Au bout de la route

J’ai pris l’autoroute comme on se prend un lampadaire : sans se rendre compte que ça allait arriver. J’ai laissé défiler le bitume parisien sous mes pneus jusqu’à ce que les panneaux bleus se fassent de plus en plus rares. Quelques goutes de pluie et puis la nuit qui tombe. Voilà, j’aime conduire la nuit sur l’autoroute. J’aime le voyage autant que la destination. Le ronron régulier du moteur, quelques cons à doubler, la musique que je veux. Et puis la station service. Elle n’a pas le charme de la route 66, mais elle a le sien : ses magazines périmés vendus par cinq, ses machines à café aux tarifs improbables, ses touristes qui ne s’habilleraient jamais comme ça, même chez eux un dimanche. Rien que l’air vaseux de la caissière vaut le déplacement.

Au bout de la bande d’asphalte il y a elle. Il y a la douceur de son corps métisse. Il y a un petit hôtel avec un piano près du bar, quelques cachoteries et du plaisir à s’en faire péter le caisson. L’hôtel est réservé, le restaurant aussi, preuve, s’il en fallait une, de son envie de me voir.

J’attends devant l’hôtel, cramant quelques clopes pour tromper le froid et l’attente. Elle m’appelle, s’excuse. Elle est rigolote, détendue, j’aime ça. On passe une soirée comme des amoureux, on ne se prend pas la tête. De retour à l’hôtel, on ne passera pas longtemps devant le piano, ma chambre nous appelle.

Quand je me réveille le matin, je suis seul dans mon lit. Comme toujours. Je vais errer un peu dans la ville, comme un zombie, la fatigue et la gueule de bois me font flotter dans l’air. J’use mes pompes sur les trottoirs de ces ruelles rétrécies. Des maisons tordues, croulant sous leur embonpoint, prêtes à péter sous leur poids : cette ville a du charme. Elle me rejoint quelques heures plus tard. On fera l’amour dans la voiture car on ne peut plus s’en empêcher. Mais il faudra vite rentrer à Paris. Son mec l’attend.