EPISODE 20 : Où l'on assiste à un coup de théâtre inouï et sans précédent qui risque de transformer ce conte stupide et délirant en guimauve sentimentale. Mais ce n'est qu'un risque..
L'apparition du Caribou Maléfique n'avait pas pour autant assagi cette infâme bestiole connue sous le nom de Caribou fou ; il continuait de poursuivre Gudule qui continuait de couiner tandis que le Servile Séide (on l'avait un peu oublié celui-là, mais il était quand même toujours là) continuait, lui, de ne rien faire et d'avoir l'air stupide. « Cousin, je t'ordonne de cesser ce cirque ! » tonna une fois de plus l'Apparition Majestueuse et cette sommation fut aussi efficace que s'il s'était contenté de se curer les ongles. Adonc, il fallut prendre de sérieuses mesures. Il allongea une bonne claque au Caribou Fou lorsque celui-ci passa devant lui, puis un superbe coup de pied au derrière le projeta contre un mur où il s'assomma fort proprement. « Ah ! Ouf ! s'écria Gudule, si essoufflée qu'il ne lui restait qu'un filet de voix. Je vais enfin pouvoir me reposer cinq minutes ! »
« Tu ne vas rien te reposer du tout, sorcière ! clama le Caribou Maléfique. Monstre décacéphale, empare-toi de cette gadoue, ligote-la et fais-en autant avec mon cousin et ce machin qui sert d'esclave à la poufiasse ! » « Mais je n'ai rien fait », protesta le Servile Séide et on lui fit remarquer que c'était bien là ce qu'on lui reprochait.
Le monstre décacéphale ne se le fit pas dire deux fois. Les dix têtes poussèrent un « hourra » de triomphe tandis que les dix bras s'emparaient l'un de Gudule, le second du caribou fou (évanoui), le troisième du servile séide, et les sept autres s'empressèrent de sortir du néant une corde avec laquelle ils transformèrent les prisonniers en disgracieux saucissons.
« Bien ! fit le Caribou Maléfique. Ces trois individus passeront devant la cour de justice du Centre de la terre pour avoir transformé ce lieu paradisiaque en bordel intégral. » « Je proteste ! dit Gudule. Il semblerait que ce fût plutôt ces deux pétasses (on désigna de la tête Jo la Fine et la Femme Maigre) ainsi que ces odieux abrutis qui aient fait de ce céleste endroit un abominable enfer ! Mon maître et moi ne demandions rien, sinon le droit de continuer tranquillement nos exactions. » « Justement, crétine, tu n'avais aucun droit de venir semer le trouble ici, rétorqua le Caribou Maléfique. Tu viens toi-même de t'accuser ! Tu seras jugée et punie, puisque tu es la seule responsable ! » « Ah, enfin, je vais retrouver mon statut d'héroïne ! s'exclama Gudule. Ce n'est pas trop tôt. Je signale que le titre de ce conte est Gudule au centre de la terre et depuis un bon moment, on parle de n'importe qui sauf de moi ! Il serait temps de me rendre mon rang ! » « Ce sera le cas, ne t'inquiète pas », fit Son Excellence. Puis elle se tourna vers les corps qui jonchaient le sable. « Relevez-vous, dit-il avec majesté. Cousin Magique, je te salue ! »
Le caribou magique leva la tête, adressa à son tour son salut le plus obséquieux à son impérial cousin. « Ainsi donc, voilà ta bande, mon cousin ? » dit le caribou maléfique en contemplant la troupe écrasée à ses pieds. Le Caribou magique rougit mais très digne, assuma : « Oui, mon cousin. Veux-tu que je t'en présente les éminents membres ? » « Pas la peine, je les connaîtrai bien assez tôt. Vous allez tous me suivre au Palais et assister au procès de Gudule et de notre cousin le caribou fou. Il est grand temps de mettre fin à la menace qu'ils font peser sur la tranquillité de l'univers. »
Alors qu'il s'énonçait avec une pontifiante gravité, le Caribou Maléfique tourna la tête vers la Marsupilania's band qui, rassurée, se redressait avec une certaine lenteur. Son regard croisa celui de Multimédia. « Oh ! » fit-il doucement. Et il écarquilla les yeux. Multimédia sentit son légendaire stress l'abandonner et une exquise sensation l'envahir. « Oh ! » gémit-elle, extasiée, son regard dans le beau regard du Maléfique. « C'est elle ! chuchota le Caribou Maléfique, tout à coup très, très rouge. « C'est lui ! » fit Multimédia dans un râle d'extase. « C'est le caribou de ma vie ! » « Ca, c'est du coup de foudre ou je ne m'y connais pas, constata Myxomatose. On voit que l'auteur, mon alter ego, est un romantique pur et dur... » « C'est surtout un pervers, intervint la Belle Monogramme, Princesse de conte de fée et Reine des Chieuses. (NDA) Voilà qu'il donne à Multimédia des penchants zoophiles, maintenant ! Heureusement qu'il ne m'a pas fait le même coup parce que je sortais du texte pour lui casser la figure ! » Pendant que la Princesse disait absolument n'importe quoi, le Caribou Maléfique et Multimédia ne cessaient de se regarder. « C'est toi... » articula péniblement l'Excellence en tendant une patte vers celle qu'on peut déjà nommer sa bien-aimée. « C'est moi... » chevrota Multimédia qui avait vu trois fois la scène finale de Carmen et savait ce qu'il fallait répondre à cette affirmation existentielle.
Le Caribou Maléfique se pencha vers elle et très galamment, lui baisa la main. La lumière devint moins vive, se fit plus discrète et plus intime tandis qu'une valse faisait tout à coup entendre ses notes voluptueuses. « Dansons, ma douce », dit le Caribou Maléfique et notre nouveau couple s'élança sur la piste de danse sablonneuse. « Mince, il valse rudement bien », fit le Prince Logarithme, vaguement jaloux. « Oh, ça me rappelle mon jeune temps, fit la Femme Maigre en essuyant une vague larme au coin de ses yeux. Enfin, moi, c'était une autre sorte de danse... On appelait ça la décadanse... Tout un programme... » Le couple passa en tourbillonnant devant Jo la Fine, toujours assise par terre. « Oh là, oh là ! cria-t-elle. Ils m'ont flanqué du sable plein les yeux ! » « Relève-toi », conseilla Myxomatose. « Debout ou assise, la différence n'est pas très grande, dit Jo la Fine. Ah, si seulement j'avais mon escabeau !... »
Le Masque de fer, émoustillé par le spectacle qu'on lui offrait, s'approcha de la Femme Maigre et lui proposa un tour de valse. Mais elle refusa, arguant que ce spectacle lui donnait plutôt envie de chanter. Un hurlement s'éleva de tout le centre de la terre : « NON ! » cria-t-on de toutes parts et la Femme Maigre eut l'air un peu vexé.
« Je crois qu'on n'est pas loin de la fin, chuchota le caribou Magique. Gudule et mon frère vont recevoir leur punition, Multimédia a trouvé son grand amour... L'auteur ne devrait pas tarder à mettre un terme à nos aventures. » « Ca va me manquer, à moi, de ne plus courir après Gudule, remarqua le Prince Charmant Logarithme. Au moins, ma vie n'était pas que platitude. » « Attends, attends, intervint la Belle Monogramme. Marsu n'est toujours pas casée, Gudule n'est pas expédiée sur Pluton ; à mon avis, nous avons encore un certain nombre d'épisodes en réserve avant de voir le bout de ce délire. »
Le couple princier avait fini par s'arrêter de danser. Le Caribou Maléfique abandonna un instant sa bien-aimée et s'approcha de nos héros. « Allons, rendons-nous au Palais sans tarder. Je serai le Président du tribunal, Multimédia et Dame Marsupilania seront les juges assesseurs. Cousin Caribou magique, tu représenteras le Ministère Public, et La Femme Maigre et le Masque de fer seront les avocats des accusés. » « Et moi ? » dit Jo la Fine, furieuse parce qu'elle estimait être traitée avec très peu d'égards. « Toi, tu seras l'ouvreuse et tu placeras le public, répondit Son Excellence. Et je te conseille d'accepter sans rechigner si tu ne veux pas te retrouver sur le banc des accusés ! Le monstre décacéphale assurera le service d'ordre. En route ! Qu'on emmène les prisonniers ! »
(A suivre)
(On vous l'avait bien dit : cet épisode est plein de surprises ! Maintenant, savoir ce qui va se passer... Comment se déroulera le procès ? Le Caribou Magique saura-t-il obtenir la plus forte peine pour les accusés ? Le Femme Maigre et le Masque de Fer sauveront-ils Gudule et sa bande ?... N'y aura-t-il pas encore des rebondissements ?... L'audience est suspendue.)