Mes jeunes ils me disent que si je finis pas mon bouquin, ils voteront Sarkozy. Dans trois ans. Enfin deux ans, dix mois et des poussières. Maintenant. Mais bon. Un bouquin, faudrait qu’ils arrêtent de me rouler des joints alors… Rien que là, avant de partir, ils m’en ont préparée une dizaine. D’avance. Pour que je sois bien. Jusqu’à demain. Ils vont à Maastricht. Là. J’aime pas quand ils vont là bas. C’est risqué, pour eux, ces pays là. Chaque fois je prie pour qu’ils reviennent. Même sans rien. Maintenant j’ai trouvé le truc. Vu que là bas, ils captent pas, j’envoie un sms. Et dès que je reçois l’accusé, je les appelle. Pour qu’ils passent. Ca veut dire qu’ils ont passé la frontière. C’est déjà ça.
Ils sont mignons ces mômes. Et pas du tout dangereux. Contrairement à ce qu’on dit. Pour Sarko ils déconnent hein ! Jamais ils voteront pour lui. C’est pour me motiver. Parce que quand ils m’ont demandé pour qui fallait voter, y’a deux ans, je leurs ai dit qu’au pire, valait mieux être de gauche. Mais ils sont partis à Deauville. Finalement. Ce jour là. Et ils ont rien voté du tout. Pour eux la politique c’est « manigouilles » et compagnie. Comme ils disent. Et c’est pas avec des Johnny ou des Doc Gyneco que tu vas les appâter. Ils sont pas tellement « variété ». En plus. Mes jeunes. Quant à moi, je me suis couchée direct. Ce soir là. Dès que j’ai su. J’ai même pas allumé ma télé. Pour m’endormir. Tellement je m’en foutais de plus penser. J’avais pas eu peur comme ça depuis l’HP. Depuis la rue. Ca m’a fait tellement mal que j’avais même plus peur de pas me réveiller. Le lendemain. J’avais juste peur de lui : Nicolas Sarkozy. Dans la nuit, j’ai rêvé que Marcel Béliveau nous annonçait que c’était un big « Surprise surprise » national. Et qu’on était la risée du monde entier. Pour avoir cru à cette supercherie. Je pouvais pas m’empêcher d’espérer que c’était une grosse farce. Mais la supercherie dure. Et Marcel Béliveau est mort. Maintenant. C’était la première fois que je rêvais d’un Président de la République. Pas la dernière. Six mois plus tard, je rêvais que François Fillon m’aidait à décoller du papier peint. Chez moi. Et que Sarko repeignait. Derrière. En sifflotant du Chimène Badi. J’étais en plein travaux. A l’époque. Le fait d’avoir fait une sieste devant i télé… les infos qui tournaient en boucle, j’ai du tout mélanger. Dans ma tête. Une troisième fois, pareil. Nicolas et Carla sont chez moi. Dans mon ancien appart. On est tous les trois à la fenêtre. Et y’a mes jeunes en bas qui nous regardent et qui disent « Eh regardez… Caro elle connaît Sarkozy. ».
Oui j’ai des jeunes… Pourquoi ? Tu croyais que je connaissais que des gens morts ? Et des chats ? Que mon seul ami, c’était fifi ? Ma seule famille, la télé ? Et que j’habitais sur Facebook et Copains d’avant ? Ben non. J’ai des jeunes. Aussi. Une vraie vie sociale. C’est grâce à eux que je reste en vie, depuis que mon mec est parti. Grâce à Fifi. Aussi. Mais après la rue, après l’HP… la mort de Bat, il aurait jamais pu gérer. Tout seul. Fifi. Et les autres gens, ils ont beau compatir, au début ; la première semaine ; très vite, t’as l’impression que pour eux, t’as juste perdu une paire de clés. Ou de gants. Finalement. Et partager mon émotion dans un groupe de discussion avec des inconnues qu’avaient vécu la même expérience, ça me disait rien. La moyenne d’âge, c’était soixante dix ans. Tellement des veuves de même pas quarante ans, c’est rare. Même si Bat et moi on n’était pas marié.
C’est la première chose que je leurs ai dit. A mes jeunes. Que mon mec était mort. Ils ont tout de suite compris que j’étais en stand by. Sur un fil. Comme eux. Sauf que moi, j’attendais que la survie, ça devienne du passé. Et que pour eux, devant, c’était bouché. No futur. Alors ensemble, on s’est fait un petit présent. Un petit présent qui dure. Mine de rien. Ca fait cinq ans maintenant que mes jeunes et moi ça fait comme une famille. Comme dans ma cité. Y’a longtemps. Comme dans le Sud. Avec Mohamed et Théo. Comme quand je trainais Gare de Lyon. Avec des SDF. Sauf que là, je joue à la maman. Et que j’ai beaucoup d’enfants. L’ainé, il aurait la trentaine. Aujourd’hui. Si il était toujours en vie. Kristofer. On pense à toi. Et le plus jeune, c’est Kiki. Quand je l’ai connu, il avait 16 ans. Maintenant il en a 21 ans. Mais il a failli ne jamais les avoir. Ca fait des mois qu’il est à l’hôpital. Embroché de tous les côtés. Et après, il retourne en prison. Normalement. Parce que la moto avec laquelle il a failli se tuer, elle était pas vraiment à lui. En fait. Et qu’ il avait pas le permis. Aussi. Ca faisait à peine un an qu’il était sorti. Faut dire. Il avait pas eu le temps de le passer. C’est claire qu’avec mes jeunes, côté émotionnel, je chôme pas. C’est toujours plein de rebondissements. J’ai le coeur toujours en zone rouge. C’est ça de fréquenter des gens sur le qui vive. Comme dirait mon ex mari. Sur le qui vive pas. Moi je dirai. Plutôt. Même si mes jeunes, ils savent tellement de choses qu’on dirait qu’ils ont déjà eu une vie. Avant. Que dans leur tête, ils ont 100 ans. Pas tout le temps. Heureusement. Sinon j’en aurais le double.
Mais bon. Quand je dis « mes jeunes », ils sont pas à moi hein… Je les ai pas achetés ! On me les a offerts : Un cadeau de la vie. C’est rare ! Sur un plateau en plus. Juste sous mes fenêtres. Le soir où ils ont explosé une voiture en bas de chez moi. Sans le faire exprès. C’était pas les émeutes encore. En plus c’était la leur. Enfin celle de Calail. Mon chouchou. Une 405 grise à l’époque.
C’était ma première nuit ici. Dans le nouvel appart. Le 7ème. J’étais seule. Ce soir là. Y’avait du bruit dehors. Des cris. Et de la fumée. Beaucoup de fumée. C’est quand j’ai ouvert ma fenêtre que j’ai vu la voiture arriver. Enflammée. Qui fonçait tout droit vers chez moi. Que j’ai réalisé que tout allait péter. Tout le quartier. Les canalisations de gaz. Que tout allait sauter. J’ai juste eu le temps d’ouvrir derrière. Pour que mes chats puissent se sauver. Eux aussi. Et je me suis enfuie. J’ai couru pieds nus sur la route au milieu des éclats de verre. En direction du Loing. Pour sauter. Je suppose… C’est Usher qui m’a rattrapée. Usher, pas le rappeur hein… Usher Christophe. Mon petit voisin. Il m’a ramenée à la raison. Sur les lieux du sinistre. Et de l’eau. Y’avait les flics. Les pompiers. Plein de gens qui regardaient. On se serait cru aux infos. Pourtant ce soir là je n’ai vu que Calail. Un jeune garçon. La vingtaine. Très agité. Qui insultait tout ce beau monde. Y compris ceux qui, juchés derrière leurs fenêtres, regardaient la scène avec inquisition. Les voisins. Et qui, loin de calmer le jeu, ne faisait qu’attiser la flamme, profitant de la présence des forces de l’ordre pour beugler en chœur leur exaspération quant à cette jeunesse un peu trop populaire qui s’était récemment emparée du petit quartier tranquille. Ce qui avait le don d’exalter la colère du jeune blasphémateur.
C’était rare que Calail fasse des phrases sans gros mots, mais là, y’avait plus de gros mots que de phrases, pratiquement. Quand il m’a regardée, je sais pas s’il m’a vue. J’étais là. Sous le choc. Tétanisée. Incapable de remonter chez moi. Les pieds ensanglantés. En train de fumer un joint au milieu d’une bande de jeunes qui insultaient mes futurs voisins. La scène était tellement surréaliste qu’à l’instant T tu m’aurais dit qu’eux et moi, ça allait faire comme les dix doigts de la main, je t’aurais répondu : « Ouais c’est ça ! Et la marmotte elle met le chocolat dans le papier alu ».
Quand les flics sont partis, laissant coite la population qui faisait maintenant profil bas, il m’a dit :
« T’es qui ?… »
J’ai dit :
« Caro pourquoi ? Et toi ? »
« Moi ?… C’est Calail. C’est portugais, à la base. Mais moi je l’écris à la française. »
Et il a épelé : « C. A. L. A. I. L »
Il disait qu’il était dégoûté. Pour une fois qu’il était presqu’en règle. Contrôle technique : ok. Carte grise. Assurance. Y’avait plus qu’à payer le gars pratiquement. Il lui restait même des points encore sur son permis. Et il devait aller à Nice le lendemain. Chercher sa meuf. Il disait qu’en faisant l’aller retour vite fait avec la voiture de Usher, ils seraient là demain à 7h. Que c’était toujours tout droit. Toute façon. Puisque y’avait que de l’autoroute. Qu’il avait même le temps de faire un petit détour par Deauville. Si ça se trouve. C’était la première fois que je voyais quelqu’un qui comptait le temps en nombre de kilomètre. Il avait un langage fleuri. Certes. Mais avec des vraies fleurs. Dedans. Par moments. Car le garçon était loin d’avoir perdu sa cédille. En tout cas avec moi. Sans vouloir me la jouer. Et malgré le vocabulaire très aléatoire du grossier personnage, je suis tout de suite tombée sous le charme. Même Usher, le surlendemain, quand il m’a dit :
« Vous me reconnaissez ? Je vous ai sauvé la vie ? »
Je me souvenais pas de lui. Puis j’ai demandé à Calail :
« T’es allé à Nice finalement ? »
Il m’a répondu que oui. Qu’il avait trouvé un petit golf, là, vite fait. Mais qu’il allait pas le garder. Qu’il allait prendre un petit BM cab, à l’ancienne, pour l’été. Il me parlait comme s’il m’avait toujours connue. Ca m’a fait comme un coup de foudre. Mais maternel. Filial.
Pauvre Usher ! Il faut toujours qu’il en fasse trop pour être à la hauteur. C’est même pas ce jour là qu’ils m’ont sauvé la vie. C’est tous les jours qui ont suivi.
Usher, c’est comme un D’jo. Un peu. Si tu préfères. Et si t’as suivi mes péripéties à Toulon. Sauf que ça se voit encore plus, lui, qu’il est Français. Grosse tête. Mais pas de cerveau. Avec un petit côté bad boy à la « Hélène et les garçons ». Mais sans les cheveux quand même. Un petit air supérieur comme ça. Et le côté rebelle qui caractérisent les adolescents qui jouent dans « sous le soleil ». Le genre qui s’invente des problèmes. Tellement il en a pas. Et des meufs aussi. Des filles qu’on voit jamais. Un boulet ? Ouais. C’est ça. Mais bon. Il est gentil. Et sans lui, on se connaitrait pas. Eux et moi. Fils de notable de bonne réputation, Usher est le seul à ne pas être installé dans l’inactivité. Comme ils disent à la télé. Il travaille quelques heures par vie pour ses parents. Contre salaire et appartement. Un petit studio à deux pas de chez moi qui faisait le bonheur de toute la petite bande. A l’époque. Chez lui c’était un vrai squatte. Très vite on s’est aperçu qu’on avait le même rythme. Eux et moi. Tous les matins, treize heures pétantes, on petit déjeunait ensemble. Au grand damne des voisins - encore eux - qui finissaient par connaître par cœur le répertoire du rap français. Le son des klaxons ou autres vrombissements de moteurs, crissements de pneus. C’est vrai qu’entre les burn, les travers, les freins à main, tu pouvais vraiment pas les louper. Tous les jours, c’était le branle bas de combat. C’est pour ça que j’ai déménagé. Au bout d’un an. Quand on m’a fait comprendre que j’étais pas à l’abri d’une perquisition, avec toute la racaille qui passait chez moi. C’est clair qu’avec des voisins comme ça, j’étais à l’abri de rien. Et comme je voulais pas me retrouver chez Courbet dans la guerre des voisins à tenter la conciliation de la dernière chance, on avait préféré quitter le quartier. Mes jeunes et moi. Pourtant je rêve de rencontrer Hervé Pouchol. Tu connais pas Hervé Pouchol ? Le médiateur ? Ah ! Bon ! Tu m’as fait peur ! Tu vas croire que je me la joue, mais en 2003, j’ai failli : j’avais une voisine, à l’époque. Une vieille pouf qui me traitait de sale pute. La pauvre est morte. Hélas. Putain de canicule ! J’ai pas de chance avec mes voisins.
Maintenant ça va on nous embête plus. Y’en a bien un, un jour, qui m’a demandé de leurs demander de parler moins mal parce que ça écorchait les oreilles de ses gosses, les « nique ta mère » et compagnie. Je lui ai dit :
« Ok. Ben dès que toi t’arrêtes de traiter ta femme d’enculée tous les soirs. »
C’est vrai j’entends tout de chez moi. Et y’en a, va savoir pourquoi, même quand ils prononcent jamais aucun gros mots, soit disant, je les trouve plus vulgaires que s’ils en disaient plein. Nadine de Rothschild, par exemple, c’est pas parce qu’elle va dire « un enfant d’occasion », en parlant de ceux qui naissent d’un second mariage, qu’elle sera plus décente que si elle disait « un bâtard ». De même que j’en connais, ils diront jamais « putain ». Mais « punaise ». Toujours « Mercredi » au lieu de « merde ». Ou autres « saperlipopette ». Mais ils voteront pour Sarkozy. Ou pour Le Pen. Comme quoi l’obscénité elle est pas forcément dans les mots. Ah les gens ! J’te jure. C’est trop l’hôpital qui se fout de la charité. Avec leurs sermons. Leurs principes. Cette manie de vouloir à tout prix faire la morale à des jeunes qui en ont plus qu’eux. En vérité. Même s’ils le montrent pas. Enfin pas à tout le monde. Ils vont pas se dévoiler au premier venu. Mes jeunes. Avec moi, ils se lâchent. C’est comme ça que je sais que le parlé “Ouaich”, c’est pas juste « nique ta mère » ou « ta race ». Parce que y’en a, dans ma bande, ils pourraient écrire. Tellement ils inventent des formules. Des mots que même Ségolène, avec sa « bravitude », elle fait pitié. A côté. Tellement ils ont d’idées. Tellement ils sortent des expressions que je cherche depuis toujours. Tellement des fois on dirait du Audiard, leurs phrases. Du Audiard façon « Moot Moot » et « Lascars ». Tellement ils ont du style. Et que le français, vu par eux, je le trouve plus subtil. Et même si moi, personnellement, je me vois pas les accueillir en disant : “Ouaich cousin… bien ou quoi ?!?…”, ils savent qu’au-delà des mots qu’ils me disent, c’est leurs maux que j’entends le plus. Parce qu’ils sont encore plus gros que leurs gros mots. Et que tu ferais bien d’en faire autant. Comme ça t’arrêterais de nous saouler avec ton insécurité. T’arrêterais surtout de croire que t’as la science infuse. Et ça nous ferait des vacances.
Après voilà. Je suis pas là pour stigmatiser les jeunes de la banlieue. Dire que dans les quartiers, y’a que des gens biens. Y’a aussi beaucoup de racistes ! Mais je voulais te parler de mes jeunes à moi. De ceux que je connais. Parce que sans eux je sais pas comment je ferai pour écrire un bouquin. D’ailleurs je vais te laisser là. Il me reste plus que deux ans, dix mois et des poussières. Autant dire une éternité. Je vais peut être me fumer un joint. Avant. Finalement. Et me poser devant secret story. Ca fait trois jours que j’ai pas suivi. J’ai peur de plus rien comprendre. Après je vais enchainer avec Dechavanne. Les infos. Et « Desperate house wives ». Je les ai déjà vues sur canal. Y’a un an. Mais je les ai loupées. Mardi soir. Sur M6. Vu que y’avait l’enterrement de Michael Jackson. Mes jeunes ils étaient pas tristes, le jour de sa mort. Parce que y’avait que du bon son, ce jour là, sur toutes les radios. Et ils kiffent Michael Jackson. Mes jeunes. Ils pouvaient pas être triste. Donc ! C’est ça que j’aime bien aussi. Avec eux. Ils voient toujours le bon côté des choses. C’est vrai que ses chansons elles sont éternelles. A Michael Jackson. Sauf que pour eux, mes jeunes, c’est pas une époque qui s’envole. Avec la mort de Michael. Puisqu’ils l’ont pas vécue. Cette époque. Moi si. C’est pour ça qu’ils comprennent que je sois triste. J’avais dix ans quand j’écoutais les Jackson Five. A Vitry. Dans ma cité. Et Thriller, quand le clip est sorti, Hatafia est venu me chercher pour que j’aille le regarder chez elle. Tellement ça faisait peur… Après « Desperate » je sais pas. Je vais peut être me faire « Recherche Suzan désespérément ». En attendant la redif de secret story. Ouais. J’aime bien regarder deux fois. Secret story. Non. Je plaisante. Trois. Avec celle du matin. A onze heures. L’été je me lève tellement tôt que des fois, c’est même pas commencé.
Bon allez. @+
PS : Oui je vais continuer mon histoire avec Momo et Théo. Evidemment ! En ce moment j’ai des journées chargées. T’as vu ?
D’ailleurs merci pour tes courriers. Tes commentaires. Tes remarques. Tes notes… J’ai jamais eu d’aussi bonnes notes.
Allez à tchao. Ca commence.