Il y a cinquante ans, le 25 novembre 1959 mourait à Paris Gérard Philipe, des suites d’un cancer du foie. Il avait trente-sept ans.
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« COMBIEN DE TEMPS ? » DEMANDE ANNE
« Combien de temps ? » demande Anne. « De quinze jours à six mois. »
Au réveil, Anne, d’accord avec les médecins, décide de taire la vérité au malade, lui dit : « C’était bien un abcès amibien. L’opération a parfaitement réussi. » Gérard sourit.
Le 19 novembre, il est de retour rue de Tournon. Il va consacrer sa convalescence, qu’il pense longue, mais qu’il aborde plein de sérénité, à poursuivre les lectures commencées à la clinique : Antigone, les tragiques grecs, Euripide.
― Ce don extraordinaire que Gérard avait de se mettre à la place de ses amis, raconte le docteur Pierre Vellay, j’en eus le témoignage encore le dimanche 22 novembre. J’étais venu passer l’après-midi auprès de lui. Il lisait le Théâtre d’Euripide et me tendit Médée, ouvert à une page où il avait noté : « Pierre ».
― Cela pourra te servir pour ta documentation, dit-il en me lisant le passage suivant :
« C’est donc en vain, ô mes enfants, que je vous ai élevés, en vain aussi que j’ai peiné, que j’ai été déchirée par les souffrances, que j’ai supporté les terribles douleurs de l’enfantement… Je préfèrerais lutter trois fois sous un bouclier que d’accoucher une seule. »
Le 24 novembre, comme il est impatient de se trouver sur pied et veut partir en montagne achever sa convalescence, une réunion des médecins a lieu à son chevet. On fait de grands projets de vacances. En quittant Anne, un des professeurs lui dit : « Gérard est perdu, mais sa vitalité est telle que je ne lui ai peut-être pas menti en lui disant tout à l’heure que, dans un mois, il partirait pour les sports d’hiver avec vous. »
― J’arrivai le soir, pour dîner, raconte le docteur Pierre Vellay. Gérard était seul avec Anne. La journée avait été bonne. Il m’accueillit avec joie. Son visage était calme, ses yeux pétillants. Il m’annonça qu’il avait établi pour moi un plan de travail et d’organisation de vie meilleurs ! Puis il me fit part de ses propres projets, me demandant ce que j’en pensais. Enfin, avec un grand sérieux, il décréta qu’il nous fallait organiser nos loisirs. C’est ainsi qu’avec une précision de scénario nous fîmes le plan de nos vacances d’hiver qui correspondaient à sa convalescence. Sous son charme irrésistible, je dus promettre que, dès le lendemain, j’allais me mettre en quête d’un chalet à la montagne, où nous vivrons loin de tout. L’heure passait et pourtant je sentais qu’il n’avait pas envie que je parte et je dus faire un effort pour m’arracher. Arrivé à la porte, il me rappela : « Pierre, tu penses à tout ce que nous avons dit, c’est sérieux ! ». Son rire et son « bonsoir ! » m’accompagnèrent jusque dans l’antichambre.
Gérard lit Euripide avant de s’endormir, passe une nuit calme. Le lendemain matin, Anne va conduire les enfants en classe et le laisse endormi, comme à l’accoutumée.
Quand elle revient, il est mort. Le visage est calme, pas une contraction de la main.
On l’enterre le samedi 28 novembre 1959, au cimetière de Ramatuelle. La veille du dixième anniversaire de son mariage.
« Nous ne le reverrons jamais, écrivait au lendemain de sa mort son ami, son compagnon Jean Vilar. Et je suis de ceux à qui nulle photographie, nul disque, nul film ne rendra la présence du comédien qu’il fut. Elle était trop faite de songes et de musiques intérieures… »
Gérard Philipe, Souvenirs et témoignages recueillis par Anne Philipe et présentés par Claude Roy, Éditions Gallimard, 1978, rééd. 1989, pp. 411-412-413.
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