Comme tout le monde, Rose n’aime pas aller chez le dentiste. Quel drôle de métier que de passer ses journées à farfouiller dans des bouches ouvertes. Elle se demande d’où peut venir ce sacerdoce à débusquer la carie sous l’épiglotte tremblante.
Elle s’y rend à l’heure précise pour s’épargner le temps interminable de l’attente. Si le bourreau a du retard, le supplice commence pendant ces quelques minutes où tout se fige au bruit de la roulette. Elle retient sa respiration, elle guette un cri de douleur épouvantable qui ne vient pas.
Il vient toujours chercher sa prochaine victime avec un sourire bienveillant. Rose traîne toujours un peu des pieds et arrivée devant l’appareil de torture, manifeste un petit mouvement subreptice de recul. Le dentiste invite sa martyre à y prendre place.
Allongée sur le fauteuil, elle est à ses ordres sans aucune défense possible.
-Ouvrez la bouche, dit la voix sous le masque.
Rose obéit, elle n’a pas le choix. L’aspirateur de salive dans le coin de la bouche, elle observe son tortionnaire, quel instrument va t-il choisir ? Elle déglutit difficilement car elle se sait à sa merci.
-Hum, hum… oui.
Il inspecte chaque recoin de sa bouche béante, tapotant les dents. Un petit clignement de paupières involontaire, et il devine immédiatement que la dent est sensible.
Elle se cramponne au siège et ferme les yeux en attendant que l’aiguille vienne se planter dans la gencive.
-Bon…ce n’est rien. Vous n’aurez qu’à utiliser un dentifrice pour renforcer l’émail. Si jamais vous avez mal dans quelques jours, revenez.
Pour cette fois, elle est sauvée.
Avant de partir, Rose offre un regard débonnaire à la personne assise dans la salle d’attente.
-Merci Docteur, dit-elle poliment.
Puis, d’un ton condescendant en direction du pauvre patient qui s’agite nerveusement sur sa chaise, elle ajoute d’un ton hautain:
-Et dire que certains ont peur du dentiste !