sans contredit ce qui la sauve d’une "vraie" asthénie. Eh oui! On ne lui aura pas diagnostiqué de folie ou de dépression chez elle, juste une "petite" déprime situationnelle. En gros, son geste désespéré est considéré légitime vu les conditions dans lesquelles elle se trouve. Ce sont deux psychiatres qui l'ont écrit!
La vie continue
L’astre luit l’été lorsqu’elle déloge l’hosto. Maya, elle, chatoie telle une chandelle sur sa fin... comparaison vite erronée, parce qu’elle retombera sitôt sur ses pattes moins d’une semaine après son incartade; un peu grâce à ses amis, mais bien davantage à cause de son grand désir d’expérimenter une fois de plus le sentiment amoureux et de devenir maman avant ses quarante printemps. Sa vie continue, mais à présent "s’existera" Maya différemment.
Un décrassage s'impose. Par conséquent, la cousine prend le bord, l’assommé itou. Évidemment, ceci ne s’est pas fait en un seul jour. Toutefois, il n’en a pas fallu beaucoup plus. Trois clartés à somnoler, un après-dîner à guetter le gazon pousser, un crépuscule à hululer au ciel son abyssale incompréhension vis-à-vis la vie et le ménage a été fait au grand complet.
Aux jours d'aujourd'hui
Maya Oripeau qui fut Maya Force-De-La-Nature est désormais Maya Tout-Court. Aux jours d’aujourd’hui, son existence est précisément comme elle l’avait toujours ambitionnée. Soit moins de trois mois après avoir attenté à ses jours, elle dort toutes les nuits en cuiller avec un chum et ouït la souffleuse matineuse d’un zélé voisin qui nidifie « LA » banlieue dortoir.
À croire qu’il était nécessaire de respirer la tragédie avec un grand «T» pour éprouver après le bonheur total. À croire qu’il fallait d’abord qu’elle sanglote un bien-aimé endommagé et oublieux de ses quatre dernières années pour arriver à l’homme de sa vie dans sa vie. À croire que malgré la peine eue, passer automatiquement par Maelströmville pour accéder à la qualité de vie qu’elle a actuellement, si c’en était la clause ultime pour apprécier son homme aux mirettes bleues qui partage dorénavant sa couchette, elle y adhérerait. Son récent passé est manifestement le prix qu’elle devait verser pour ce qu’elle a maintenant. Pas si cher déboursé, finalement…
*
Amour, elle ne l’avait pas vu venir avec ses grands sabots. D’ailleurs, comment l’aurait-elle aperçu, elle qui venait tout juste de réussir à se sortir la tête de l’eau? Elle n'est pas encore engrossée, mais sont enfin rassemblés les ingrédients pour que la recette se concocte un de ces jours pas trop lointains. Un miracle, se dit-elle, car avec le sentiment amoureux, Maya a d’ordinaire un pied sur l’accélérateur et un autre sur le frein. Ordinairement, elle a un cœur courtaud dans la tête et une tête géante au cœur qui font des pieds et des mains pour lui calmer vite le pompon. Ainsi, ça prend toujours un temps fou avant d'aboutir quelque part, ne serait-ce qu'à un long baiser langoureux. Mais avec cette histoire-ci, sans l’ombre d’un doute c’est dans la poche... Sauf s'il s'assommait contre une énorme bibitte à bois sur une autoroute ou que des ailerons lui poussaient soudainement dans le dos.

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