Retour au silence

Publié le 24 novembre 2009 par Thywanek
Vaste main aux fenêtres orangées, comme un front engoncé sous l’éponge du ciel.
De là-haut pendent des versatiles au bout de leur fils, indécis immobiles.
Dedans filent des vestibules à travers les pendules vernaculaires.
Il se conte des ailes mortes, écailles en quelque sorte, de dépouilles au delà des portes.
L’origine et le bout du chemin ont versé de part et d’autre d’une île d’eau.
Une fête penchée aux craintes paresseuses hante autour d’un feu soporifique une robe d’alcool aux cristaux inclinés.
Les impers perpétués accrochés aux patères dans une entrée de bronze au battant statique.
Il se tire des soies aux coins des chambres, par grâce décolorée, inhabitées.
Les mots remplacent leur absence et leur absence les remplace. Ils sont devenus peu. Presque rien. Sablier à perte.
Sur le toit, autour des murs, c’est une houle aux amples plis qui rassemble le dehors dans un col d’horizons mouvants, remonté jusqu’aux arbres.
Les ultimes efforts s’apaisent. A l’intérieur. On ne se défera pas d’un peu de boue aux semelles. On apprivoise la plainte alentour.
C’est la dernière case allumée comme une fibule vive qui retient tous les pans des terres endormies. C’est un dernier regard qui retient entre eux les voyages pensifs, par les pointes de leurs amarres qui plongent dans les doutes, dans les distances, dans les incohérences, dans les hypothèses, que les profondeurs retenues font peu à peu se taire.
Et c’est lui qui s’avance alors.
Et s’élève. Et monte. Depuis des jours. Feutrant les dallages. Couvrant les murs. Lui, beau, calme, solennel et simple. Lui, d’un encensoir bienveillant qui irise la vue sur tout objet posée. Lui, dormant de son éveil si souvent contrarié. Lui, si souvent dans un coin, guettant les sarabandes des voix, les agitations, les effusions, les élancements, les déperditions. Ou qui attend, aussi. La fin de l’amour. Le désert au soleil. L’épuisement des cœurs et des énervements. La floraison sensible et les cruautés de sa croissance. Lui qui tente à l’ennui de rendre ses marées, ses jusants, ses grèves exposées aux quatre points d’où naissent des puits que l’on croit vide parce qu’on ne sait y écouter.
Lui, d’après les corps aimés, les corps aimants, les corps embrassés, les corps explorés, et puis agrippés, confondus, exhalants, bruissants de souffles et de peau, et s’épuisant, hagards, à relire le plaisir pour qu’il en demeure, en lui, par lui, lui d’après l’insatiable éphémère.
Lui, famélique d’après les guerres. Lui, agonisant de froid dans les blessures et les déchiquètements. Enfanté par tant d’âges oubliés et commémorés. Assassin sans couteau des paroles cosmétiques. Et les mains dans les poches qui caresse la patience jusqu’à ce que son tour vienne. Car il vient. Toujours. Son tour de faiseur, lisse et glacé, de gêne plantée dans des pointes de chaussures. Son tour de passe-passe où on peut encore prendre des reflets grimaçants pour des sourires de tranquillité.
Lui, d’après la plaisanterie. Mulot narquois sortie de sa cachette. Féerie de bestioles aux discrétions suspectes. Filet aux mailles imprécises des parfums et des odeurs chuchotantes. Matière vivante qui épouse la charpente en craquements indistincts.
Lui, si doux, malgré le sel qu’on lui jette pour l’empêcher de s’envoler. Lui, si jeune, et tendre, et plein d’égards, dans les plis même, dans les traits, laissés par des plumes dont la plupart n’auront pas su, seulement, être vraie. Tendre veilleur de ce qui persiste. Accompagnateur des cris sans échos. Des regrets inévités. Des pas qu’il appuie vers le prolongement qui lui échappe.
Lui, au retour précieux. Diffus et propice. Qui pour le temps où on se livre à lui, recule les emplois calendaires qui se dévident et s’accumulent.
Lui, dont la grâce insidieuse peut aussi s’installer comme une flatterie à l’inutilité. Dont les vapeurs translucides savent pactiser avec l’insomnie. Et qu’on peut retrouver le regard décavé, sans s’être aperçu de rien, quand les linges détrempés s’allégent assez pour enfin laisser revenir le jour. Ou que dans un ciel nu le soleil perce de nouveau.
Là, maintenant, inconnu familier qu’on congédie, il faut refaire un peu de bruit. Décrocher ses tentures. Jouer des portes. Mettre un peu de musique. Appeler quelqu’un, au téléphone, à l’autre bout du chemin restauré. Que les autres passagers qui sont allés dormir se réveillent.
Tandis que des fonds perplexes mais sereins, on ressort une tête à la langue timide et aux yeux ahuris. Que l’esprit décanté se remet, mesuré, à frémir mollement. Qu’une fraîcheur insinue, fine poudre d’argent, son frisson sur le corps engourdi. Que la pluie recommence. Ou que le bleu s’étale. N’importe. On ira aussi bien marcher pieds nus dans l’herbe ou dans la boue.
Il n’est pas de saison lorsque son retour nous prend, nous berce et nous repose. Et que, à notre insu, peut-être, il nous rend à nos sens, lavés, recousus, avec, retrouvées, une faim et une soif qui menaçaient de s’oublier.