Ploucville (épisode 5)

Publié le 13 décembre 2009 par Cochondingue
Valser comme des paralytiques ne semblait nullement déranger Jeremy. Moi par contre, je commençais à trouver le temps long et je n’avais pas envie de terminer la soirée ankylosée de partout.

- Et si on dansait pour de vrai ? Ai-je proposé à mon partenaire dont je sentais l’angoisse soudre de tous les pores de sa peau déjà moite.
- Comment ? m’a-t-il répondu d’une voix rauque et hésitante.
- Essaye de bouger un peu ! Les autres tournent autour de nous et nous nous restons désespérément figés.

Jeremy s’est mis à balancer son corps en me ballotant dans tous les sens.

- Bon, en fait je me demande si ce n’était pas mieux avant… J’ai l’impression d’être le hochet d’un bébé sumo hyperactif.
- Quoi ? J’entends rien avec la musique.
- Ralentis un peu, j’ai le mal de mer ! Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?
- Lucie, je voulais te dire que tu es vraiment jolie.
- Bien sûr… Il paraît que l’acné et les appareils dentaires c’est carrément à la mode cette année.
- J’ai très envie de t’embrasser.

Il ne manquait plus que ça. Je n’ai pas eu le temps de me détourner que la bouche de Jeremy s’était déjà écrasée contre la mienne. Je l’ai vue fondre sur moi comme l’attaque d’un poulpe géant sur une octogénaire rhumatisante en cure thermale à St-Tropez. Un vrai massacre. Il allait y avoir du sang et des larmes. Mes mâchoires, dernier rempart contre l’envahisseur tentaculaire, restaient obstinément closes.

- Je saigne ! A crié Jeremy en se redressant soudain. Ton appareil dentaire m’a défiguré !
- Et voilà, ça va être encore de ma faute… Ne panique pas, tu as juste la lèvre légèrement fendue…

- Un vampire, c’est vampire ! A gémi un gamin en montrant du doigt Jeremy, la bouche sanguinolente.
- Mais non petit, ne t’inquiète pas. Il s’est juste un peu blessé.
- Dracula ! C’est Dracula !
- Ce n’est rien qu’un petit bobo, ai-je expliqué avec un grand sourire.
- Tu as des dents de fer, toi aussi tu es un vampire !
- Ecoute le mioche, tu commences à me gonfler. Nous ne sommes pas des vampires, ok ?
- Lucie, tu peux t’occuper de moi ? Je me sens mal. Je saigne beaucoup.
- Mais c’est juste une égratignure.
- MAMAN ! Il y a des vampires !
- Et toi tu vas te taire ! Tu veux quoi ? Des bonbons, un tour de manège, du fric ?
- Non ! Je ne cèderai pas aux tentatives de corruption.
- Aux tentatives de corruption ? Depuis quand les enfants emploient ce genre de termes ? Vraiment, la jeunesse n’est plus ce qu’elle était.
- Sales vampires, je vais vous dénoncer aux gendarmes !
- Bravo ! Belle mentalité ! Voilà le fruit d’une éducation réactionnaire.
- Lucie, je ne suis pas sûr que tu aies vraiment la bonne méthode. Tout le monde nous regarde, nous allons être la risée du village.
- Très bien Nosferatu, on va rentrer à la maison avant que ces paysans ne te poursuivent avec de l’ail et des pieux.
- Je ne suis pas sûr que j’arriverais à marcher. Je vais me vider de tout mon sang.
- Ce n’est pas comme si je te demandais de gravir l’Himalaya avec un membre fraîchement amputé. J’habite juste à la sortie du village !

J’ai attrapé la main de Jeremy pour qu’il me suive. Derrière nous le monstrouillot gesticulant braillait pour attiser contre nous la vindicte populaire. Mais les braves gens dansaient, insouciants du reste du monde. Dans la foule, nos parents nous ont regardés passer, attendris.

- Ils forment un si joli couple !
- Pourquoi partent-ils déjà ? Ils vont louper les feux d’artifice.
- Il faut leur laisser leur intimité, ils sont jeunes, ils ont besoin de se découvrir.

Je me suis toujours demandé comment nos parents pouvaient être autant à côté de la plaque.
Cette soirée avait été aussi romantique qu’un tournoi de catch, quant à mon premier baiser, celui dont je rêvais depuis si longtemps, il s’était transformé en un remake minable du Bal des vampires.

- Je te parie que nos mères discutent déjà du traiteur et de la cérémonie de mariage…
- Et mon père doit établir la liste des alcools pour le cocktail.
- Ils sont vraiment pénibles.
- Est-ce que je saigne encore beaucoup ?
 
Mais non, ai-je répondu en serrant la main de Jérémy, alors que nous nous enfoncions un peu plus dans l’obscurité de la campagne.