Lu dans la presse aujourd'hui:Pierre Buffin, roi des effets spéciaux

Publié le 01 décembre 2009 par Lauravanelcoytte

Pour garder secrètes les premières images d'Adèle Blanc-Sec de Luc Besson et du Marsupilami d'Alain Chabat, il ne donne pas rendez-vous dans ses studios du nord de Paris. Vu les enjeux financiers que représentent les films qu'on lui confie, c'est une règle «maison». Pierre Buffin préfère le calme de son hôtel particulier au cœur de la capitale à ce blockhaus bourré d'ordinateurs et protégé par un système de sécurité digne du Pentagone. Comme il ne fait rien comme les autres tycoons du septième art, Pierre Buffin n'affiche pas sa puissance avec un hall aux murs couverts d'affiches de ses films. Dans sa demeure cossue, des dizaines de phacochères, de gnous et de gazelles empaillés observent le visiteur d'un œil torve. Près du secrétariat, un lion cohabite avec un bébé zèbre surnommé «Pyjama» par les salariés. On se croirait chez Deyrolle. La poussière en moins.

Impossible de deviner qu'on se promène chez l'un des plus grands spécialistes mondiaux des effets spéciaux. Un artiste mais aussi un manager qui règne sur un studio de 300 salariés pour 29 millions d'euros de chiffre d'affaires. De Spider-Man à Harry Potter, en passant par Batman et Matrix, le studio Buf est, depuis l'an 2000, au générique de quinze des plus grands films américains. Foules virtuelles, cités antiques ou futuristes, tirs de missile au ralenti, poursuites dans la montagne enneigée, visage en sable qui s'effrite, vers qui grouillent dans le corps d'un mort-vivant et même films d'animation en 3D façon Pixar, tout est possible dans la sphère Buffin.

En haut de l'escalier en marbre, l'assistante attend, tétanisée. Le maître des lieux est connu pour son mauvais caractère - lui-même se dit «odieux». Tel un fauve à la crinière ébouriffée, il déboule sans bruit de ses deux mètres de haut. Son regard est aussi noir que le buffle au-dessus de sa tête : «On est vraiment obligé de prendre une photo ?», bougonne-t-il avant de s'amadouer.

Serviteur de luxe de l'industrie du cinéma, Pierre Buffin tire son aura d'un sens aigu du travail bien fait et d'un engagement total, une fois la décision prise de faire un film. «Mon ambition est de créer les plus belles images du monde. Je suis capable d'investir personnellement un million d'euros pour que les plans soient parfaits. À terme, c'est ce qui restera et m'apportera de nouveaux clients.» Mercredi prochain, le public pourra se faire une idée de son travail en allant voir Arthur et la Minimoys : la Vengeance de Malthazard, le très réussi film d'animation de Luc Besson qui sort sur 900 écrans. Interaction accrue entre le live et la 3D avec l'irruption spectaculaire des personnages animés dans le monde humain, nature époustouflante de réalisme avec des couleurs magnifiques, des effets de lumière et de très beaux mouvements de l'eau… les scènes créées par Pierre Buffin sont du niveau du studio Pixar. Le 16 décembre, rebelote avec la sortie d'Avatar, film très attendu de science-fiction de James Cameron. Les effets spéciaux qui se passent sur terre sont signés Buf.

Il fait le siège des ministères

Pour l'heure, Pierre Buffin travaille surtout pour Luc Besson. Après le logo d'EuropaCorp (la femme ailée qui jaillit de l'eau avec des dauphins) et la trilogie d'Arthur et les Minimoys, il doit lui livrer Adèle Blanc-Sec, qui sortira au printemps. Que deux personnalités aussi fortes arrivent à s'entendre est un miracle. Question de respect entre les deux loups solitaires du cinéma français. Et de culture : l'un comme l'autre ont appris des Américains à être pragmatiques. «Luc est un réalisateur avec lequel il est très facile de travailler. Quand il dit rouge, il ne revient pas dessus six mois plus tard. Il aime les gens qui travaillent bien et lui apportent des solutions.» Si ça marche entre eux, c'est aussi parce que Pierre Buffin sait se montrer conciliant : alors que le box-office d'Arthur et les Minimoys se chiffre en millions (6,3 millions d'entrées en France pour le premier opus et 108 millions de dollars de recette), il ne réclame pas d'intéressements et se contente d'une somme fixe.

Ce qui l'agace prodigieusement en revanche, c'est de voir la France, longtemps à la pointe des effets spéciaux, perdre du terrain au profit du Canada, de l'Australie, de la Grande-Bretagne et de la Nouvelle-Zélande. Dans ces quatre pays, les gouvernements ont voté d'importants crédits d'impôt pour cette technique. Du coup, beaucoup de sociétés qui n'existaient pas il y a seulement cinq ans ont pu grandir très vite en cassant les prix et en embauchant les meilleurs diplômés des écoles d'animation françaises. Pragmatiques, Warner, la Fox, Sony… font leur marché là où c'est le moins cher. Surtout en période de crise. Malheureusement pour Pierre Buffin et ses confrères, le tout nouveau crédit d'impôt offert par la France aux cinéastes étrangers ne prend pas en compte les commandes d'effets spéciaux. Les conséquences ont été immédiates : «On aurait dû faire 500 et non pas 30 plans d'Avatar et l'appel d'offres d'un blockbuster avec Megan Fox vient de nous filer sous le nez, soupire Pierre Buffin. Nous finançons les meilleures écoles du monde d'animation, mais comme nous n'avons plus de travail à offrir, nos milliers d'étudiants partent travailler dans les nouveaux studios anglo-saxons. C'est idiot.»

Ce discours-là, il le rabâche depuis plus de deux ans. Mais ni les ministères dont il fait le siège ni la grande famille du cinéma français ne l'écoutent. «Ici, les effets spéciaux sont jugés ringards. Les gens qui comptent dans le cinéma français ne veulent pas s'ouvrir à l'international, c'est une grave erreur.» Par chance, ses trucages arrivent encore à convaincre Hollywood, même s'il n'a plus le même niveau de commandes. Alors que les studios historiques d'Éclair, où la majorité des réalisateurs font développer leurs copies, vont mal, Pierre Buffin propose une alternative avec un laboratoire flambant neuf et une salle de projection privée en plein Paris. Il s'essaye aussi à la production avec des films comme Ricky de François Ozon et Into the Void de Gaspard Noé. Il se donne encore un an. Sinon, cap sur Los Angeles.

VIDÉO - La bande-annonce du film d'animation Arthur et la Vengeance de Maltazard:

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