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Un enfant du siècle

Publié le 02 décembre 2009 par Jlk

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 À 18 ans, Sacha Sperling compose un roman des dérives adolescentes d'une fulgurante lucidité.

«Tes plaisirs sont des trêves, faciles et rapides », écrit Sacha, 14 ans. « Tu as tout et pourtant tu te retrouves peu à peu le cœur vide et la tête pleine d’images violentes qui seules peuvent te rappeler que tu es en vie ».

D’une implacable acuité, le regard que Sacha porte sur lui-même vaut pour les enfants pourris-gâtés de son âge et les adultes. Or, il est le premier à ne pas se ménager : « Si vous me regardiez au moment où je vous parle, vous ne verriez rien. Rien d’intéressant». Mais tout de suite il faut le préciser : que Sacha Winter, narrateur du livre, 14 ans, n’est pas identifiable à Sacha Sperling, 19 ans aujourd’hui, qui a écrit Mes illusions donnent sur la cour et se défend d’avoir vécu les situations extrêmes ponctuant la dérive de son protagoniste.

Le Sacha du roman a des bleus au cœur, non sans raisons. Il y a chez lui du type de l’enfant de divorcés immatures qui fuit dans la musique abrutissante et la défonce à l’alcool, ou à l’herbe, puis à la coke, les baises confuses, les frasques et les provocations signifiant autant d’appels au secours. Pas plus que ses parents largués, ni les kyrielles de psys qu’on lui colle depuis l’âge de quatre ans, ni les profs ne lui apportent ce qu’il demande au fond : une vie plus intense et plus vraie, de l’amitié et de l’amour peut-être, comme il les trouve chez un son alter ego Augustin. Comme les Kids de Larry Clark ou les « zombies » de Bret Easton Ellis, le Sacha du roman incarne une adolescence à la fois blasée et sûre de rien, qui couche avant d’échanger ses prénoms et en souffre « quelque part », oscille entre vague bisexualité individuelle  et conformiste homophobie de groupe, sait tout par internet et patauge dans son bouillon d’inculture.

Tout cela que Sacha Sperling a lui-même vécu lui-même ou par contact social et affectif, tout en récusant l’identification de son personnage à l’auteur. Bien plus que le prof observateur d’Entre les murs, l’auteur de Mes illusions donnent sur la cour est en phase avec les ados qu’il observe. Mais ce qui stupéfie est la maturité avec laquelle, par la voix du Sacha de 14 ans, il module ses constats. Or son entourage, et sa propre éducation, y sont évidemment pour quelque chose.

Issu de milieu artiste et cultivé, Sacha Sperling est en effet le fils de Diane Kurys, comédienne et réalisatrice de premier plan (Prix Delluc pour Diabolo menthe), dont le dernier film est consacré à… Françoise Sagan, et d’Alex Arkady, réalisateur très en vue lui aussi, notamment du Coup de sirocco, de Pour Sacha ( !) et d’Avoir vingt ans dans les Aurès.

Cela étant, comme Sacha Sterling aime à le relever : c’est depuis qu’il a publié son livre, chaleureusement accueilli par ses parents par ailleurs, qu’on lui fait le coup du « fils de» ! Or, sans donner dans le paradoxe, nous pourrions nous demander si ce si jeune auteur n’a pas tout contre lui pour être pris au sérieux : trop doué, trop indépendant d’esprit (rien du « bon jeune » dans sa perception de la douleur autant que dans son ironie féroce), trop joli garçon aussi. Pour ce qui nous concerne, en attendant son prochain livre, nous y voyons une valeur sûre de la relève du roman français actuel, qui en a tellement besoin…


Le trop grand poids
du monde

À la fin du récit de Sacha Winter, narrateur de Mes illusions donnent sur la cour, le romancier le vire gentiment pour s’adresser au lecteur: "Sachez que ce qu'il vous a raconté est probablement faux puisque la vérité l'a toujours effrayé. Il est plus facile pour lui de romancer une réalité médiocre".

Or, si la réalité ressaisie ici est effectivement "médiocre", comme tant de confessions juvéniles imbibées de sexe, de drogue et de rock'n'roll, la modulation littéraire de ces thèmes, le "montage" du roman, et plus encore la vérité de celui-ci, les sentiments qu'il filtre avec une incomparable attention, les dialogues qui en découlent avec tant de justesse, sont d’un véritable écrivain.

On ne criera pas au chef-d'oeuvre, mais les coups de sonde dans le coeur humain et l’observation des mécanismes sociaux de ce premier roman dénotent une pénétration aiguë chez le jeune auteur. Enfin il faut signaler la poésie profonde de ce livre, et ses échappées de lyrisme urbain : "Les jeunes aux yeux vermillon se sont arrêtés. Ils regardent le ciel avec angoisse. Un instant on peut sentir le poids du monde sur leurs épaules. Le trop grand poids du monde. À l'heure où tout devient plus sombre, il nous faut rapidement nous regarder en face."

 

Sacha Sperling. Mes illusions donnent sur la cour. Fayard, 265p.

Ces articles sont à paraître dans l'édition de 24 Heures du 5 décembre 2009

 


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