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il gattopardo Le billet de Nestor

Publié le 21 décembre 2009 par Angèle Paoli
Le billet hebdomadaire de Nestor (11)


Luchino visconti
Image, G.AdC

IL GATTOPARDO
(« siamo vecchi, molto vecchi... »)



Aux ombres de Luchino Visconti


  Nous survécûmes à tous les étonnements, sans lambeaux, sans liens, sans harnais...
  Tentation de l'enfantement, la pire de toutes. Plus de prochaine fois, nous ne sortirons plus. Nous ne nous échangerons pas contre la promesse du jour. Notre sagesse toute fraîche ne s'en ira pas de sitôt.
  L'arrêt autour, sans bleu ni cuivres. L'arrêt comme si vous y étiez. Rien de bien connu. Des étendues bonnes à dire.


  Accéder, détourner : seules traces de ce lointain qui porte en lui nos vœux et marges...

  Ensemble, en terre, en fumée, en poussière, en ombre, en rien...


  Que craignez-vous en ces fêtes sordides où le lierre s'épanche, à l'heure où les feux
  tirent au noir, au plus sourd des nœuds, du demi-sommeil rassasié, des faux éveils
  nourris de mimes et de gloses, faiblement embuant le bassin ébréché, l'envol de la
  guêpe, la chair enchâssée en sa louche coquille qu'étrangle la perle dès longtemps
  nommée et caressée, naissant cristal vous dépeçant dans une odeur de volutes, de chasses
  opaques cambrées à tout rompre...

Ne rien quérir, ni la visée, ni l'épreuve, ni la séparation qui en viendra à saper leur prolifération, leur écartèlement...


  Rien racheté, pourtant, rien effacé de cette libre durée où à votre insu nous glissions de sommeil incurvé en cascade, humions les lames de demain, et les trêves dans la grêle, sur les nuques et les cruches assouvies, simplement, pour l'anéantie à venir...
  Fuite qui n'entame ni sépare cette lumière délinquante, de quel côté qu'on la brise, aux retours. Nous ne savons que ce dont nous nous souvenons, l'acquiescement qui va du nombre au chant...

  Lune paludiquement dépliée, halètement, souffles usés, l'ombre si peu foulée qui fit trembler herbes et feuilles, ce fleuve qui ne croit désormais qu'en ce qu'il croise...



  Incurables automnes ne valant que par l'ombre panique de l'entre-deux, de nos
  marges, des doubles de soi que sont ces dieux qui ne nous ont jamais rien promis, ni le
  meilleur, ni le pire... Tranchant arrachant les bourreaux à leur hébétude, clairière du noyé fouillant le reflet dans l'onde qui juge, pénétrant ce qu'elle a elle-même engendré, renvoyant à l'ébauche de son absolution...

Ô feux qui font mûrir en jouant, qui cernent le lieu, aplatissent la durée, qui voient, mais ne se laissent pas voir...



  Peur des rives et des failles, du oui comme du non, de rester, de détacher, peur de faiblir ou de recueillir, de ce qui entoure, de ce qui rompt, des présences et des recels, de vider et de dire... Ô miel des fins, des impasses, déchirant l'édit de la foi en l'Autre comme au Même, ces chimères...

Miroir taillé par les jeunes mains, jadis, heurts, legs, sortilèges, aplomb de ce que jour offre et nuit reprend, le bond lézardé, le feu irréfléchi...



  Le long des routes désertes que le vent dissèque, tisonne et momifie, seules tournent nos
  lanternes magiques, fuite des reîtres, arbres de blasphème, fracas,
  replis gorgés d'ombre...
  Mûre blondeur d'avoine, rousseur de pain, houle blanc et or en ces
  futaies que l'image se garde de troubler, semis, terres tassées, cadrans aux heures
  mortes, verdure ourlée de roux, prophètes roublards, sentiers aux aisselles pâles... Tenez-vous prêts aux jours raturés, aux fêtes de l'aveugle enceinte, aux heures crépitant de
  fables, de faucilles domptées, de ces chants que tisse l'aiguille que ni l'exil des
  feux, ni le cliquetis des brindilles, ni l'approche du lieu cousu de malignes charrues et des promesses de la chiourme jamais ne firent presser le pas... Guérison dévoyée à moins tard, mordillant la claire douceur qui jamais ne se remit à un futur du temps...

Secret du passage, dépossédant sans rien cacher...


  Les foudres blondes nous coucheront en plein essor. Ainsi irons-nous, couverts de fardeaux paisibles, vers la plaine ouverte et la rade attentive, vers cette blancheur prisonnière des sentiers divergents. L'heure renversée à dessein ne repoussera pas. Tout sera conquis en pure perte.

Singulière pudeur que de se refuser de partager avec d'autres les mystères qui les ordonnent...

Réalité rendue et subvertie, s'en allant avec chaque mort...


  Prunelles éclairant les haches levées, les neuf cieux caducs où l'on contemple
  notre image, carrefours du lisse, puis de l'aveugle, piétinant l'heure, cinglant les liens
  du regard, terreaux fumés de sang, embrasés comme l'ouverte pivoine guettant les
  sourdes volières des reines...

Tout revient, tout reviendra, tout déjà et de toujours revenu pour peu que ça ne soit, n'ait jamais été le présent, cette imposture, l'issue sournoisement dérobée que tous, pourtant, peuvent rejoindre pour frôler le lieu sans confins dont elle dénoue l'approche en en mimant l'interdit...


  Tu nous revois, le masque repeint, penchés sur la moindre falaise.
  Enfants criblés de recels, régnant sur les creux et le sel de la place, sous la grande rumeur de fortune.
  Il pleuvait, de partout. Mais pas sur la terrasse où nous circulions, affublés du versant inouï, au dernier son des tambours.
  Imagine-nous, enfin – loin des fournées publiques – comme du temps où nous nous embarrassions de l'apparence des noces.

  Mieux vaut mourir entier que s'éprouver prophète.

  Le désert ayant défenestré ses ajoncs, l'écluse n'émancipant plus, sinon ces transhumances voûtées, cribles blancs des routes, la détonation hissant ses couleurs jusqu'au sommeil des langues, on nous dira que la violence est partout...
  Allons, messieurs, du calme ! Ce paysage n'est pas de fantaisie. La glaciation n'est pas une vue de l'esprit. Flèche ou enclume, le choix n'est pas si aisé qu'on l'eût cru. Dilapidez, dilapidez, même de haut, même de loin, il en restera toujours quelque chose. Mais voilà, le cancer effrange ses griffes, l'étau se cabre, l'esquisse de cercle dilate ses derniers guetteurs, les mains disparates rendent presque insoutenable la marge...
  Elle ne sert plus à rien, à RIEN, l'étrave repue, compagnons d'hier, et posthumes, puisque demain frileusement se dérobe. Nous ferions comme si vous nous aviez compris, insensibles à la défaite comme à son épilogue, n'ayant pas plus à dire qu'à faire, sachant peu, mais fort, comme l'urgence de cette heure où nos sangs, bonds et entames désertés, se coucheront joyeusement sous les sabots.
  Au havre des pas amarrer l'habitude. L'avenir nous appartient. L'extinction des feux se fera dans la dignité qui convient, le fracas est une denrée périssable, le scalpel jamais ne surgira d'entre les lignes. Au réveil, pour mémoire, il était à peu près midi.

André Rougier
D.R. Texte André Rougier



IL GATTOPARDO

Gattopardo3

Site Visconti

Voir/écouter aussi :

- (sur Terres de femmes) 23 mai 1963/Palme d’or pour Le Guépard de Luchino Visconti ;
- (dans les archives de Rai.it) une interview radiophonique (en italien) de Luchino Visconti à propos du Gattopardo ;
- (sur le site de la Cinémathèque française) fiche bio-filmographique sur Luchino Visconti, dont une fiche sur Le Guépard ;
- (sur le site Visconti) la fiche du film Il Gattopardo.



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