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Les Vanupieds (15)

Publié le 01 décembre 2009 par Plume

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Midi n’était pas loin lorsqu’ils parvinrent à un bourg complètement désert. Là ils trouvèrent une fontaine où ils s’abreuvèrent longuement.

« Oh ! Que j’ai mal aux pieds ! » Se plaignit Alissa en s’asseyant sur le rebord du bassin.

France resta un instant silencieuse à contempler les écorchures dont en effet les petits pieds nus de sa sœur étaient recouverts.

« Il faut nous fabriquer des chaussures en peau ! Dit-elle tout à coup.

- Comment ? » Interrogea Adam en s’aspergeant le visage avec délice.

France ne répondit pas de suite. Elle examina les alentours : la rue, les maisons au toit de chaume, une église sur la droite qui dressait vers le soleil la pointe de son clocher… Mettant une main en paravent, elle scruta le ciel : il n’y avait pas l’ombre d’un nuage et le temps n’allait pas en se rafraîchissant, loin de là.

« Nous allons prendre de quoi boire ! » Déclara-t-elle.

Elle s’installa à côté d’Alissa et retira de sa sacoche une miche de pain qu’elle avait achetée avec le sou d’Abby, les pierres à feu, un couteau et enfin une large pièce de tissu grossier. Elle posa le tout sur le sol et remplit le petit sac d’eau.

« Je ne savais pas que ça pouvait faire gourde ? S’exclama Adam, admiratif.

- Moi non plus, répondit France, jusqu’à maintenant.

- Où on met ça ? Demanda Alissa. Nous les laissons là ? »

France réfléchit une seconde, observant tour à tour le tissus et le couteau à ses pieds. L’idée prit rapidement forme dans sa tête. Elle ramassa ces derniers, les cala entre ses cuisses et entreprit de concrétiser sa pensée. Adam et Alissa, tous deux silencieux, la regardèrent faire, n’osant l’interrompre. Mais ils ne furent pas long à comprendre et sourirent de contentement : France fabriquait simplement trois larges ceintures qui, quand elles seraient repliées sur toute leur longueur, leur permettraient de transporter tout un tas de choses indispensables sans gêne aucune.

« Tenez ! Dit-elle, une fois qu’elle eût achevé. Mettez ça autour de la taille. Nous allons nous répartir les affaires. Adam, prends le couteau…

- J’en ai déjà un.

- Bon ! Donne-le à Alissa. Toi tu prendras les pierres à feu et le reste du tissu. Quant à moi, je me charge de l’eau et du pain. Pas d’objections ?

- Non ! Répondirent-ils avec ensemble.

- Comment comptes-tu nous faire des chaussures en peau ? Interrogea Alissa. Tu n’as pas répondu… »

France inclina la tête, à nouveau songeuse, et promena machinalement les yeux aux alentours. Tout à coup elle tendit le doigt vers la gauche :

« Là-bas, il y a une forêt. Nous pourrons y trouver de quoi manger, des fruits peut-être. Nous verrons alors !

- Une peau d’animal ? Suggéra Adam.

- Oui.

- Je pourrai le chasser ? S’exclama-t-il avec espoir.

- Oui, bien sûr.

- Chouette ! S’écria Adam en bondissant de joie. Nous nous fabriquerons aussi des armes. Une fronde par exemple. Ce sera plus simple pour tuer une bête, tu ne crois pas France ?

- Sans doute… » Marmonna l’aînée, fronçant les sourcils sous l’intensité de sa réflexion.

Abby trottina jusqu’à elle, de plus en plus réjouie de la balade.

« J’ai faim ! » Dit-elle en s’accrochant à sa robe.

France caressa son front et lui coupa une tranche de pain. Satisfaite, Abby s’assit à ses pieds et mordit dedans à pleines dents.

« Je… »

Comme France se tournait vers elle, Alissa rougit jusqu’aux oreilles et fuit son regard, comme si elle avait honte de ce qu’elle allait dire :

« Tu pourrais peut-être nous couper une tranche à nous aussi ?

- Non.

- Mais nous avons faim ! Protesta Alissa, au bord des larmes.

- Tu as faim, corrigea France avec fermeté. Mais tu n’as pas l’âge d’Abby et tu attendras que nous ayons établi un campement dans la forêt, comme Adam et moi.»

Alissa détourna la tête et croisa nerveusement les mains sur ses cuisses.

France se leva et accompagnée d’Adam, s’éloigna de quelques pas afin d’évaluer un peu plus précisément la distance qui leur restait à parcourir avant d’atteindre l’orée du bois.

Alissa les suivit un instant des yeux, irritée après sa sœur. Pourquoi n’auraient-ils pas droit eux aussi à une tranche? Abby, toujours assise appuyée contre le bassin, finissait tranquillement la sienne. Alissa l’enviait. C’était quelque chose de très douloureux tout au fond de son ventre. L’air embaumait du parfum des mets que se partageaient les habitants du bourg. Son estomac se mit à gronder... Et la miche de pain, posé sur le rebord, l’attira irrésistiblement. Constatant que son frère et sa sœur avaient le dos tourné, elle ne résista plus. Tant pis pour l’interdiction ! Elle avait faim. Alors elle s’en empara.

« Il ne faut pas ! » Dit Abby tout à coup au moment où elle coupait une tranche.

Alissa sursauta. Debout à son côté, la petite fille la regardait avec reproche.

« Tais-toi ! S’impatienta Alissa. J’ai faim moi aussi figure-toi !

- France a dit non.

- Je me fous de ce qu’a dit France. Tais-toi ! »

Et elle acheva de couper. Abby éclata en sanglots.

« Chut ! Murmura Alissa, effrayée. Arrête de pleurer, Abby, voyons ! »

Cependant France et Adam avaient entendu les pleurs. Aussitôt ils se retournèrent et lorsque l’aînée remarqua le pain dans la main d’Alissa, elle n’eut aucune peine à deviner les raisons de ces derniers. Rouge de colère, elle marcha à grand pas vers elles. L’apercevant, Alissa tenta de dissimuler son forfait et sauta sur ses pieds… Mais avant qu’elle n’ait pu dire le moindre mot, France la giflait violement et lui arrachait le pain des mains. Alissa, surprise, recula d’un pas.

« Que je ne te reprenne jamais plus à faire ça ! Siffla l’aînée entre ses dents. Tu entends ? Jamais !

- Mais j’ai faim, moi ! Gémit Alissa en se frottant la joue.

- Non, tu n’as pas faim ! C’est de la gourmandise !

- J’ai faim ! Hurla Alissa, prise de fureur. Tu n’avais pas le droit de me frapper ! Tu es méchante et injuste, je te déteste !

- C’est parfait ! Déclara France, glaciale. Au moins je suis fixée. Mais je vais te dire ce que je pense de toi. Tu es jalouse d’Abby, tu n’admets pas qu’il y en ait plus pour elle. Et bien sache dès à présent qu’il y en aura toujours plus pour elle parce que c’est la plus petite et la plus fragile de nous quatre. Et toi, Alissa, je t’interdis de toucher à ce pain. C’est le sien. Tu as compris ? Je t’avertie que si je t’y reprends une seule fois, tu le paieras très cher. Nous sommes sur les routes, nous devons avoir confiance les uns dans les autres si nous voulons y arriver. Mais maintenant que je sais que tu es capable de voler de la nourriture à tes propres frères et sœurs, je ne pourrai plus te faire confiance. Sache, Alissa, que je méprise ta jalousie envers Abby, tu me fais honte. »

France laissait peser sur sa sœur tout le poids de son redoutable regard. Affreusement blessée, Alissa pivota sur ses talons et courut pleurer toutes les larmes de son corps au pied de l’unique arbre de la petite place où ils se reposaient depuis une heure.

« Ma pauvre Abby ! Murmura France en soulevant l’enfant éplorée dans ses bras. Sèche tes larmes, c’est fini. Nous allons repartir.

- Où ? Demanda Abby reniflant, en calant sa tête blonde au creux de son cou.

- Voir la mer.

- Qu’est ce que c’est, la mer ?

- Les hommes d’armes des tavernes disent que c’est quelque chose d’immense, une vaste étendue d’eau aussi bleue que le ciel, tellement vaste que tu n’en vois pas le bout.

- Alors, dit Abby, impressionnée, c’est beau ?

- Très beau.

- Nous y serons bientôt ?

- Oh ! Certes pas ! S’exclama France en la reposant à terre. Nous en sommes loin. Mais nous la verrons un jour, je te le promets. »

Satisfaite, rassérénée, Abby se tut. France leva les yeux vers son frère qui, l’air triste, s’était assis sur le rebord du bassin.

« Nous y allons ?

- Oui. Répondit Adam en se remettant debout. Et Alissa ? »

Le visage de France se durcit singulièrement.

« Je ne connais plus Alissa ! Tu n’as qu’à le lui faire savoir ! »

Ceci dit sur un ton qui n’admettait aucune réplique, elle prit la sacoche et le pain qu’elle glissa dans sa ceinture, attrapa la main d’Abby et se mit en route.


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