« Ave Maria, mater dei ». Mater, matérialisme…
Notre mère est là pour nous donner la vie. Cocon liquide protecteur puis sein nourricier, la mère donne la lumière et l’énergie vitale. Elle organise aussi, et plante de nombreuses graines qui influenceront les comportements futurs de l’enfant. Et puis elle doit donner une place au Père : c’est la Mère qui permet au Père d’exister. Si c’est le Père qui coupe le cordon, c’est la Mère qui lui tend les ciseaux. Dans l’inconscient individuel, bien décrit par les psychanalystes, la Mère est donc souvent associée au Paradis originel perdu, cet état fœtal où le liquide enveloppant filtre et protège. Un Paradis perdu liquide, qui a aussi à voir avec le milieu d’origine de notre espèce, comme si l’inconscient individuel était en osmose avec un inconscient collectif.
La dévotion à la Mère est donc porteuse de valeurs régressives, qui nous incite à remonter le flot de la vie plutôt qu’à en suivre et en dompter le cours. Mais l’Homme peut aussi grandir dans cet apparent paradoxe. Sauf si la Mère devient icône. Sauf si Mater Dei devient Mater-ielle.
Le dogme de l’Immaculée Conception participe à cette matérialisation. La croyance en la virginité de Marie ne s’est imposée chez les Théologiens qu’au XIVème siècle, et c’est Pie IX au milieu du 19ème siècle qui l’a érigée en dogme (en s’appuyant sur un plan média d’enfer, puisque 4 ans après cette Bulle papale, Bernadette voyait la Vierge à Lourdes !).
Mais ce dogme a fait l’objet de longs débats au sein et autour de l’Eglise catholique romaine. Comment une femme conçue charnellement pouvait-elle recevoir l’Annonciation de l’archange Gabriel ? Mais comment, si elle n’est pas vraiment « femme » mais chose conçue elle-même par des voies inconnues, peut-elle donner à Jésus son humanité (la divinité de Jésus lui étant transmise par le Saint Esprit) ?
Mais le fait est que Marie devenant La Vierge Marie, le respect pour la Mère se transformera progressivement en dévotion pour l’icône, ce qui change tout. L’intermédiation de l’icône matérialise l’objet de culte, et donc, de facto, le dé-spiritualise. Certes, l’icône religieuse, comme les symboles, a vocation à être un vecteur spirituel qui à travers l’image transmet le sens. Mais de la même façon que l’imbécile regarde le doigt quand le doigt montre la lune, le croyant vénère (souvent) l’icône quand l’icône évoque la Mère. La matière devient alors le but, et non plus le moyen. Le matérialisme devient la religion, et non plus le vecteur.
Et c’est dans cette société que nous vivons chaque jour un peu plus. La Bourse n’est plus le thermomètre de l’économie, elle est l’économie. Les sondages ne sont plus la température de l’opinion, ils sont l’opinion. Sarkozy n’est plus dans l’actualité, il est l’actualité.
Les principales victimes de cette dérive matérialiste de la Société sont les religions judéo-chrétiennes elles-mêmes. Où est la spiritualité dans les déplacements papaux organisés à grand renfort de moyens techniques qui font ressembler de plus en plus les JMJ à des Rave Parties païennes ? Où se cache la parole du Christ dans les dorures des Palais pontificaux ou la pierre de taille des Evêchés de Province ? Comment retrouver l’esprit des Ecritures dans les sermons bâclés et les formules toutes faites que les curés débitent à longueur de mariage ou d’enterrement ?
Il faut beaucoup d’imagination aux croyants (« Dieu me préserve, je n’en suis pas ») pour retrouver leur religion derrière ces couches de matérialisme envahissant. Pas étonnant dans ces conditions qu’aux marches de leurs zones d’influence, les religions chrétiennes cohabitent avec bonheur avec les pratiques polythéistes, idolâtriques ou païennes des religions autochtones précoloniales : pas sûr en effet qu’une poupée vaudou soit moins chrétienne qu’une Vierge Marie en plastique fabriquée en Chine et vendue dans les rues de Lourdes.
Peut-être faut-il regarder de ce côté-là les raisons du « succès » de religions ou de philosophies comme l’Islam ou le Bouddhisme, qui laissent encore une grande part à la relation directe entre le croyant et son Dieu et qui limitent les intermédiaires matériels, gris-gris, croix ou icônes. Non alourdies d’oripeaux terriblement terrestres, ces religions donnent à penser à leurs fidèles qu’elles ne sont que spiritualité.
Les traces de cette dérive matérialiste dans notre quotidien sont nombreuses : surconsommation, gadgétisation des objets utilitaires, gaspillage, développement du jetable, etc. Pas un ado sans son i-phone, pas un cadre sans son Blackberry, pas une blonde sans sa Mini, pas un Tony sans son T-Shirt Dolce & Gabana. Nos objets nous décrivent et nos tribus s’organisent autour de supports de reconnaissance.Les magazines féminins regorgent de pages « tribales », où les lectrices sont invitées à se positionner autour de telle ou telle tendance, tel ou tel nouveau gadget, telle ou telle nouvelle griffe. Je ne suis plus ce que je suis, je suis ce que je porte, ce que j’achète, ce que je consomme.
Matérialisme à tous les étages, Paternalisme en toile de fond (voir un post précédent) : deux ingrédients pour faire de notre Société une Société molle. Car l’association « hyperconsommation » et « déresponsabilisation » ne peut conduire qu’à un lent mais réel effritement social et sociétal. La Société s’individualise, et au sein de l’individu, on hypertrophie ce qui est le plus vil et on atrophie ce qui est le plus grand. Chronique d’une mort annoncée, comme était annoncée la chute de l’Empire Romain ? Impossible à dire bien sûr, mais il est intéressant de se souvenir qu’Edward Gibbon, historien anglais du 18ème siècle, un des grands exégètes de la chute de Rome, expliquait la chute de l’Empire par une dérive inverse : c’était selon lui la montée en puissance de la Chrétienté qui aurait progressivement détourné le peuple du « hic et nunc » (ici et maintenant) au profit de la confiance passive dans la Providence.
Trop de foi aurait tué Rome hier comme trop de « hic et nunc » risque de nous tuer demain.