Ta bouteille de Rhum...

Il en  restait juste un petit fond. On l'a achetée ensemble il y a deux ans et tu en as bu quasiment à chacune de tes visites, c'est dire combien tu es  venu souvent. Elle présidait dans mon  buffet, intouchable par d'autres, seul  objet où je  pouvais dire que tu avais posé tes repères, douceur que je te savais satisfait de retrouver.  A chaque regard elle me rapelait ton existence, comme une patte qui confirme un territoire, celui que tu n'as jamais voulu marquer. J'aurais pu la vider pour trinquer en ton souvenir et noyer mon chagrin, mais ça aurait été encore me faire mal à vouloir fusionner. J'ai décidé de l'ignorer, pour ne pas la jeter dans un moment de colère, espérant peut-être que tu viendrais trinquer une dernière fois, boire le dernier verre pour celler une amitié qui aurait dépassé les blessures de l'amour. Et puis j'ai eu une envie gourmande, des bananes rissolées par un autre ont réveillé des envies d'ailleurs. J'ai hésité à te détrôner avec l'âme de celle qui se parjure. Je l'ai tendue- je t'ai tendu?- avec tristesse et curiosité, étais je prête à liquider un symbole de nos moments intimes,  à flamber  mes espérances? Les flammes se sont levées sur les vapeurs de notre histoire, fières et mordantes, comme le coeur de la femme qui se redresse après avoir trop pleuré.