Par Merès wèche
Le roman « L'énigme du retour » de Dany a raflé quatre prix, rien que pour l'année 2009. Le Nouvelliste est heureux d'accueillir un texte critique de Mérès Wèche autour de ce livre à succès. Plus qu'une critique, c'est le témoignage de quelqu'un qui a connu le père avant le fils, même si ce souvenir nous vient de la brume du passé.
« L'énigme du retour », tout un poème-fleuve. Je l'ai traversé avec le sentiment d'un armateur de la Grand'Anse qui avait un jour planté son mât à Petit-Goâve. Un peu comme Windsor K. Il en est sorti également un jeune écrivain qui porte le nom de son père. Il y a toujours à chaque fois un fils de Marie à devenir écrivain. N'empêche que Jésus n'a écrit que sur du sable...
Windsor K., ce barbu de 1957, habite quelques arpents de ma mémoire. Je le revois encore à côté de Daniel Fignolé dans cette ville de Jérémie dont le Saint Patron fut transmué en un Saint-Ange. C'était l'époque des présidentielles d'après le Général Président, et il fallait être un médecin de campagne pour y faire campagne.
Quand, dans la cour de Louis Moreau à la rue Dr Hyppolite, le Saint-Ange martela de son poing dur le capot de la vieille bagnole de Daniel - question d'interdire le meeting -, Windsor K. fut celui qui lui opposa la résistance en entonnant d'une voix tonitruante ce chant-thème du MOP : « An avan elektè, ouhou, ouhou ! ... ». Quelques minutes auparavant, longeant la Grand-'Rue en partance d'en bas-la-ville, le cortège à pied ressassait mille fois cette inoubliable chanson de revendication populaire : « Fiyole , moun Dejwa-yo sere savon-an ! ... » . L'on comprend bien pourquoi le Saint-Ange des bons vieux temps avait une peur bleue du Professeur.
Ce qui s'appelait en ce temps-là la bourgeoisie marchande de Jérémie (entendez aujourd'hui « Société civile ») avait effectivement stocké tous les produits de première nécessité. Rentré à Port-au-Prince, l'humble homme de Pestel devenu l'homme fort du Bel-Air au verbe haut, devait renverser la vapeur. En un rien de temps, le riz et le savon revenaient.
Quand Dany écrit : « La terre rouge produit de si beaux oignons », j'ai tout de suite pensé à ce Pestelois, et très certainement à son compère Windsor K. Je n'entre toutefois pas dans leurs oignons pour savoir si, de Baradères à Pestel, il n' y a que la distance de dix-huit kilomètres/jours de pouvoir... Jean-Claude, cet autre espèce d'oiseau rare à la plume fignolée, peut bien en savoir long.
S'agissant de Windsor K. en particulier, si sa fille se souvient bien mieux de son « odeur » que son fils (son double, pour être plus précis). Moi, cet illustre étranger, je ne me fie qu'à ma mémoire d'enfant, qui n'avait pas le droit d'aller physiquement à ce fameux meeting politique de 1957, mais qui a su capter au vol certains traits de caractère et même certaines attitudes tenaces comme tenir tête à un Saint-Ange. Mon regard s'était projeté par-delà le mur qui séparait la maison familiale de cette cour de Louis Moreau. J'avais tout vu et tout entendu.
D'où me vient pourtant ce nom de Windsor K. ? Certainement pas de la bouche de cet « autre ami », grand éleveur de poules. Je me souviens qu'il s'appelait Windsor K. Laferrière, ce candidat à la députation pour Jérémie aux élections de 1957. N'était le coup fourré de Kébreau et consorts, il aurait été un digne représentant du peuple. Ce même peuple qui scandait à tue-tête : « Fiyole, moun Dejwa-yo sere savon-an ! ... ».
Mon père était fignoliste parce qu'il cultivait des oignons dans la terre rouge de Beaumont. Ma mère et moi étions duvaliéristes. J'étais trop jeune pour savoir pourquoi. Mon frère ainé déjoiste . Pour mon père, la vraie politique de la terre, c'était Fignolé. Je n'avais que douze ans, et je me rends compte aujourd'hui qu'on connaissait avant la lettre la tactique de la « Société civile » : être chacun d'un côté pour ne pas rater le train. Des Laferrière de Camp-Perrin s'étaient établis longtemps à Beaumont. Dominique, le chef de famille (Dodo pour les intimes), était fignoliste par affinité avec Windsor K.
Je me souviens comme si c'était hier de ce grand barbu. Avec pour repère le visage de Dany. Les souvenirs sont comme le ruissellement des eaux de pluie ; ils ne remontent pas aux nuages de la mémoire, mais s'infiltrent dans l'âme pour nourrir les nappes intérieures. 1957 : quatre chiffres impairs pour se rappeler d'un père qui n'est pas le sien, mais qui font remonter bien des souvenirs enfouis dans les cendres du passé.
« Le Balcon de Baudelaire, écrit Dany, était le poème préféré de Windsor». Chose curieuse, c'est sur le balcon du Jaclef Plaza Hotel à Jacmel, zone Cyvadier, que j'ai bouffé d'un trait, et je dirais même d'une traite, « L'énigme du retour ». Je suis un cannibale de la lecture. Surtout que j'accompagnais l'autre compère de Montréal, Edgard Gousse, pour la présentation à l'Alliance Française de son Nouveau Roman « Le Fils du Président ».
Le barbu dont parle Dany dans son livre n'est pas Windsor K. C'est peut-être Hemingway, même pas Walt Whitman qui est un poète, car il dit :
« Je sais qu'au bout de cette route
« un barbu plein de fureurs et de douceurs,
« au milieu d'une meute de chiens,
« tente d'écrire le grand roman américain.
Parlant de Port-au-Prince et de Montréal, Dany écrit : « La mort serait de n'être plus dans aucune de ces deux villes ». Moi, je parie que Windsor K. se trouvait dans le non-lieu de ses amours. Je mesure l'ampleur de toute cette amertume qui l'habitait dans son réduit de New York City. Ce genre d'oiseau blessé existe dans l'oeuvre de Kafka. Quand ce n'est pas Kafka lui-même qui a vécu une situation d'exilé. Dans « Le Château », son personnage principal désigné par l'initiale « K » passe sa vie à chercher le sens de son destin...
Dany estime qu'un « cinquième pouvoir » viendrait des vendeurs de journaux s'ils lisaient les grands titres. Je me rappelle avoir lu quelque chose d'à peu prés semblable dans Le Monde Diplomatique, sous la plume d'Ignacio Ramonet. Parlant des guerres idéologiques qui ont complètement détruit le « quatrième pouvoir » , il disait qu'il faut un « cinquième pouvoir» qui serait une force citoyenne dont la fonction serait de dénoncer le superpouvoir des médias des grands groupes. On y reconnaitrait certainement des vendeurs de journaux...
Je me souviens (slogan québécois) de ce premier roman de Dany « Café Madame Michel », qui s'est mué en « Comment faire l'amour... ». Tous deux nés de cette vieille Remington de la rue Saint-Denis. Ces fameux coureurs de bois qui, au temps de Duplessis, étaient réfractaires aux sentiers battus, allaient devenir les « téléspectateurs captifs » d'un enfant de Petit-Goâve. Celui-là même qui m'avait fait lire Magazine Littéraire pour pénétrer la littérature latino-américaine. Après avoir lu Cent Ans de Solitude de Gabriel Garcia Marquez, Monsieur le Président de Miguel Angel Asturias m'était venu comme une lettre à la poste. Et puis Borges et bien d'autres.
Revenons-en à Windsor K. Si la « Guinaudée » de son enfance dont parle Dany dans « L'énigme du retour » est la même que celle de Dumas père, la France n'aura pas fini d'être conquise.
Merès Wèche
Meweche@yahoo.frYon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.