L’homme qui sentait mauvais

Publié le 23 décembre 2009 par Stella

Il était sur le quai du métro comme tout le monde, un peu plus courbé, peut-être. Autour de lui, les gens allaient et venaient, pressés, occupés. Il est entré dans le wagon comme les autres, d’un pas un peu plus lourd, peut-être. Il a serré son sac plastique contre lui et s’est assis sur une banquette, un peu plus tassé sur lui-même, peut-être. On ne voyait pas son visage, mangé par la capuche de sa parka en haut, et par une barbe de huit jours, en bas. Il a regardé par la fenêtre le déroulement monotone du mur puis sa tête s’est inclinée doucement sur sa poitrine. Il s’est endormi.

Autour de lui, une à une, les personnes se sont levées. En silence, elles se sont écartées de lui. Etait-il une si mauvaise fréquentation ? Ceux qui montaient, intéressés de prime abord par toutes ces places libres, se précipitaient. Mais, quelques instants plus tard, comme les autres ils se levaient, préférant le voyage debout, à l’écard de cet homme pourtant silencieux.

Sa tête avait glissé très bas. Son buste, presque cassé en deux, le faisait ressembler à un Atlas urbain supportant je ne sais quel malheur, lourd et volumineux. Dans le fracas du métro, on n’entendait pourtant pas un souffle, pas une plainte de protestation.

Une quinzaine de minutes plus tard, mû par un mystérieux ressort qui avait dû lui indiquer qu’il était arrivé à destination, l’inconnu s’est réveillé. Il n’a pas eu un regard pour la place nette autour de lui. Tout le monde s’est poussé pour le laisser descendre, en silence. C’était sa façon à lui de vivre en ermite, dans une tour d’ivoire sans que personne, jamais, ne songe à l’importuner. C’était sa vengeance, sa terrible contrepartie sur une société qui l’avait rejetée : il ne se lavait pas.