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Un bandana rouge pour soigner le complexe d'imposture

Publié le 23 novembre 2009 par Georgesf

Je suis rentré d'Ozoir-la-Ferrière tout heureux, mais tourmenté.
Tout heureux car ce fut une belle journée pour mon Ulysse : il porte très bien le bandana rouge, cela lui donne un petit air de pirate débarquant en conquérant dans les salons du livre.
Tout heureux aussi pour moi ; je n'ai jamais aimé pleurer sur mes bonheurs. Les jurées qui avaient élu mon livre ont eu des mots stimulants pour un auteur. L'organisation était aimable, détendue sans être bordélique, efficace sans être adjutantesque. Véronique Genest, qui m'a remis le prix, n'a pas besoin de se forcer pour être sympa (moi aussi, mais mon décolleté est moins enchanteur). Mon éditrice, Anne Carrière, m'a fait la douceur de venir me soutenir (oui, des éditeurs comme ça, c'est rare mais ça existe, faites-le savoir). Le maire d'Ozoir a fait un bon et bref discours, en tenantdes propos pertinents sur la nouvelle. J'en ai rarement entendu dans la bouche des politiques : à l'époque des concours de nouvelles pour amateurs, j'ai bénéficié de merveilleuses et buresques envolées, où maires-adjoints et présidents de conseils régionaux nous expliquaient, doctement, à nous auteurs, ce que devait être une bonne nouvelle, et comment nous devions nous y prendre pour en accoucher. Rien de tout ça hier : ambiance détendue, bon enfant. Jusqu'au bout, et même ensuite, pour une dernière rencontre chez l'organisateur (merci encore pour les endives au crabe).
Pour une fois, j'ai passé une journée d'auteur en rteprésentation sans me demander "Qu'est-ce que je fiche ici ?"

Assez curieusement, je me pose rarement cette question dès que je viens chercher des honneurs et des coups d'encensoir. J'ai un pathétique besoin d'être reconnu, célébré, et peut-être simplement aimé. Un besoin dont je connais très bien le ressort : je nourris, en tant qu'auteur, un lourd complexe d'imposture.
Je n'ai pas fait d'études littéraires, je n'ai jamais rêvé d'être auteur, j'ai commencé à écrire par hasard, en été 2002, pour occuper des vacances où le vélo m'était interdit à cause d'un accident de scooter. J'ai commencé à participer, sans y croire, aux concours de nouvelles. C'est là que j'ai eu le bonheur de rencontrer d'autres amateurs, devenus de vieux et chers amis. Mais la plus forte rencontre fut ce complexe d'imposture qui commença à poindre.
J'ai cru qu'il allait se résoudre quand j'ai commencé à publier, en 2004. Ce fut pire encore : dans les premiers salons, je croisais des auteurs qui, à 20 ans, avaient déjà écrit leurs premiers romans. D'autres qui avaient pleuré des années pour avoir le droit d'être édité. Je me souviens de l'un d'eux qui n'eut droit à son nom sur la couverture qu'à son septième roman. Vous imaginez ? L'amour de l'écriture, la confiance en son talent qu'il faut avoir pour persister ? La littérature, ça se mérite, il faut lui consentir quelques sacrifices.
Je n'avais pas d'états de service à faire valoir, il était évident que j'étais là par erreur. Une faute de jugement d'Anne Carrière qui avait eu la faiblesse  de me donner ma chance. Et les quelques bonnes critiques obtenues ne pouivaient être que du copinage. Imposteur, imposteur, j'avais l'impression de lire ce leitmotiv en filigrane.
Sans doute est-ce pour cela que j'apprécie tant les prix littéraires. Le bonheur que j'ai à les recevoir m'est étrange, je ne me reconnais plus : dans ma carrière de créatif publicitaire, j'ai obtenu une jolie moisson de prix et trophées. Je ne suis jamais allé les chercher, on ne m'a jamais vu monter sur une estrade. Cela me paraissait dérisoire, puéril.
Et soudain je découvre le bonheur de respirer les vapeurs de l'encens, d'écouter les trompettes. Est-ce parce que je me sens glorifié ? Peut-être, je ne crois pas. C'est surtout parce, sur le moment, j'ai l'impression qu'on me chuchote "Bien sûr que tu es un imposteur. Mais on te pardonne."
Cela dit, je dois tout avouer : chaque fois que je rentre, tout faraud, avec le petit bandana rouge sur l'un de mes rejetons, je me sens encore plus imposteur.  La seule solution, c''est d'écrire pour ne plus y penser. D'ailleurs j'y retourne.


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