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Les Vanupieds (19)

Publié le 21 décembre 2009 par Plume
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Au troisième jour, alors qu’Abby commençait à être hors de danger, un matin, Lewis eut une conversation avec France dans le salon du château tandis qu’Adam et Alissa dormaient encore.

« Où allez-vous ainsi ?

- Voir la mer ! Répondit France en plantant ses yeux farouches dans les siens.

- La route est longue jusque là, mon enfant, murmura Lewis avec bonté. Vos parents sont… ? »

Il n’osa achever sa phrase mais France comprit. Curieusement, elle pressentit en même temps qu’il ne fallait pas le démentir :

« Oui ! Déclara-t-elle.

- Ecoute, commença-t-il avec hésitation, même si Abby parait hors de danger, elle… euh, je voudrais que tu comprennes que… qu’elle sera toujours fragilisée, trop pour…

- Pour arriver en vie à la mer ? Acheva France en fronçant les sourcils.

- Oui, petite. Tu as vu combien Madame la duchesse s’est attachée à elle ? Elle m’a demandé de te supplier de… de… »

Il ne savait comment formuler la requête.

« Oui ! » Jeta France soudain, tendue.

Il sursauta et la dévisagea avec stupeur :

« Comment ?

- Oui pour ce que vous alliez me demander ! »

Il resta bouche bée.

« Pardon ? »

France eut un mouvement d’impatience et lui lança un regard courroucé :

« Je parle clairement, non ? C’est oui ! »

Lewis joignit les mains, tressaillant de joie :

« Oh ! Petite France ! Merci ! Tu as pitié de la détresse de ma bonne maîtresse ! Balbutia-t-il. Ton cœur est bon et généreux. Madame la duchesse élèvera et aimera Abby comme si elle était sa propre fille, tu peux avoir confiance. Merci ! Merci ! Que Dieu te bénisse ! »

France serra les poings, tremblante de fureur.

« C’est pour Abby ! Marmonna-t-elle entre ses dents. Uniquement pour Abby ! Je hais la duchesse et tout ce qu’elle représente ! »

Lewis la contempla avec une infinie tristesse et prit ses doigts par-dessus la petite table.

« Tu as souffert des gens riches, petite fille, n’est ce pas ? »

France ne parvint pas à soutenir son regard empreint d’affection et baissa la tête, s’efforçant de contrôler la  rage folle qui faisaient grincer ses mâchoires l’une contre l’autre.

« Tous ne sont pas méchants et cruels, France, reprit-il en lui pressant la paume. Il y a en ce monde de braves gens qui ont en eux l’amour de Dieu. Ne hais pas ceux là car tu en trouveras toujours sur ton chemin pour t’aider et ils ont besoin en retour du sourire de l’amitié. Ne fait pas de cas particuliers un cas général, tu ferais des erreurs de jugement que tu regretterais ensuite toute ta vie. La duchesse de Fontleroy est riche, oui, très riche. Ses coffres sont remplis d’or et ses terres produisent. Mais elle aurait tout donné pour sauver son enfant, le seul être qu’elle n’ait jamais aimé après la mort du comte. »

France l’observa avec attention. Il avait les larmes aux yeux.

« Oui, elle est riche, elle a tout mais pas l’essentiel, pas le plus important : l’enfant dont elle serait la mère. Qu’aurait-elle à faire de tout cet or ? Ce qu’elle veut, son seul bonheur et son désir le plus cher, c’est un enfant. Et Abby est venue. Tu comprends, France, qu’il ne faut pas la haïr ? Elle fera d’Abby sa fille et son héritière, une chance inouïe pour la petite alors qu’elle peut mourir à tout moment sur la route…

- Abby est ma sœur ! » Interrompit France.

Mais il n’y avait pas d’animosité dans sa voix. Lewis hocha la tête :

« Bien sûr, elle est ta sœur… L’aimes-tu ? »

France ne répondit pas mais ses traits parurent s’adoucir.

« Je crois que tu l’aimes, continua Lewis, tu as conscience qu’elle court un grand danger sur les routes et tu veux qu’elle vive même si c’est loin de toi. Alors c’est que tu l’aimes. Elle est ta sœur et le sera toujours. Mais uniquement par le sang, tu comprends ? »

France s’assombrit.

« Pour tous, enchaîna Lewis avec une extrême douceur, elle sera la fille de la duchesse. Elle sera heureuse, petite France, elle ne souffrira plus de la faim et de la soif. C’est ce que tu veux, n’est ce pas ? »

France lui jeta un regard aigu.

« La duchesse l’adoptera, et bien entendu, Abby portera son illustre nom… »

Cette fois, France bondit, livide de colère.

« Elle s’appelle Abby Célone ! Cracha-t-elle d’une voix rauque.

- Mais oui ! Mais oui ! La tranquillisa Lewis. Personne ne songe à lui enlever son vrai nom, crois-moi. Simplement nous lui apprendrons à ne pas l’utiliser devant la haute société car pour tous, elle sera la fille de feu le duc de Fontleroy. Comprends-tu ? »

France eut un bref hochement de tête, encore frémissante. Il lui serra l’épaule.

« Alors… tu acceptes de nous la laisser, n’est ce pas ? Et ton frère, ta sœur et toi, vous partez ? »

Les sourcils de France se haussèrent légèrement :

« Oui ! » Murmura-t-elle.

Et elle tourna les talons, désireuse de mettre de la distance entre la décision incroyable qu’elle venait de prendre et sa conscience.

« France ! » L’interpella Lewis au moment où elle passait la porte richement ciselée.

La petite fille s’arrêta sur le seuil et leva un faciès sombre vers lui. Il la contemplait avec affection, visiblement très ému :

« Tu atteindras la mer ! Déclara-t-il doucement. Tu la verras, petite dame, je te jure que tu la verras ! »

France ne répondit pas. Elle se contenta de le fixer un court instant puis baissa les yeux et disparut derrière le haut battant verni. Alors Lewis renversa la tête sur le dossier du fauteuil et un sourire apparut au coin de ses lèvres…

« Nous partons ! » Annonça France à Adam et Alissa qu’elle venait de sortir du lit.

Son frère sauta sur le plancher.

« Abby est complètement guérie ? » S’écria-t-il avec bonheur.

France s’assit sur le lit, croisa ses mains sur ses genoux et les observa tour à tour. La tristesse qu’ils surprirent dans son regard les affola :

« Abby est plus mal ? Interrogea Adam, tout pâle.

- Elle va… mourir ? » Balbutia Alissa, décomposée.

France serra férocement les poings.

« Non ! Elle ne va pas mourir ! Abby va vivre mais… »

Elle s’interrompit.

« Mais… » Insista Adam en s’agenouillant à son côté.

Tous deux la fixaient intensément, n’osant plus respirer.

« Mais loin de nous ! » Acheva France enfin d’un ton neutre.

Ils écarquillèrent les yeux.

« Comment ça ? Demandèrent-ils en chœur.

- Elle reste ici. Nous partons sans elle. »

Adam et Alissa se regardèrent, médusés.

« Pourquoi ? » Osa formuler Adam, conscient pourtant en remarquant la dureté des traits de son aînée qu’il s’engageait là sur un terrain glissant.

Effectivement France fronça aussitôt les sourcils avec agacement :

« Parce qu’elle ne vient pas, c’est tout ! Elle reste chez la duchesse de Fontleroy, vivra chez elle, sera sa fille et nous, nous partons ! J’ai décidé. »

Adam et Alissa restèrent une fraction de seconde bouche bée puis la fillette blonde explosa littéralement, hors d’elle :

« Comment ça, tu as décidé ! Tu n’as pas le droit d’abandonner Abby, tu entends ? Aucun droit ! Nous devions tous rester ensemble, tous ! C’est toi qui l’as dit ! Pourquoi partirons-nous sans elle ? Tu n’as pas le droit de l’abandonner à des étrangers…

- Assez ! Coupa France d’un ton à glacer le sang. C’est moi qui commande et nous ferons ce que j’ai décidé, c’est clair ?

- Monstre ! Lui cria Alissa au visage en éclatant en sanglot, folle de colère. Abandonner Abby ? Notre… notre petite sœur Abby ! C’est… C’est monstrueux, France… »

Etouffant ses pleurs, Alissa pivota sur ses talons et sortit de la petite chambre de bonne en claquant la porte derrière elle. France eut un sursaut incontrôlé. Ses mains se crispèrent tellement sur les draps que les jointures de ses doigts saillirent d’un seul coup. Adam, qui la dévisageait en silence, le souffle coupé, vit la douleur terrible tordre ses lèvres.

« Pourquoi ? Demanda-t-il à nouveau, le cœur en vrac.

- Tu préfères peut-être qu’elle meurt sur la route ? » Hurla France, perdant son sang froid.

Elle le repoussa brutalement et se leva pour ranger leurs affaires jetés pèle mêle dans le coin le plus reculé de la petite pièce. Bouleversé, Adam demeura un instant indécis, puis se dirigea vers la porte et posa sa main tremblante sur la poignet, inquiet de savoir où s’était enfuie sa petite sœur. Avant de l’ouvrir cependant, il chercha le regard de France, incapable d’en rester là. Mais elle lui tournait le dos, occupé à rassembler leurs maigres biens.

« Je ne comprends pas encore pourquoi tu as fait ça, murmura-t-il tristement, mais je sais que si tu en as décidé ainsi, c’est que c’est bien pour elle et pour nous. Je… Je t’aime, France, tu sais… »

Il soupira, sourit bravement en secouant les épaules et sortit enfin de la chambre. Le battant en bois verni se referma tout doucement derrière lui.

France se redressa, suffoquée, les dents serrées, le regard étincelant, terrifiant, meurtrier. Elle dodelina de la tête, comme sous l’emprise d’une souffrance intolérable… Puis soudain donna un coup de poing dans le mur, puis un autre, puis encore un autre, et encore, et encore, se mordant jusqu’au sang pour ne pas hurler la rage qui la submergeait…



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