Islamophile, amateur d’art ou simple curieux, arrêtez-vous devant cet ouvrage et prenez la peine d’en soulever la couverture : ce geste simple vous plongera dans un univers de merveilles dont vous ne pourrez jamais repartir. Il faut en effet bien plus que mille et une nuits pour en explorer les pleins et les déliés…
Rmn éditions publie, en cette fin 2009, un livre d’art qui rassemble des images – dont beaucoup sont inédites – des écoles artistiques du Maghreb, de Syrie, d’Iran, d’Afghanistan, de l’Inde moghole et de l’ancien empire ottoman, œuvres réalisées entre le VIIIème et le XVIIème siècle. Elles proviennent de musées nationaux du monde entier mais également de collections privées, ce qui donne son caractère peu ordinaire à ce qui est bien plus qu’un « beau livre » à offrir pour les fêtes. Alors que l’on pourrait soupirer d’ennui à la perspective d’explorer des galeries de peintures sur papier glacé, c’est au contraire dans une féérie de couleurs, de formes, de sujets et de mondes que l’on plonge. Grâce à la plume alerte et parfois pleine d’humour d’Oleg Grabar, spécialiste mondialement reconnu, professeur émérite à l’Institute for Advanced Studies de l’université de Princeton (New Jersey, USA), le texte prend des allures de conte.
Grabar invite son lecteur à explorer mille ans d’histoire, qui commencent par des fragments de pages du Coran datant du VIIIème siècle, dont la brune austérité se trouve vite confrontée à l’art profane par le biais d’une tête de dragon d’inspiration visiblement chinoise. Car les demeures des princes et des riches marchands étaient alors dotées de salles entièrement décorées de peintures, ornementales ou figuratives, tirées de la littérature ou reproduisant les gestes de la vie quotidienne : boire, manger, parfumer, éclairer… En contact avec l’Afrique, l’Inde, la chine et l’Europe, riches de technologies de pointe en matière de reproduction – sur les tissus, les bois, les objets – ces mécènes ont permis la diffusion de l’art musulman dans l’ensemble du monde connu et leur exceptionnelle qualité leur a permis de parvenir, à travers les siècles, jusqu’à nous.
A ce millénaire d’images succède une invitation au rêve mêlée de reflets de réalité. La réalité, ce sont des illustrations composées pour orner des manuscrits relatant l’histoire de l’époque, comme celle du très beau Jami al-Tawarikh, « Chronique universelle », de Rachid al-Din (1247 – 1318) ou encore Les Aventures de Hamza, l’oncle du Prophète, rédigés sous le règne de l’empereur Akbar, œuvre de l’école moghole datée de 1570. Tranches de vies, faits de guerres, exploits de héros, les sujets sont aussi divers que les mains qui ont tenu les pinceaux. Quant au rêve, on le trouve par exemple dans les images qui ornent les Shahname, ou « Livres des Rois », dont on doit le plus ancien à Ferdowsi (940 – 1020/25), qui le dédia à Mahmud, le conquérant turc de l’Inde du Nord. On y voit le démon Akhwan s’apprêtant à jeter le héros Rustam dans une mer pleine de dragons, ou encore ces « paladins sous la neige », qui ont si visiblement froid que nous frissonnons avec eux. C’est une page extraite du Shahname de Shah Tahmasp, datant d’environ 1520 et réalisé en Iran, qui illustre la couverture du livre. Elle représente le trône de Gayomars, qui règne sur l’univers entouré de son fils, qui sera tué plus tard par le diable, et de son petit-fils Hushang. Hommes et animaux forment un demi-cercle autour de ces trois personnages royaux, tandis que d’autres se cachent dans les rochers et ne se révèlent aux yeux de l’observateur qu’après de longues et patientes recherches. Tout le miracle de ce livre se résume dans cette image : seule l’observation attentive permet de déceler la véritable composition des tableaux, qui sont comme autant de charades mettant le lecteur au défi d’en dénouer l’énigme.
Images en terres d’Islam, Oleg Grabar, Rmn éditions, 224 pp, 200 illustrations couleur, 80 €