Magazine Journal intime

Je me souviens…une enfance marocaine…

Publié le 01 décembre 2009 par Caryl

Aujourd’hui j’ai quinze ans, je commence à grandir, mes parents me laissent une grande liberté. Je suis une force de la nature, c’est ce que dit papa, du plus loin que je me souvienne et dans le genre, peur de rien, je fais tout pour ne pas le décevoir…

Mon frère, Jean Louis et moi, avons grandi au bord de l’eau dans un univers où tout le monde se connait. Nous passons six mois par an, Noël, Pâques, les 3 mois de vacances et tous les week end, sur une plage qui est notre paradis.

Une crique magnifique appelée Crique Roc. A 25 km de Rabat. 
Une barrière de Rochers exactement comme une barrière de corail, enserre une grande lagune en forme de crique qui est en fait une énorme piscine et abrite des écosystèmes merveilleux.

Papa pêche et s’évade ainsi de ses lourdes responsabilités professionnelles. 
Il disparait mystérieux de longues nuit sur cette longue barrière de rochers sous laquelle vient se fracasser la houle et parfois des vagues gigantesques du bout du monde.

J’ai peur pour lui. Il est mon héros. 
Lorsqu’il s’éloigne, je tressaille. 
Et si les forces de la mer et la nuit l’engloutissaient…
Pourquoi va-t-il vers cet endroit si dangereux, que l’on appelle le Trou de la mort et où l’on nous interdit d’aller?
 Un trou dans la falaise dans lequel tel un mixeur gigantesque, des remous font tournoyer une houle blanche qui repart aspirée à chaque vague pour revenir plus dangereuse avec la vague suivante.

Toute ma vie, j’aurai peur pour lui…
Au matin, il arrive magnifique éclairé par le soleil levant, il marche de ses pas de géant, sa cannes à pêche fichée vers le ciel et son panier d’osier dans le dos rempli des merveilles de la mer. 
Ma mère prends des bains de soleil, pèche dans les trous d’eau, des goujons et des petits sars pour la soupe de poissons, boit du café avec ses amies et arpente dans l’eau, de long en large, la plage avec notre chien Whisky.

Nos repas sont fait de moules, d’oursins, d’ombrine, de soles. Ces dernières sont péchées à l’aube par le vieil Abdeslem. Il arpente la lagune avec son trident qui ne laisse aucune chance aux soles glissant sous ses pieds.

Sa femme s’appelle Shama, elle vit dans une Kheima dans le champ en arrière de la plage et nous adorons aller dans ce bout de maison à notre taille, qui ressemble à une cabane entourée d’épineux. 
Impeccables, nous nous asseyons respectueux sur ces modestes bats flancs recouverts d’étoffes multicolores qui sont leur seul trésor.

Shama aide ma mère pour le petit ménage. Nous allons souvent lui mendier du bon pain chaud qu’elle cuit dans son four en terre et qu’elle nous offre de bon cœur avec un large sourire édenté. 
Ils ont un fils, Ali, qui est notre frère, notre meilleur Copain. 
Ali est noir ébène c’est un enfant adopté. Il est toujours en train de rire et lorsque la nuit est vraiment noire, ce sont ses dents qui le trahissent.

Grands parents, oncles, amis, tous ont un cabanon sur cette crique de rêve. 
Un village de paradis où nous grandissons en sécurité. 
Nous vivons sans électricité, juste quelques lampes à pétrole. Pas de Frigo.
 Parfois le dimanche, une charrette avec un âne passe le matin avec des barres de glace à mettre dans des glacières archaïques. 
Nous nageons et jouons toute la journée. 
A la tombée de la journée, si nous sommes riches de quelques piécettes, nous nous dirigeons vers la petite épicerie de bois qui abrite derrière des bocaux de verre, les réglisses juteux, les sucettes berlingots ovales et rayées au goût d’anis, et les bazookas roses qui nous font des joues de hamsters…
Nous nous moquons gentiment de l’épicier Toto Lombardo, le magnifique, dont la vielle Dauphine, les jours de ravitaillement, le ramène miraculeusement de Rabat en zig zaguant car elle ne carbure pas à l’essence, mais au pastis…

Le soir, épuisés, par crainte d’aller nous coucher dans le noir, nous squattons la veillée familiale des adultes… rami, poker, canasta…
Nous tombons comme des mouches sur les canapés sommaires qui entourent la table familiale, recroquevillés sous les lourdes serviettes d’éponge rugueuse. Malins comme des jeunes chats sauvages, l’oreille aux aguets, pour ne pas être expulsés du cercle magique de ceux que nous aimons, nous sommes parfaitement capables de répondre tout en dormant, que nous n’avons pas encore sommeil…
Au matin, nous filerons dans le soleil levant, arpenter une grève de matins du monde.
Pendant la nuit, la mer aura laissé à notre intention, dans des trous d’eau ou des rochers qui forment de véritables aquariums, coquillages de nacre, étoiles de mer, tomates de mer, ormeaux, alvins argentés et une eau d’une pureté de cristal.
 Toute notre vie, l’aube sera le signal de bonheurs neufs à espérer…

Nous avons deux tenues, maillots et puis survêts de coton, amples et doux. 
Nous marchons toujours pieds nus, rien ne nous rebute, rochers, ronces, épineux…

Avec Ali Sendadi, nos meilleurs amis sont les enfants du Commissaire Lyazidi, Marc Antoine le Corse, Gabriel Turquois, Mahmoun Lahbabi fils du grand intellectuel, Mohammed Lahbabi…

Ah vertu de l’enfance, pays merveilleux, on ne sait qui est Marocain qui est Français. 
On respire la nature de tous nos pores, nos sens, nos émotions…
On est tous les enfants du pays…pour l’éternité !

Nous ignorons encore, que, pour des décennies, nous surmonterons les obstacles inévitables de l’existence grâce à ce concentré de bonheurs vrais et de parfum d’iode, qui formera le socle de nos Vies.


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