Un week-end qui se termine, les dernières heures du dimanche s’égrènent. Hier armée de patience, le sac à main cramponné à mon épaule, j’ai bravé la foule, la cohorte éparse, les rues noires de monde. Sans le courage de me fondre dedans car je n’aime pas les attroupements et cette sensation de me retrouver agglutinée, serrée dans la masse. Je fuis l’affluence, je détale devant l’agitation.
Le hic est que je n’ai pas fait tous mes achats quinze jours avant Noël. Comment ? Hein ? Quoi ?
Prenez-place, asseyez-vous, le procès va commencer et pas n’importe lequel : le mien !
La partie adversaire entame sa plaidoirie :
-Monsieur le Juge, Messieurs les Jurés, regardez cette femme. Oui, elle ! A deux semaines que dis-je ? Non à douze jours de Noël qui réunit les familles, les enfants, les grands-parents…Cette fête empreinte de tradition, synonyme de joie … Et bien, cette femme qui mène une vie oisive n’a pas fini ses achats !
Des ohhh s’élèvent des bancs, de l’assemblée. Ils montent, s’élèvent jusqu’au plafond du Tribunal troublant le silence feutré. Le greffier, impassible, n’a pas bougé comme habitué à ces exclamations de mécontentement.
-Un peu de calme, s’il vous plait ou je suspends l’audience. Monsieur l’Avocat, je vous demanderais d’aller au concret de cette affaire pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui.
-Oui.
L’avocat regarde les jurés. Puis son doigt accusateur pointé en ma direction, il déclame d’un ton ironique mais ferme:
-Je le dis et je j’affirme, cette femme mène une vie oisive. Que fait-elle de ses journées, je vous le demande ? Rien, absolument rien ! Quand vous et moi, nous travaillons, elle, eh bien, elle lit, elle dort, elle se repose… elle écrit (rires étouffés de l’assemblée)… elle écrit des scénettes !
Je contemple mes mains : phalanges blanchies, doigts triturés…
Sur un ton péremptoire, fort de son effet, il harangue les jurés :
-Car figurez-vous, elle prétend décrire les gens, la vie de tous les jours. Pas moins que ça ! Il paraît même qu’elle aime décortiquer, selon son expression, les rapports humains…
Il m’humilie, il m’écrase comme un simple cafard. A mon tour de prendre la parole :
-Objection votre Honneur, mais pour ma défense, oui, j’écris mais c’est pour mon plaisir. Est-ce défendu ?
-Oh, seriez-vous victime?
-…
-Vous écrivez ? Non, vous gambergez ! Vous passez d’une idée à une autre, d’un texte à un récit et vous prétendez que ces quelques lignes que vous alignez sur un blog sont de l’écriture ?
Oh, c’est petit et mesquin… mais quel con !
-Alors, Messieurs les Jurés, vous conviendrez avec moi que cette femme n’a aucune excuse : elle lit des histoires et en invente, en imagine pour s’échapper de la réalité. Enfin… malheureusement, je crois qu’on ne peut plaindre que sa famille.
Je n’ai rien appris de nouveau. Tous ces non-dits je les connais par cœur. Je les lis dans des regards fuyants. Ils se montrent au grand’ jour dans des mouvements de gêne ou dans des silences pesants.
Au début, ça fait mal mais à force on se forge une carapace pour se protéger. C’est juste une question de survie dans la jungle.