# o3 — WATERLAINE, MORNE PLOT

Publié le 28 novembre 2009 par Didier T.
# o3 — WATERLAINE, MORNE PLOT
Donc c'est un artisan qui a un paysan comme voisin, un paysan qui fait des céréales et du bois de chauffage. Et l'artisan a un fils de 18 ans.
On est début juillet, le père et le fils sont occupés à bricoler quelque chose dehors en limite de leur terrain. Passe le paysan de l'autre côté du tallus avec sa carriole remplie de bois. Il voit ses deux voisins alors il s'arrête dire salut. Belle journée de soleil, personne n'est trop pressé.
Ça discute de choses et d'autres et donc évidemment, ça débouche une bouteille de pif —car comme disent si justement mesdames: "tous les prétesques sont bons pour".
À un moment, le paysan demande au fils ce qu'il devient. Le jeune explique qu'il vient de passer son bac, et qu'il l'a eu.
— "Ah ben c'est bien, ça, mon gars, le bac. C'est bien."
— "Oui, c'est bien. Mais en même temps, le bac, c'est pas une fin en soi. C'est juste une clef pour ouvrir des portes, une marche qui mène à un autre palier plus spécialisé.", ce genre de laïus distancié qu'il répond le jeune à son gros coupeur de bûches de voisin.
Tronche goguenarde, le paysan se retourne vers le père et dit en rigolant:
— "Hé ben! L'a même pas 2o ans ton fils et il parle déjà comme un technocrate, dis donc. Parti comme ça, dans 1o ans il nous fera des lois sur comment qu'on doit labourer..."
D'autant plus vexé le jeune que son paternel se marrait encore plus que le paysan... qui l'a achevé d'un:
— "Ben mon gars, j'espère pour toi qu'avec les filles t'es plus... pragmatique!"
Carbonisé près du tallus le diplômé tout neuf, une situation in-re-mon-tab', le genre de bad trip où chaque mot en plus aggrave ton cas... alors plus bouger, plus rien dire, encaisser plus ou moins stoïque, finir son verre... et le blanc-bec c'est pas son père qui allait le sortir de là vu comment il se bidonnait en remplissant les godets —solidarité entre les générations, tu parles... tu ne perds rien pour attendre la maison de retraite, l'ancêtre.
"Pragmatique avec les filles", le jeune corniaud évidemment englaisé dans des interminables histoires sentimentales de son âge n'avait plus qu'à subir les sarcasmes des vieux baudets en se drapant dans ce qu'il pouvait lui rester de dignité, maudissant en interne ces deux enflés, jurant mais un peu tard qu'on ne l'y reprendrait plus, ruminant des conneries apaisantes genre "ce qui ne te tue pas te renforce, Petit Scarabée" et autres "bave du crapeau, blanche colombe" —des pensées profondes qui ne coûtent pas cher et qui ne rapportent pas lourd, mais bon, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on trouve sous la main au moment où l’eau monte un peu trop dans les cales, hein. Ah bon sang, quel sale moment à la con, ah oui, car évidemment, cette histoire édifiante est lamentablement autobiographique, et si les deux vieux l'ont oubliée depuis belle burne, moi, tant d’années plus tard je m'en rappelle mieux que de ce que j'ai pu bricoler la semaine dernière.
Y'a pas que les voyages qui forment la jeunesse, bordel de merde.
***Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu