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Le murmure d'un livre

Publié le 19 décembre 2009 par 509
Le murmure d'un livre
photo © Thomas C. Spear, Port-au-Prince, 29 juin 2006
Le murmure d'un livre
Par Pierre Clitandre
Le prix Médicis 2009, L'Enigme du retour de Dany Laferriere, ne cesse de soulever des commentaires dans le monde littéraire haïtien.Le Nouvelliste a voulu, par delà le factuel et l'événement, faire le "voyage à l'intérieur du texte" avec l'auteur. Il fait des confessions au sujet de son père, des paysages vus, de son enfance, de la vie contemporaine. Première partie d'une entrevue entre deux vieux amis.
Le Nouvelliste: Le livre commence dans une atmosphère presque semblable à L'Etranger d'Albert Camus. C'est encore la distanciation par rapport à un deuil familial. L'émotion face à l'événement est contenue dans tout le livre. L'évocation de ce deuil est comme des motifs musicaux éparpillés. Etes-vous conscient d'introduire un existentialisme dans la littérature haïtienne contemporaine?
Dany Laferriere: C'est très touchant ce que vous dites de ce livre. L'Étranger étant un livre qui m'a marqué. Je n'ai pourtant pas pensé à lui en écrivant L'Énigme. Il y a une parenté entre les deux titres. C'est donc un livre écrit avec une forte nostalgie qui touche la vie quotidienne dans ses détails et les livres. J'ai voulu que ce soit un livre plutôt murmuré que hurlé, et c'est en cela qu'il s'éloigne parfois de la manière haïtienne. De petites touches çà et là finissent par créer cette impression de tapisserie ou de motifs musicaux. Je dois ajouter que cette discrétion dans le ton est courante dans la réalité haïtienne.
Je me souviens d'ailleurs de votre père, toujours assis dans le même coin de la pièce dans cette maison de Carrefour-Feuilles que je fréquentais au début des années 70. Je le revois encore les jambes croisées, élégant et discret. Silencieux mais actif. Donc, cette grâce existe en Haïti chez les gens, mais trop peu dans notre écriture où l'on veut souvent trop dire.
L.N.: L'énigme est aussi bien dans la mallette de la Chase Manhattan Bank que dans la voiture qui vous promène dans les rues, résidences, ateliers de peintres, dans le coffre de laquelle se trouve une poule noire. L'énigme c'est aussi le nom de votre neveu : Dany. Cet itinéraire pour arriver à Barradères, la ville de naissance paternelle, est comme un labyrinthe de souvenirs. L'écrivain donne l'impression que les retrouvailles avec son enfance sont plus prioritaires que la quête du parcours du père défunt.
D.L.: Vous savez qu'il est difficile de faire bouger un homme installé dans une habitude de vie. C'est souvent la nouvelle d'un décès qui le pousse à se mettre en route. La mort qui rend immobile le mort fait bouger le vivant. La mort accélère la vie autour d'elle. C'est un véritable événement. Celui du père pour un homme. C'est le miroir qui se fracasse. C'est vrai ce que les Américains appellent un «road book».
Dès l'annonce de la nouvelle, le narrateur est en mouvement jusqu'au repos dans le hamac de ce village des Abricots. Comme un enfant avec ses jouets, il s'accroche à des objets dont certains sont virtuels, comme le contenu de la valise alors que d'autres en gardent un caractère mystique. Le monde invisible enveloppe la vie quotidienne. Legba accompagne le narrateur. Et à un certain moment, les frontières deviennent si floues qu'elles ne sont plus répérables.
Je voyage beaucoup dans ce monde d'aujourd'hui où les États élèvent de plus en plus de barrières pour empêcher la circulation des gens. Les aéroports deviennent des lieux inhospitaliers. J'ai voulu rappeler qu'il y a d'autres manières possibles de voyager. L'artiste est le dernier voyageur libre. C'est un dandy qui franchit les frontières comme les classes sociales sans se soucier des intimidations. Une telle insouciance effare les pouvoirs.
D'autre part, c'est vrai que le père semble être le fil rouge du récit, mais Pierre, c'est que je ne l'ai pas bien connu. Et je ne voulais pas faire non plus un livre où je chercherais à savoir des faits. Le paysage intérieur, c'est-à-dire les émotions qui me traversent, sont prioritaires à mes yeux que les paysages extérieurs. Ou ce que Malraux appelle «ce tas de petits secrets» qu'est l'homme. L'image de la valise, c'est pour dire que tout homme a droit à sa vie. En un mot: ce qu'il n'a pas révélé ne doit pas être révélé.
L.N.: Dans ce cheminement, il y a un repère littéraire : Le cahier du retour au pays natal de Césaire. C'est aussi l'autre énigme pour vos lecteurs qui ne s'étaient pas habitués à un Dany Laferrière de l'identité caribéenne. La mort du père, est-ce la fin des idéologies de la Négritude et autres thématiques face à la prédominance d'une lyrique plus personnelle ?
Un texte serein
D.L.: Je n'ai aucun projet en faisant ce livre. Je me sens plus à l'intérieur du livre qu'à l'extérieur. Je voulais être étonné par ce livre. C'est aux yeux de tous un livre qui parle plus de la vie que de l'identité. Ce retour de l'exil fait penser à tous ceux qui, pour fuir la dictature, ont dû quitter leur pays. On voit immédiatement les années de fer des Duvalier père et fils.
Mais il y a aussi des mythologies grecques. Énée qui rentre chez lui en portant sur son dos son vieux père Anchise, c'est le narrateur qui rentre avec le cadavre de son père. Ulysse arrivé à Ithaque, on se souvient, ne se rend pas tout de suite dans sa maison. C'est le narrateur qui se barricade à l'hôtel. Pénélope qui attend. C'est la mère du narrateur près du massif des lauriers roses.
Il faut ajouter aussi que si j'évoque Césaire, sa figure, son style explosif ne se retrouve pas dans ce livre plutôt serein. Et les poèmes brefs font penser plus à Basho qu'à Césaire. C'est un brassage. Et d'autres choses encore que je laisse le lecteur deviner.
S'agissant de lyrisme, la poésie haïtienne a toujours été fortement lyrique, mais la différence, c'est que je fais entrer ici la vie quotidienne. Nos jeunes poètes pratiquent volontiers un lyrisme plus abstrait, ils ont goût à sculpter la forme. J'aime bien retrouver le quotidien dans un poème, mais chacun sa manière.
L.N.: Entre votre génération et celle que représente votre neveu, il y a des hésitations et toute une fascination d'un monde plus tumultueux. Est-ce là que se trouve l'énigme entre Dany l'écrivain et Dany l'admirateur de rap et de trépidation urbaine ?
D.L.: Effectivement j'ai un neveu qui s'appelle Dany et qui voudrait devenir écrivain. Je n'ai pas voulu faire un effet de miroir. Et il est fasciné par son époque. C'est le rap et la violence urbaine. La réalité haïtienne est plus éclatée aujourd'hui.
Dans les années 60-70, il y avait un ordre violent, celui de la dictature. Aujourd'hui, comme il n'y a pas de pouvoir fort, la violence a plusieurs visages. En fait les époques sont simplement différentes et il n'y a pas à les comparer. Chacun vit sa vie.
Propos recueillis par Pierre Clitandre
(à suivre)Yon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.

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