Gericault fait des émules
La galerie Krinzinger (Vienne) a exposé à la FIAC une oeuvre remarquable du très courtisé Kader Attia. Cet artiste d’origine algérienne a assurément le vent en poupe. Touche-à-tout génial et inspiré, il se fait remarquer dès 2000 avec une oeuvre vidéo «La piste d’atterrissage» dédiée aux transsexuels algériens exilés à Paris, alors qu’au même moment l’Algérie s’embrase. Depuis ses créations ne cessent de voyager dans le monde entier.
Dans la plupart de ses oeuvres vidéo, photographiques ou ses installations, comme «Le mythe du cargo» (vidéo, 2006) ou «Moucharabieh» (2006, installation constituée par une superposition de menottes de police qui rappelle les caractéristiques de l’architecture maure) Kader Attia interroge la condition de l’exil, l’identité conflictuelle d’une culture déracinée. Bien que né en Seine-Saint-Denis (en 1970) , l’artiste s’attache à pointer toujours les questions liées aux migrations, à la dépossession et autres effets pervers de l’éloignement, puisant sans doute dans son destin bipolaire les réponses susceptibles de barrer la route aux injustices.
L’oeuvre présentée à la FIAC (“Harragas, les damnés de la mer”) relève d’une implication tout aussi militante dans le combat que mène cet artiste contre les discriminations et les tragédies qu’elles génèrent. Le sujet est ici ce que les médias appellent «l’immigration clandestine» , et plus particulièrement celle qui s’organise depuis de nombreuses années à partir des côtes du Maghreb vers les rivages d’un Occident rêvé.
L’impact est d’autant plus fort que Kader Attia s’approprie une des icônes les plus célèbres de la peinture romantique française, une image connue de tous, pour montrer que deux siècles après le naufrage de la «Méduse», rien n’a changé. Géricault accusait ouvertement l’Etat monarchique (Louis XVIII) d’avoir enterré l’affaire sous une chape de silence et de non-dit. Attia, dans une même démarche quasi journalistique, dénonce l’abandon institutionnalisé des plus désespérés d’entre nous. Vie, mort, espoir, désespoir. A deux siècles d’intervalle, deux artistes philanthropes contemplent avec la même amertume la lente agonie des vestiges d’un humanisme oublié.
La composition de l’oeuvre aussi est stupéfiante: l’auteur a constitué une vaste mosaïque de minuscules photographies représentant différentes scènes illustrant le calvaire des immigrés clandestins, et y a superposé une reproduction du tableau de Gericault.
Détail de “Harragas, les damnés de la mer”
Inkjet on canvas
248X350 1/3
Le «Radeau de la Méduse» est décidément mobilisateur. Peu après la FIAC, je découvre cette autre oeuvre photographique de Gérard Rancinan intitulée «Le Radeau des Illusions». Un exemplaire y était exposé à la START (Foire européenne d’art contemporain de Strasbourg) par la Galerie Brugier-Rigail (Paris).
Là encore, c’est la question de l’immigration, des rêves et des appétits illusoires suscités par la société de consommation occidentale, qui est abordée. Mais la conception de l’oeuvre, la technique employée et l’exploitation du tableau de Gericault sont radicalement différentes. Rancinan a travaillé à la fois comme un peintre et un metteur en scène. Il reproduit la dramaturgie imaginée par Gericault, les gestes et les postures, mais les personnages sont réels et non des modèles. Ils sont tatoués, portent des piercings et des vêtements de marque en lambeaux. Transposition fascinante.
Le radeau des illusions
Gérard Rancinan, 2009
48X33 / Tirage argentique sur diasec
(source: zephir-blog)