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Les Vanupieds (20)

Publié le 29 décembre 2009 par Plume
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Ses longs cheveux blonds tout épars autour d’elle, Abby reposait tranquillement, petit être perdue au fond de ce grand lit à baldaquin qu’elle partageait avec la duchesse depuis trois jours. Ses paupières closes indiquaient clairement qu’elle dormait. Assise tout à côté, la duchesse la mangeait des yeux. Par moment, elle portait sa main sur le joli visage et dégageait tendrement les joues roses des boucles rebelles qui s’y attardaient.

Quand elle entendit la porte s’ouvrir et se refermer, elle leva la tête, éblouissante de son soudain bonheur… et ses sourcils se froncèrent légèrement à la vue des trois enfants.

Ils s’approchèrent du lit.

« Ne faites aucun bruit ! Chuchota l’aristocrate, sur un ton sec. Vous allez réveiller mon cher petit ange ! »

Alissa, encore écarlate et défaite, la foudroya des yeux, se retenant de lui crier à la face qu’Abby n’était pas son cher ange, et ravala sa hargne avec effort. Suivi d’Adam, elle contourna le lit sur la pointe des pieds et se pencha sur l’enfant endormi. Tous deux contemplèrent ainsi, immobiles et frémissants, le visage assoupi de leur petite sœur. France, les épaules et la tête droites, impassible, avait posé ses deux mains sur le pied de lit et laissait errer sur eux tous son regard noir comme une nuit sans étoiles. La cicatrice qui la défigurait prenait une couleur étonnamment ténébreuse dans la pénombre, donnant à l’ensemble de ses traits un air de sauvage prête à tout. Elle arrêta une courte seconde cette expression farouche sur Lewis, debout près de la fenêtre à attendre.

Abby Célone, elle s’appelle Abby Célone et c’est ma petite sœur.

Vaguement impressionnée, Lewis pinça les lèvres et inclina la tête avec un gentil sourire. Mais France ne le lui rendit pas. Elle le fixait, sombre.

Alissa voulut poser un baiser sur le front de l’enfant. Aussitôt la duchesse la repoussa :

« Je te l’interdis ! Tu vas la réveiller ! Laisse-la ! »

 Alissa leva un visage ruisselant de larmes vers elle, surprise et indigné. Mais la duchesse secoua la tête avec sévérité, nullement émue par sa détresse. Alissa se raidit mais n’insista pas et se détourna du lit en se frottant vigoureusement les paupières. Adam lui emboita le pas, alors qu’elle s’éloignait. Mais le regard dont il enveloppait la jeune femme luisait de haine.

Une dernière fois, France contempla sa petite sœur endormie puis sortit de la pièce à son tour, sans un mot.

Dès que la porte se fut refermée sur les trois enfants, la duchesse se redressa :

« Nous partons dans ma propriété dès demain ! Ordonna-t-elle à Lewis. Veuillez faire rapidement le nécessaire !

- Oui, madame.

- Je ne veux pas qu’ils puissent un jour la retrouver… »

Lewis sursauta.

« Toutes les traces de cette malheureuse histoire doivent être effacées, vous mettrez le château en vente afin qu’ils ne trouvent plus rien si la fantaisie leur prenait de revenir…

- Mais… »

Lewis semblait confus :

« Mais c’est leur petite sœur ! »

Le joli visage de l’aristocrate se durcit singulièrement.

« C’est ma fille ! Personne ne lui parlera jamais de ses origines, vous m’avez comprise ? Vous seul et moi saurons. Elle doit faire table rase de son ancienne vie, elle est encore jeune et oubliera très vite.

- Oui, madame ! Bredouilla Lewis, effondré.

- Très bien. Elle se nomme Elisabeth, héritière de la fortune et de l’illustre nom de feu monsieur le duc de Fontleroy.

- Mais… » Voulut protester Lewis à nouveau, livide.

La duchesse eut un mouvement d’impatience :

« Cela suffit, Lewis. Elle s’appelle Elisabeth de Fontleroy, elle est mon enfant, mon Elisabeth à moi. »

Elle se pencha vers l’enfant toujours profondément endormie et effleura son front de ses lèvres :

« Elisabeth, chuchota-t-elle, Elisabeth, mon amour, mon petit amour… »

Lewis la contempla un instant avec horreur, réalisant tout à coup que protester était vain. La duchesse ne pouvait entendre. Elle avait chassé définitivement de son esprit la mort récente de la véritable Elisabeth de Fontleroy, faisant de cette enfant de rien du tout une des plus riches héritières du royaume.

Quand Lewis regarda par la fenêtre, blanc comme un linge, il aperçut les trois enfants qui s’engageaient dans l’allée et ses lèvres se mirent à trembler. Puis son cœur bondit. Il fallait qu’il fasse quelque chose, pour avoir la conscience en paix. Ce que voulait la duchesse était criminel et lui, Lewis, le cocher fidèle, il voulait réparer cette injustice… un peu. Comme il pouvait.

Il sortit de la chambre à pas de loup. La duchesse ne l’entendit pas. Alors il s’élança dans le long couloir, dévala l’immense escalier de marbre blanc, traversa le hall en courant, ouvrit la haute porte avec fracas, sauta quatre à quatre les marches du gigantesque perron à colonnades et se précipita à toutes jambes derrière les trois enfants.

Marchant lentement sur les graviers qui brûlaient la chair pourtant aguerrie de la plante de leurs pieds, ils atteignaient en silence l’immense grille étincelante sous le soleil lorsque l’appel de Lewis stoppa leur élan.

« Attendez ! »

Surpris, France, Adam et Alissa se retournèrent. Lewis les rejoignit enfin, hors d’haleine.

« Je ne voulais pas que vous partiez comme cela ! Souffla-t-il, alors je… enfin, voilà, c’est pour vous ! »

Et il mit entre les mains de l’aînée une bourse remplie de pièces d’or. Une seconde interloquée, la fillette fronça très rapidement les sourcils et le regard qu’elle lui retourna, loin d’être reconnaissant, se chargea de colère.

« Si c’est pour… » Commença-t-elle d’une voix rauque.

Mais Lewis l’interrompit, secouant vigoureusement la tête :

« Non ! Non ! Cela n’a rien à voir ! Je sais parfaitement que tu ne nous as pas vendu Abby, ce n’est pas ce que je voulais que tu crois, France, pardonne ma précipitation. Je veux seulement te prouver que… que des gens peuvent éprouver de la compassion et être généreux envers vous, mes pauvres enfants. C’est pour que vous parveniez plus tôt à la mer, tu comprends, France, n’est ce pas ? »

Avant que la fillette ne réponde, il lui passa d’autorité la bourse autour du cou :

« Je t’en prie, accepte…

- Merci ! » Murmura France simplement.

Lewis eut l’air heureux. Il leur fit un petit signe de la main et regagna le château.

Alors France regarda son frère et sa sœur, vaguement inquiète. Adam lui sourit avec confiance mais Alissa, les mains crispées, le visage fermé, l’ignora superbement. France parut s’en attrister un peu mais ne releva pas. Elle redressa les épaules et se remit en route sans prononcer une seule parole. Adam lui emboita aussitôt le pas, suivi de loin par Alissa. Sur la poitrine de l’aînée, la bourse tintait gaiement des pièces qui s’entrechoquaient.




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