Proposition pour Manuel

Publié le 18 décembre 2009 par Marc Gauthier

Dans un billet qui reste récent à l'échelle de mes propres mises à jour, Samantdi a évoqué la remarque faite par un de ses élèves lors d'un cours de conjugaisons au passé simple. Celui-ci, arrêté sur "Nous nous tûmes", fit remarquer à Samantdi, qui est, on l'aura compris, son professeur, qu'un de ses camarades, Manuel, lui "ne pense qu'à ça, se tuer." Et Manuel de confirmer, et d'ajouter que "la vie ne sert à rien". Cette idée évoquée par des enfants fait toujours un peu frémir. Parce qu'il nous semble bien dur qu'elle leur vienne à leur âge, mais aussi parce qu'on ne sait pas bien quelle réponse y apporter. Ce billet constitue une proposition, que je formule en vous invitant à toutes les précautions de lecture, d'interprétations et d'applications.


D'abord il faudrait savoir à quel point Manuel pense ce qu'il dit. Difficile de le percevoir dans un texte, peut-être Samantdi a-t-elle pu s'en apercevoir de façon plus précise en cours.


Ensuite, et c'est le point central de mon billet, il m'apparaît que c'est un travail sur ses croyances qui doit être entrepris. En effet il semble avoir construit une croyance qui fait souche aux autres : "la vie ne sert à rien". Aujourd'hui, il est possible que cela soit déjà une croyance forte chez lui, qu'elle lui vienne déjà du ventre et pas de la tête. Il est possible aussi qu'elle ne soit encore que des mots, par exemple répétés de ce qu'il entend chez lui (s'il a un parent qui répète cette phrase comme un leitmotiv sans faire attention à l'influence que cela exerce sur ses enfants). Dans ce deuxième cas, le risque est bien sûr que cela se transforme en croyance forte.

Deux niveaux d'inquiétude doivent être pris en compte. D'abord le risque qu'il veuille effectivement un jour se tuer. A lire Samantdi il semble que cette hypothèse semble encore loin. Du moins on l'espère. Deuxième niveau : cette croyance négative sur ce que l'on peut attendre de la vie va affecter sa manière de grandir, de voir les choses, les opportunités qu'il saura saisir, etc. Bref lui pourrir l'existence (avec l'influence que cela aura aussi sur son entourage - on peut créer ainsi des schémas familiaux où chaque génération transmet son "sort" aux autres).

Comment agir sur une croyance ? Difficile. D'abord il faut trouver d'où elle vient. Qu'est-ce qui la construit et qui l'alimente ? Pour les enfants, c'est souvent les parents vers lesquels on peut se tourner. Un défaitisme de vie de leur part peut amener leurs enfants à avoir ce type de pensée. Mais ça peut être autre chose. Une fois la cause trouvée, il faut en discuter avec lui, la détricoter. Comme si on mettait à plat sur une table tous les éléments qui la constituent, en terme de personnes, de contenu, de temps, de lieu, etc., bref toutes les caractéristiques qui forment cette croyance, mais isolées les unes des autres. On peut même faire un exercice ludique là-dessus, en fonctionnant avec des légos.

Cette idée me vient quelques temps après avoir assister à une démonstration d'une méthode innovante de réflexion pour les entreprises qui s'appelle Lego serious play(TM). Cette méthode se base sur une idée simple : modéliser avec ses mains permet de mieux réfléchir. Dans notre cas, il va permettre à l'enfant de matérialiser des idées et le sens qu'il peut leur rattacher. 

Première étape : il façonne avec les légos une forme qui représente sa croyance. A priori, même si je n'ai pas encore les idées claires sur ce point, je dirais qu'il vaut mieux le laisser agir librement et faire le montage qu'il veut.

Deuxième étape : une fois la forme réalisée, il l'explique. Il met des mots dessus, raconte une histoire en lien avec la forme. Cela lui permet mentalement de la désigner de façon concrète. En la modélisant avec les légos il peut l'identifier, et comprendre ainsi que lorsqu'il dit "la vie ne sert à rien" il s'agit d'une croyance. Il sort de l'indéfini dans lequel nous sommes tous avec la plupart de nos croyances, et surtout il visualise quelque chose qui me semble fondamental : sa croyance n'est pas lui, et même dans le cas présent, et c'est un pas qui me semble très intéressant, sa croyance est en dehors de lui, puisqu'elle est à ce moment là sur la table.

Troisième étape : il défait les légos, et les présente posés sur la table, chacun isolément. Ici vient le travail pour lui proposer des alternatives à sa croyance. Les légos peuvent ici avoir un grand avantage. Il suffit de lui demander de construire quelque chose de nouveau avec les mêmes légos. En effet, en lui demandant de réaliser une forme nouvelle en se servant des mêmes légos, on lui fait donner forme, littéralement, à l'idée qu'une autre croyance est possible. On ouvre la prison mentale dans laquelle sa croyance l'a fait entrer pour lui permettre de construire ... ce qu'il veut ! A partir de là il est peut-être possible que cet exercice participe d'une véritable prise de conscience chez lui et qu'il puisse ainsi travailler de façon efficace sur sa croyance limitante.

Bien sûr l'habileté de la personne qui mène ce type de démarche est très importante. La forme du discours tenu, la manière d'amener les différentes étapes, etc. Mais je suis convaincu que travailler sur ses croyances est quelque chose de fondamental. Cela nous permettrait à tous de mieux nous comprendre, et de mieux appréhender ce qui constitue les bases de nos comportements et de nos convictions. Et par ailleurs il m'a semblé que cette idée des légos était assez bonne, surtout pour un enfant qui est peut-être plus sensible à une approche ludique qu'à une discussion. Et je pense qu'elle marche aussi très bien pour les adultes, sinon la démarche Lego Serious Play(TM) n'aurait pas le même succès.

Je reviendrai très vite, avant la fin de l'année, sur les croyances. C'est un point que j'ai déjà soulevé dans mes derniers billets, je crois que des choses très intéressantes peuvent en sortir.

(et image à venir je l'espère, j'attends une autorisation d'utilisation)