Il s’en est allé comme ça, sans rien dire. “Sans un adieu, sans un je-t’aime” aurait chanté Barbara. Et nous restons là, les bras ballants, stupidement malheureux. Pourquoi la mort l’a-t-elle saisi ? Ne savait-elle pas qu’il avait mille projets en cours, mille combats à mener ? Elle a serré son coeur si grand et si faible et il s’est rendu sans combattre. Curiosité pour l’au-delà ? Je l’en crois capable. Je l’ai toujours cru capable de tout.
Jean-Michel était un homme lumineux. Trop, parfois, ce qui lui a valu bien des déboires. Il n’en avait cure et me disait, une fois la crise passée : “laisse-les, ces gens ne valent pas l’énergie que nous mettons à parler d’eux.” Nous passions à autre chose. Il adorait jouer Schubert et ne s’en privait pas et, à distance, j’imaginais ses mains spectrales courir sur les touches d’ivoire de son piano à queue. C’était un homme cultivé. Erudit, même. Des heures durant, nous parlions littérature. Très classique, il pénétrait avec circonspection dans des textes plus contemporains que je lui conseillais prudemment. En échange, il m’entraînait dans des écrits bouddhistes que je ne comprenais pas et qu’il m’expliquait, patiemment, indifférent à mes réticences, persuadé que je finirai par me rendre à ses argument.
Parfois, nous nous disputions. Il aimait me provoquer. J’aimais à lui répondre. D’une absolue politesse, il ne prononçait jamais un mot grossier, ni même vulgaire ou commun. Il appréciait chez moi cette faculté que j’avais de ne jamais en dire non plus. Parfois, il me laissait m’emporter jusqu’à ce que, excédée, je finisse par lui dire que zut, à la fin, il n’avait qu’à faire comme bon lui semblait. Alors, même à distance je voyais s’étirer un fin sourire sur son visage émacié : “Zut ?… comment ça, zut ?…” Et j’avais l’impression d’avoir prononcé une incongruité.
Jean-Michel m’a beaucoup aidée. Il a toujours été à mes côtés dans les moments difficiles, que ce soit ceux que nos activités communes nous ont fait traverser ou ceux que j’ai rencontrés dans mon travail. Il m’a soutenue, portée parfois. J’ai fait avec plaisir et de nombreuses fois des milliers de kilomètres pour travailler avec lui. En retour, il a fait les mêmes trajets, alors même que ses obligations vis-à-vis de Madame sa mère devenaient plus lourdes. Peu importait les fatigues, les avions… un même objectif nous liait.
C’est fini, tout cela. Pourtant, ce matin, le monde s’est réveillé comme d’habitude et les gens ont scandaleusement vaqué à leurs occupations quotidiennes. Ils n’ont pas remarqué que la terre avait cessé de tourner, que les oiseaux ne chantaient plus, que la vie s’était arrêtée. Moi seule me suis dit : voilà, c’est le premier jour sans Jean-Michel.
Au paradis des architectes, j’espère qu’il va rencontrer André.