Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2009.
L’ÉCRITURE POÉTIQUE À L’ÉPREUVE DE LA DÉPOSSESSION
Les ombres peintes qui peuplent une vie peuvent-elles être photogéniques ? Faut-il rendre aux ombres peintes leur photogénie originelle ? Faut-il au contraire s’en déprendre ? S’en séparer de manière radicale ?
Dans son dernier ouvrage, Photogénie des ombres peintes, Sandra Moussempès interroge ombres et reflets, mirages du rêve-réel. Rencontres et échanges, fusion amoureuse et détachement, idylles et dérives, ruptures et naissances sont vus dans le flou de « la presqu’île du miroir photographique », au travers de la pellicule distanciée de la parodie et des verres inversés de la caméra optique.
Ph., G.AdC
Images captées dans le mouvement cinétique de l’écriture et de ses dérives naturelles, abîmes d'images, les ombres peintes de Sandra Moussempès clignotent/s’éclipsent d'une section à l'autre de son recueil, dans un labyrinthe énigmatique en sept chapitres. Prise entre les jeux et variations de la perception, l’entreprise poétique de Sandra Moussempès semble se situer à la croisée d’un désir soumis « aux lents reflets d’une fiction cosmique » et à sa dispersion en « prototypes d’absence ». Entre ces « bornes d’affrontement » naissent les « pièces détaillées » de ses poèmes, « éclats de film noir imprimés sur les murs ». Et les titres en italique – mais ne s’agit-il pas le plus souvent d’exergues ? –, qui introduisent la plupart de ces pièces, sont autant d’énigmes qui interrogent le lecteur et composent à eux seuls, à les lire à la suite, un autre poème.
Sans doute faut-il alors, modestement, s’en remettre à l’exergue de Goethe, choisi pour introduire la dernière section du recueil, « Kyoto élégies (9) » : « Je vous en prie, ne cherchez rien derrière les phénomènes. Ils constituent leur propre leçon ».
Ainsi l'écriture scarifiée de Sandra Moussempès tente-t-elle de capter le réel par de multiples procédés : le recours au vocabulaire technique de la photo, du cinéma, la juxtaposition cinétique d’images cocasses et de syntagmes nominaux déformés par « malentendus », les jokes et la parodie, les inversions de mots et associations d'idées ; tout un ensemble d'expressions qui détonnent, étonnent et détonent par la justesse de leur surgissement inattendu au cœur du discours.
Ph., G.AdC
Observatrice clinique à l'œil froid, détaché, « Méphista dé-charmée », collectionneuse de « flacons de mémoires suturées », découpeuse du réel au scalpel, Sandra Moussempès n’a de cesse que de se libérer du sentiment amoureux ― réduit à un simple phénomène d’attraction-répulsion ― de sa fragrance trompeuse « eau de ronce » avec un humour acidulé et grinçant.
Recueil de poèmes dédié à Virgile ― son fils ? ―, Photogénie des ombres peintes évoque pourtant la vie à venir et la création littéraire. Sandra Moussempès ne déclare-t-elle pas dans les deux derniers poèmes de l’ouvrage, dans « Conception » d’abord et dans « Nomenclature » ensuite : « Tout ce que j’attends tient dans mon ventre » et « J’incante à vos vies lexicales » ?
Peut-être est-ce là – une fois dispersés et dissous, volontairement, tous les égrégores qui encombrent une vie, une fois écarté et défait tout frisson, tout désir – ce qui reste d’essentiel : « le liquide où se délie » son récit.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
SANDRA MOUSSEMPÈS
Ph., G.AdC
Voir aussi :
- (sur Poezibao) un extrait de Photogénie des ombres peintes ;
- (sur Terres de femmes) Sandra Moussempès/Vestiges de fillette (poème Psaume X [Emily B. (Autour de « Wuthering Heights »)] issu du même recueil) ;
- (sur Terres de femmes) Sandra Moussempès/Penny Prose (un poème issu de Vestiges de fillette) ;
- (sur le site du cipM), une fiche bio-bibliographique sur Sandra Moussempès ;
- (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique de Sandra Moussempès par elle-même ;
- le blog de Sandra Moussempès.
Retour au répertoire de décembre 2009
Retour à l' index des auteurs
Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »