Il y avait du monde ce matin sur le chemin de l'église et le parking était plein. Bravant la bourrasque, nous cheminions pliés en deux vers le temple, mais pourtant nous n'allions pas tous au même endroit exactement. Certains en surface tentaient d'élever leur âme en se rendant à la messe dominicale, alors que d'autres comme moi, nous glissions dans les sous-sols, dans la crypte de Saint-Thibaud pour la kermesse annuelle, vente de bienfaisance pour les défavorisés de la paroisse.
Tous les ans je me rends à ce raout, amusé par l'ambiance et cette plongée instructive dans un microcosme assez loin de mes préoccupations. Les habituels vendeurs retrouvent les habituels clients. Ici tout est d'occasion ou presque, car j'espère que la marchande de confitures faites maison n'entre pas dans cette catégorie. Au fond, le gros stand de jouets de récupération, au centre les petites dames âgées qui proposent leurs torchons et nappes brodés patiemment durant toute l'année pour cette vente de charité. « C'est peut-être bien ma dernière année, car mes pauvres doigts me font souffrir ». Là-bas les antiquités, comme je n'ai pas mis de guillemets au mot vous comprenez qu'il s'agit de bibelots sortis d'un grenier et non d'aimables vieillards attendant le client. Plus loin des « antiquités », là comme j'ai mis des guillemets au mot vous comprenez qu'il s'agit d'aimables vieillards attendant le client derrière leur étal où s'empilent bocaux et conserves de fruits et légumes.
Nous avons presque terminé le tour des étalages, il reste néanmoins ceux pour lesquels je me suis déplacé, les marchands de livres. Ils sont deux, l'un à gauche en entrant, l'autre à droite. Le premier fait dans le missel, les bibles, les biographies de papes et l'iconographie religieuse au premier degré tandis que le second propose des bouquins divers, dont une offre alléchante de cinq livres de poche pour un euro. A quatre pattes dans les cartons qui jonchent le sol, je cherche et trouve assez facilement de quoi m'assurer plusieurs heures de lecture à un moindre coût. Livres usés provenant de la bibliothèque municipale, bouquins de particuliers gardant les traces de dédicaces « Joyeux anniversaire Coco ! Pour tes 23 ans fêtés un peu en retard ... je t'embrasse très fort. Marine ». Les pages de garde des livres et les troncs des arbres ont cela en commun, la marque des passions des hommes, cœurs gravés dans l'écorce ou mots inscrits sur les feuilles vierges. Profitons-en tant que c'est encore possible, car ce n'est pas le Kindle ou autres livres électroniques qui permettront de laisser dans le futur de tels signes de poésie.
Tout ce petit monde se connaît, les uns font partie d'associations de la ville, cette dame d'un certain âge comme on dit, toute pomponnée qui me salue est inscrite au Lion's Club ; les messieurs ont un maintient posé, souvent un pin's au revers du veston, sorte de mot de passe, révèle leurs accointances. Tous vous adressent un petit mot gentil et bienveillant. L'esprit saint qui est descendu sur les fidèles pendant la messe à l'étage du dessus a certainement fait l'effort de pousser jusqu'au sous-sol, une ambiance de douce béatitude enveloppe cette brocante. Mon cynisme habituel a du mal à sortir de ma poche et je l'y laisse avec plaisir le temps de ma visite.
Durant ce temps, à l'entrée sous une tente blanche, les « durs » ont installé sur des tréteaux, bourriches d'huîtres et bouteilles de vin. Ici on parle fort, on rigole et on hèle le passant. Le vent s'est calmé, le soleil tente une percée timide, nous rentrons à la maison, moi avec mes bouquins dans un sac plastique de récupération et ma femme avec un bavoir brodé qu'elle offrira un jour à elle ne sait qui pour l'instant.