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Les Vanupieds (17)

Publié le 11 décembre 2009 par Plume

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Abby ne mangeait pas assez et les longs déplacements sous le soleil la fatiguaient beaucoup.

On les chassait souvent à coups de pierre quand ce n’étaient pas à coups d’armes à feu avec en prime toujours la même rengaine haineuse :

« Filez d’ici, sales vermines ! Nous ne voulons pas de mendiants ici ! »

Ils marchaient depuis des jours dans une vaste plaine où les forêts fraîches étaient rarissimes et souffraient de la chaleur cuisante qui décuplait leur faim et leur soif.

Ils s’arrêtèrent une fois non loin d’une ferme près d’un puits afin de s’abreuver. Le fermier sortit en courant et, un bâton à la main, visiblement furieux, se précipita vers eux :

« Au large, misérables ! Cette eau n’est pas à vous !

- Nous ne buvons qu’un peu, répondit humblement France en reculant d’un pas, alors qu’Adam et Alissa, la petite dans leur bras, s’enfuyaient, épouvantés. Nous avons fait une longue route. Ma petite sœur n’est pas bien. Nous avons si soif !

- Je m’en fiche, gueuse ! Eclata l’homme en brandissant le bâton au dessus de sa tête. File d’ici, t’as compris ? »

Il l’abattit sans hésiter sur les frêles épaules de la fillette. Le choc inattendu projeta cette dernière au sol où elle resta étendue une brève seconde, étourdie. Comme elle se redressait sur un coude, les yeux étincelant de rage, un cri retentit :

« Non ! Arrête ! Tu as bu ! Arrête ! Dieu nous punira !

- La ferme, femme ! » Jeta l’homme rudement en écartant la fermière de son chemin.

Il attrapa l’enfant par le bras et la remit brutalement sur ses pieds.

« Et toi, tu files ! T’as pigé ?»

France tourna les talons et courut rejoindre son frère et ses sœurs qui s’étaient réfugiés près d’un talus et guettaient anxieusement son arrivée.

« France ! » Gémit Adam faiblement, au bord des larmes.

D’un geste, pâle de colère, l’aînée lui intima le silence. Impressionnée par la dureté de ses traits, Adam n’insista pas et son cœur se mit à battre à grand coup. Sa sœur n’allait pas en rester là. Il le savait et craignait sa réaction. Souvent très violente. Comme quand Allan était mort. Ce soir là, en se retournant dans la rue vide, il avait vu la fumée noire au dessus des toits… Elle était revenue. Elle revenait toujours. Mais un jour, ça finirait mal.

Effectivement, la foudre s’abattit curieusement sur la ferme, embrasant bâtiments, pailles et récoltes, et ne laissa dans les minutes qui suivirent que désolation, misère et tas de cendres.

Abby était fragile. La miche tint une quinzaine de jours grâce à la vigilance accrue de l’aînée. Ce fut tout. France ne savait que faire pour empêcher sa petite sœur de s’affaiblir. C’est en vain qu’elle lui donna sa part quand ils trouvaient de quoi se nourrir, qu’elle lui confectionna une coiffe avec le fond de sa robe, et de petites bottes avec la peau du lapin. Abby devenait de plus en plus livide et creusée, ne tenant quasiment plus sur ses petites jambes. A tour de rôle, France, Adam et Alissa la portaient et la petite fille somnolait à longueur de temps. Les trois enfants se regardaient avec inquiétude, effrayés par son apathie.

Et Abby finit par tomber malade, saisie d’une très forte fièvre. Ils s’arrêtèrent au bord du chemin sous un arbre, l’enveloppèrent de leurs couvertures et France lui fit avaler de force la potion d’Allan, potion qu’elle avait eue heureusement la présence d’esprit d’emporter. Abby, visiblement très touchée, gémissait, pleurait, s’agitait convulsivement. Désespérés, Adam et Alissa, assis en tailleur autour d’elle, la contemplaient avec impuissance. Tendue, France appliquait sur le petit visage brûlant et dégoulinant de sueur un morceau de tissus mouillé, sans parvenir à cacher à son frère et sa sœur l’angoisse qui l’étreignait. S’ils ne faisaient rien, Abby s’envolerait. Comme Allan.

Les laissant à la garde d’Adam, France partit parcourir la campagne alentour dans l’espoir de trouver des fruits susceptibles d’apaiser leur faim et surtout redonner des forces à la petite.

Elle ne les avait pas quittés depuis dix minutes qu’un fiacre tiré par deux magnifiques chevaux à la robe blanche apparut sur le chemin de terre. Adam sauta sur ses pieds et Alissa, apeurée, prit sa petite sœur dans ses bras en se cachant dans le creux des racines. Adam posa la main sur le manche de son couteau et se campa devant elles deux, résolu à faire ce qu’il fallait pour les défendre.

Au moment où le fiacre passait devant eux, sans que le cocher n’ait daigné leur jeter le moindre regard, Abby poussa un gémissement de douleur et se débattit frénétiquement entre les bras d’Alissa. Une jolie tête blonde couverte d’un large chapeau à plume apparut à la fenêtre.

« Halte ! » Cria-t-elle.

Le fiacre stoppa aussitôt. La passagère, une grande dame richement vêtue, en descendit et, relevant sa longue robe en soie de sa main gantée, s’avança vers les enfants. Epouvantée, Adam pointa son couteau vers elle :

« Non ! N’approchez pas ! »

La jeune femme s’arrêta net et leva vers lui un regard surpris et interrogateur. Abby gémit à nouveau. Un tremblement secoua les épaules de la riche passagère et elle chercha à voir par-dessus le jeune garçon.

« Laisse-moi passer, mon petit ! Lui dit-elle gentiment en tendant une main confiante. Je ne te veux aucun mal. Qui est l’enfant qui souffre ainsi ?

- C’est ma petite sœur ! Répondit Adam, méfiant. Elle est malade. »

En voyant la belle dame faire un mouvement vers les fillettes, Adam s’aplatit comme un animal prêt à bondir :

« Arrêtez ! Ordonna-t-il, affolé. Arrêtez !

- Je veux juste voir l’enfant. Allons, sois raisonnable !

- Non ! Allez-vous-en ! »

Sur un signe de l’aristocrate, le cocher bondit sur le garçon. Avant que ce dernier n’ait eu le temps de se parer, il l’empoignait et le désarmait. Alors les dentelles approchèrent d’Alissa, blottie avec terreur contre le tronc rugueux de l’arbre. Impuissant à se dégager de la poigne du cocher, Adam fixa sa sœur :

« Fuis, Alissa ! Fuis ! »

Sans hésiter, Alissa bondit sur ses pieds et, serrant le frêle corps d’Abby contre elle, déguerpit de toutes ses dernières forces sur le chemin de terre. La belle dame au chapeau ne put la saisir.

« Attends, petite ! Appela-t-elle avec détresse. Lewis, rattrape là ! »

Le cocher laissa tomber Adam et s’élança à la poursuite de l’enfant. Entendant le claquement des bottes derrière elle, Alissa s’affola et accéléra son allure tant qu’elle put.

« France ! France ! Hurla-t-elle, en éclatant en sanglots. France ! »


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