En 1965 lors de la campagne présidentielle De Gaulle prononça une phrase restée célèbre: "Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !...". Or aujourd'hui toutes les marques sautent sur leurs chaises "comme des cabris" en disant "La Chine! La Chine! La Chine"...
Il est intéressant de citer encore ce même interview de De Gaulle, parce qu'il rajoute: "Car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Il faut prendre les choses comme elles sont. Comment sont-elles?". Toute la question posée aux marques qui sont si enthousiastes sur la Chine, est celle de la réalité de la Chine contemporaine. Or un article passionnant de Labbrand "Why does your company need a Chinese brand name?" attire notre attention sur le fait qu'une marque qui aborde ce marché est obligée de se doter d'un nom chinois.
Rappelons tout d'abord que le nom revêt en Chine une toute autre importance que dans les civilisations occidentales. Je mettrai ainsi en avant tois raisons:
- Il n'y a pas d'invariance du prénom: traditionnellement en Chine le prénom changeait entre le moment de la naissance et l'âge adulte parce qu'il est porteur des qualités de l'individu. Ceci explique par exemple la facilité avec laquelle les chinois contemporains adoptent des prénoms occidentalisés.
- Le nom, comme le prénom, sont constitués d'idéogrammes - dont chacun est doté de sens: il y a donc une richesse polysémique du nom qui va bien au delà du seul nom.
- En Chine l'écrit égale le réel, alors qu'avec l'alphabet occidental l'écrit est une représentation du réel.
Dès lors la force polysémique du nom oblige une marque de se doter d'un nom chinois - qui souvent sera une transcription phonétique. Mais, contrairement à la phonétique occidentale, la phonétique chinoise a un sens donné par les idéogrammes et parfois les homophonies. Dès lors le nom chinois - s'il est par exemple constitué de 4 idéogrammes - se verra doté des 4 sens attachés à ces 4 idéogrammes: le nom de marque se trouve donc enrichi, par adjonction des sens et des attributs de ces signes. Le résultat est fascinant:
Ainsi Louis Vuitton revêt les sens de: route, facile, puissant, ascension et BMW ceux de cheval précieux... tout en conservant par la transcription choisie une connotation internationale. Certaines marques ne pouvant choisir une simple translitération phonétique vont alors se doter d'un nouveau nom - lui même chargé de sens: Citroën devient donc le dragon de neige et d'acier (雪铁龙, xuětǐelóng, “snow-iron-dragon”) . Chaque marque doit donc se doter d'un nom chinois dont les attributs vont renforcer le sens dont la marque est porteuse.
Une marque doit aussi se doter d'un nom chinois parce que sinon quelqu'un d'autre le choisira à sa place - et il lui sera très difficile de se le rapproprier. Porsche en a fait l'expérience, ayant oublié d'enregistrer en chinois ses noms de modèles: Carrera a ainsi été déposé par une société de bicyclettes électriques.. Le cas le plus intéressant est celui de Starbucks qui n'avait pas anticipé l'importance de se doter d'un nom chinois "星巴克[xīng bā kè]” et de le déposer très tôt. Une chaîne chinoise l'a donc fait avant eux - faisant ainsi croire aux consommateurs qu'ils faisaient partie de Starbucks “上海星巴克[shànghǎixīngbākè]”.