degré V, XXIII (22)

Publié le 09 décembre 2009 par Moinillon

Telles sont les choses que j'ai vues et entendues pendant que je suis resté dans ce monastère, et je vous avoue avec franchise qu'en comparant ma négligence et ma lâcheté avec les étonnantes mortifications que ces illustres pénitents pratiquaient avec tant de zèle et de courage, je fus violemment tenté de me laisser aller au découragement et au désespoir. Au reste, de quel côté qu'on envisageât ce monastère, on ne pouvait pas croire que ce fût une maison habitée par des hommes; car elle ne se faisait remarquer que par les ténèbres et l'obscurité qui régnaient dans toutes les pièces dont elle était composée, par la mauvaise odeur qui s'exhalait de tout côté, et par les ordures et la malpropreté qu'on rencontrait partout. C'est donc bien avec raison qu'on l'appelait la prison et le cachot des criminels; car, rien qu'en la regardant, on se sentait pénétré de tristesse et porté à des sentiments de pénitence. Mais ce qui paraît difficile et impraticable à certaines personnes devient facile et même aimable à celles qui connaissent et sentent la perte qu'elles ont faite en perdant l'innocence et, avec elle, les dons précieux du ciel. En effet, une âme, qui se voit privée de la sainte amitié qui l'unissait délicieusement à Dieu, et de la confiance si douce et si consolante qu'elle avait en Lui; qui a perdu toute espérance de pouvoir en ce monde jouir de la paix parfaite, du cœur et de la suprême tranquillité, qui a violé le sceau de sa virginité; qui s'est elle-même dépouillée du trésor inestimable de la grâce et des consolations divines; qui a rompu l'alliance auguste qu'elle avait faite avec le Seigneur; qui a misérablement éteint en elle les ardeurs célestes de la charité et fait sécher la source des larmes qu'elle répandait avec tant de douceur; une âme, dis-je, qui n'est plus frappée que du souvenir déchirant des biens qu'elle a perdus et des maux qu'elle s'est faits, et qui est comme froissée, brisée par la douleur qu'elle conçoit à la vue de sa folie et de ses crimes, non seulement se dévoue et se consacre promptement et avec ardeur aux travaux et aux exercices pénibles dont nous venons de parler, mais, selon qu'elle en est capable, se punit et se purifie par d'autres exercices spirituels. Et pourrait-elle en agir autrement, si elle a conservé quelque reste et quelque étincelle d'amour et de crainte de Dieu ? Tels étaient les sentiments de ces hommes que nous avons considérés; car en faisant toutes ces réflexions salutaires, en connaissant de quel haut degré de vertu ils étaient tombés, ils ne cessaient de se répéter : Que sont devenus ces jours heureux que nous avons passés ? Qu'avons-nous fait de ces bonnes œuvres que nous pratiquions alors avec tant d'ardeur ? D'autres fois ils s'écriaient : Où sont-elles, Seigneur, Tes anciennes Miséricordes (Ps 88,49), dont Tu nous donnais tant et de si grandes preuves ? Un autre disait : Souviens-toi Seigneur, des humiliations, des hontes et des travaux de tes serviteurs (ibid.). Un autre s'écriait : Qui pourra me remettre dans l'état où j'étais à ces temps heureux qui sont passés, alors le Seigneur Lui-même veillait sur moi pour me garder, et sa lampe répandait une lumière bienfaisante sur ma tête (Job 29 2-3) et dans mon cœur ?saint Jean Climaque : L'Échelle sainte
«De la véritable et sincère Pénitence»