-T’es vraiment un sale connard.
-Toi aussi, dis-je.
-Bravo, super répartie.
Je gratte une fissure dans le mur pour en arracher le plâtre avec le bout de l’ongle. Xavier me rappelle que c’est chez lui et que ce n’est pas moi qui paierai la caution, mais je l’ignore volontairement. Je m’obstine à gratter sous son regard irrité.
-Je veux plus de toi comme agent littéraire, dis-je.
-Ça tombe bien, parce que j’en ai marre de m’occuper de ta gueule. Putain d’ingrat de merde.
J'ai envie de gratter ce foutu plâtre jusqu'à ce que mes doigts saignent, ou ou le mur s'écroule. Je voudrais par dessus tout que Xavier arrête de me répéter que je peux m'améliorer, et qu'il me dise simplement que j'assure quand même pas mal en tant qu'être humain.
Xavier n'a plus d'espace. Son monde rétrécit peu à peu. Il est construit d'intransigeance et expulse peu à peu les gens qui le peuplent, tant et si bien qu'un de ces jours il ne sera plus habité que par un seul homme. Et cet homme est un con.
-C'est toi le con, me dit Xavier.
Certain de ne pas avoir parlé à voix haute, je hurle sur mon ami d'arrêter de toujours deviner ce qui se passe dans ma tête. Je cesse mon manège avec le plâtre du mur et tente de me recentrer sur les problèmes importants. Sauf que je ne sais pas vraiment pourquoi ils sont importants. Tout ce que je vois c'est que mon prétendu agent littéraire veut ma perte.
-C'est pas possible que je te laisse du mystère, mec, m'explique-t-il calmement. Je te connais trop pour pas savoir à quoi tu penses. Enfin merde, on se connaît même trop pour ne plus être amis, alors qu'on se déteste.
Je vais jusqu'à son frigo, à la recherche d'un remontant, mais je le trouve désespérément vide. Je bois un peu d'eau au robinet, par réflexe, et m'assois par terre.
-Je passerai pas à la télé, dis-je, dans un souffle.
-C'est une chaîne du câble, me répond Xavier comme si ça changeait quoi que ce soit.
-Pas la télé, c'est tout.
Il objecte que ça durera cinq minutes, que ça passera à deux heures du matin, et que je suis un abruti.
J'aurais dû amener un lance-roquettes pour décaper son plâtre de merde, et bousiller son frigo vide. J'aurais aussi réservé une roquette pour sa gueule, parce que c'est décidément pas possible de pas être ouvert à la discussion comme lui.
-Je suis pas fermé, dit-il.
-C’est toujours pareil, mec. C'est comme quand je t'ai dit que Dieu n'existait pas.
Il sourit, et va s'installer à l'ordinateur en tentant de paraître sérieux et affecté. Un jour je n'aurai plus ma place dans le monde de Xavier, même si je serai un des derniers à partir. J'ai peur qu'au final mon ami se retrouve seul avec sa satisfaction d'avoir été droit dans ses bottes. Et ce jour là il n'y aura plus personne pour empêcher la petite planète qu'il a bâtie de partir à la dérive dans l'espace, à la recherche de nouvelles galaxies habitées par des êtres qui ne le décevront pas.
-T'en est où du texte de cette semaine ? me demande-t-il.
-Tu peux pas attendre autant des gens, mec.
-Essaye pas de changer de sujet.
« ...Paxton Fettel parcourait à toute allure les longs couloirs sinueux du donjon de Mabrok. Derrière chaque porte, chaque recoin du mur, l'attendait un gobelin prêt à en découdre. Mais à vrai dire c'était le cadet de ses soucis.
-Putain de bordel de merde, vous allez me lâcher ? cria-t-il.
Mais le cameraman et le preneur de son lancés à sa poursuite ne prirent pas sa requête au sérieux. Paxton Fettel se retourna vers l'objectif de la caméra, qu'il pointa de son épée avec un air menaçant. Les techniciens reculèrent de quelques pas. Il reprit alors sa course effrénée dans le donjon, mais le poids de son armure le ralentissait, et l'empêcha de semer l'équipe de télévision.
-Mais barrez-vous ! beugla-t-il.
Un gobelin fit irruption d'un recoin sombre, et planta sa dague dans l'épaule de notre chevalier, qui poussa un cri déchirant. Un coup d'épée eut raison du gobelin. Paxton Fettel écarta les plaques de métal qui enserraient son corps pour mieux examiner sa blessure.
-Putain ça doit faire mal, siffla le caméraman, en zoomant sur la plaie. »
Roger me hurle d'arrêter d'écrire n'importe quoi. Il met ses mains en avant, doigts crispés, et si je ne le savais pas si mou, je jurerais qu'il est prêt à m'étrangler. Il me répète que je suis le pire écrivain du monde en vociférant qu'il y a encore un putain de chemin jusqu'au prix Nobel.
-Tu peux pas écrire comme tout le monde ? me questionne-t-il.
Je lui demande s'il s'écoute des fois, avec un sourire en coin qui visiblement l'énerve. Je tente de me concentrer sur mon texte, et emmène le brave chevalier jusqu'à la sortie du donjon, où l'attend un elfe guérisseur appelé par la boîte de production. Roger, qui lit par dessus mon épaule, fulmine.
Je m'allume une cigarette, certainement par provocation. Le chevalier demande à l'elfe de se grouiller parce qu'il veut repartir au front. Le problème vraiment important, je n'arrive toujours pas à mettre de mots dessus. Peut-être que c'est le chevalier. Ou peut-être Roger.
En fait je déteste les écrivains, et je suis bien content de ne plus en être un. La vie s'échappe et ces cons essayent de la retenir, mais ils sont trop peu nombreux et trop peu lus pour être efficaces. Le barrage a cédé depuis longtemps, et le papier ça retient que dalle.
J'entends un abri-bus se faire démolir en bas de chez moi, et essaye de l'ignorer. L'elfe répond au chevalier qu'il va devoir oublier les donjons pour quelques semaines, et le cameraman capte les larmes qui montent à ses yeux. Roger fait la remarque que ça chie dans la rue.
-Il paraît que ça va pas durer, dis-je.
Je me remets au clavier, et comme pour me contredire, un pavé vient fracasser ma fenêtre. J'écrase ma cigarette d'un geste rageur, et regarde le gros bout de pierre qui trône maintenant au milieu de ma chambre. Le problème vraiment important c'est que je n'arrive pas à me concentrer.
Le froid s'engouffre par la fenêtre éventrée, et vient me murmurer que si je n'écris pas les choses, alors tout part en couille. Je déteste les écrivains qui passent à la télévision, parce qu'ils ne me ressemblent pas.
-Voyez-vous, dit Vincent, l'immense majorité des écrivains est homosexuelle.
L'intervieweur, un peu décontenancé, lui demande de répéter. Vincent lui sourit, et développe son point de vue sur l'érotisme gay qui se dégage de mon blog. On lui demande de recentrer la discussion sur ses amis Xavier et Vincent.
Xavier monte un peu le son de la télévision, et me fait remarquer que notre ami s'est rasé pour l'occasion. Il est redevenu moustachu, et je me demande si c'est vraiment l'image de moi que j'ai envie de renvoyer au monde.
Xavier a remis du plâtre sur son mur, et celui-ci est redevenu lisse. Affalés sur le canapé, nous écoutons Vincent déblatérer sur la façon dont je le vois comme un héros.
-Xavier, explique-t-il, est un peu le colérique de la bande. Il faut dire aussi que je l'énerve beaucoup.
Je vais jusqu'au frigo pour nous chercher du coca, et retourne m'écrouler sur le canapé. On a pas idée de passer des programmes culturels à deux heures du matin. Xavier me demande où j'en suis avec mon genou, et je lui réponds que j'attends toujours les résultats complémentaires.
Nous écoutons Vincent jouer mon rôle jusqu'au bout, jusqu'à la conclusion extraordinaire qu'il apporte à son interview : « Franchement, faut être un peu con pour faire ce que je fais. ». Le journaliste le remercie, et lance une page de pub.
Je me lève du canapé, les membres un peu engourdis, et m'allume une cigarette en enfilant mon gigantesque manteau d'hiver. Xavier se lève à son tour, et attrape une veste.
-Tu bouges aussi ? je demande.
-Je vais voir Martine.
-Moi aussi. La mienne.
Nous sortons de l'appartement et dévalons les escaliers sans dire un mot. En fait on arrive pas à grandir, ne serais-ce qu'un tout petit peu, mais ce n'est pas un problème vraiment important. Je questionne mon ami sur sa nouvelle petite amie, et il a un geste vague comme à son habitude.
-Beaucoup de compromis, philosophe-t-il.
La planète de Xavier est encore dans notre galaxie. Il faudra sans doute quelques années avant qu'elle ne prenne le large, et je me dis que ça nous laisse du temps pour l'en dissuader. Nous marchons jusqu'au métro, et remarquons que nous prenons chacun un sens opposé.
Mon train arrive immédiatement, et je cours pour monter dedans. Les portes se referment, et tandis que je m'éloigne peu à peu, j'observe Xavier qui déambule sur le quai d'en face en observant les publicités avec un air de dégoût.
Le métro m'emmène jusqu'à mon rendez-vous avec Martine, qui est déjà là, à m'attendre. Je la prends dans mes bras et la serre de toutes mes forces. Elle me demande si Vincent passe bien à l'image.
Je ne réponds pas. Mon bras par dessus son épaule, je l'entraîne jusqu'à un bar à moitié vide, en lui expliquant qu'à l'avenir je vais essayer de faire moins de compromis.
Notes : -Tu n'habites pas dans une rue pavée
-Pas assez parlé de la tumeur au genou
Prochainement : Dieu existe