Sampans, photo trouvée sur le net
Le navire entra dans le chenal. Le vent sentait le fumier, le varech pourri et la guerre.
A droite et à gauche, des centaines de sampans à l'ancre. Un cadavre vêtu de kaki descendait au fil de l'eau. Il partait pour le large - à moins de se prendre dans les herbes du fleuve. De très loin arrivait le bruit de la canonnade. Les appontements de bois apparurent. Salis d'inscriptions, comme dans bien des ports. A présent on pouvait lire. Les matelots qui peignent la coque des navires ont coutume d'écrire sur les madriers, face au large.
En hollandais : "Nous avons accosté avec un cercueil vieux de cinquante ans. Vive la Hollande."
Plus bas, en grec : "Sale port. Le vin monte à la tête. Les femmes sont voleuses, puent et ont des morpions."
Plus loin, en français : "A dix mille milles de la place Pigalle. Sale..."
Une autre encore : "La nuit ayez sur vous des couteaux."
(...)
- Mouille l'ancre bâbord.
Le bosco lâcha le frein du guindeau et l'ancre descendit en faisant un grand vacarme. Il ponctuait d'un coup de cloche le passage de chaque maillon. Un... deux... trois...
- Retiens un peu.
- Retiens.
- Relève.
- Relève.
- Tiens bon.
- Tiens bon.
- Le remorqueur de poupe à tirer davantage.
Le remorqueur tira.
- Les haussières à quai.
Deux halins ténus furent lancés sur le quai, entraînant derrière eux les gros cordages. Quatre ou cinq Chinois capelèrent les aussières sur les bittes.
- Embraque devant et derrière. Mettez les springs. Embraque plus lentement.
Le navire accosta doucement contre le môle de bois. (...)
Nikos Kavvadias - Le quart - Folio n° 4812