Mais quel horrible et
effrayant spectacle on avait sous les yeux, lorsque quelqu'un de ces saints
pénitents touchait à sa dernière heure ! Alors tous ses fervents compagnons
venaient entourer son lit de mort; et ces hommes, dévorés par une soif
brûlante, en proie à la plus cruelle affliction, enflammés par l'ardeur et la
vivacité de leurs désirs et de leurs vœux, lui exprimaient, par une contenance
qui inspirait la compassion, par leurs paroles lamentables, par leurs
mouvements de tête, les sentiments de la plus tendre et de la plus grande
commisération. «Qu'y a-t-il, ô notre cher frère, ô notre tendre compagnon, lui
disaient-ils avec une tendresse qui allait au cœur, qu'y a-t-il de nouveau pour
vous ? Comment vous trouvez-vous en ce moment ? Qu'auriez-vous à nous dire ?
Quelles sont vos espérances ? Quelles sont vos affections et vos pensées ?
Avez-vous lieu de croire que vous ayez obtenu ce que vous avez cherché avec
tant de peine et d'ardeur, ou bien auriez-vous travaillé sans succès ?
Êtes-vous enfin parvenu au port du salut, ou bien auriez-vous encore à craindre
un triste naufrage ? Êtes-vous directement arrivé au but de votre voyage, ou
bien vous seriez-vous égaré ? Concevez-vous une espérance certaine d'avoir reçu
le pardon de vos péchés, ou n'auriez-vous encore qu'une assurance fort
incertaine de votre salut ? Vous trouvez-vous dans une parfaite liberté
d'esprit et de coeur ou seriez-vous encore dans le trouble et les angoisses ?
Votre âme a-t-elle été éclairée des lumières consolantes du ciel ou serait-elle
encore dans les ténèbres et dans la nuit de la confusion ? Auriez-vous enfin
entendu intérieurement ces paroles : Tu es guéri (Jn 14); tes
péchés te sont remis (Mt 8); ta foi t'a sauvé (Mc 5) ?» ou bien
ces sentences terribles : Que les pécheurs soient précipités dans les
enfers (Ps 9); liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les
ténèbres extérieures (Mt 22); qu'on enlève l'impie, car il ne verra
pas la Gloire du Seigneur dans son temple (Is 22) ? Quelles réponses, ô
notre cher frère, pouvez-vous faire à toutes nos questions ? Parlez-nous sans
détour et franchement, afin que nous puissions un peu connaître le sort qui
nous attend nous-mêmes, car pour vous, le temps de la vie va finir, et quand
une fois on est entré dans l'éternité, il n'y a plus de temps. Alors
quelques-uns répondaient par ces paroles. Que Dieu soit béni à jamais; car
Il n'a pas rejeté ma prière ni retiré sa Miséricorde de dessus moi (Ps
45). D'autres répondaient : Béni soit le Seigneur, qui ne nous a pas
laissés en proie à la fureur ni à la voracité des dents cruelles de nos
ennemis (Ps 123). D'autres, pressés par la douleur de leur cœur, se
contentaient de dire : Notre âme pourrait-elle bien passer ce torrent
impétueux, dans lequel les puissances de l'enfer cherchent à la perdre ?
(Ps 123). Or ceux-ci parlaient de la sorte, parce qu'ils n'étaient point assez
assurés de leur salut, et qu'ils craignaient le compte terrible qu'ils étaient
sur le point de rendre à Dieu. D'autres, enfin, faisaient une réponse bien plus
affligeante : «Malheur à nous, s'écriaient-ils, malheur à l'âme qui n'a pas
gardé les vœux de sa profession ! Voici l'heure unique à laquelle elle puisse
savoir ce qu'elle a mérité pour l'éternité.»saint Jean
Climaque : L'Échelle sainte
«De la véritable et
sincère Pénitence»