HAITI:L'éternelle transition
S'il y a une période de la dynamique politique plus redoutée par les sociologues, anthropologues, chercheurs, scientifiques, c'est bien la transition. Non qu'elle soit une étape de la vie politique qu'il faut écarter où vite brûler à tout prix. Mais cette phase de l'activité politique est caractéristique d'une désorganisation sociale - trop dangereuse pour l'existence et la survie de l'Etat - pour qu'elle s'échelonne sur le long terme, voire durer une éternité.
Pourtant notre pays - comme s'il était en état d'apesanteur - traîne depuis 1986 une période de transition qui parachève graduellement le déclin de l'influence des règles sociales sur les individus, se manifeste par cet affaiblissement des valeurs collectives, induisant inéluctablement cet accroissement et cette valorisation des pratiques individuelles destructrices des collectivités.
Les signes de cette période, ô combien! longue de transition sont patents à travers notre difficulté ou notre incapacité à régler définitivement le problème de l'organisation politique du pays qui - à travers les actes et actions des administrations ou gouvernements successifs - se traduit par une oscillation perpétuelle, continue entre l'avant et l'après. Une forme de « chaos » qui touche l'ensemble du corps social, l'aspect institutionnel et les représentations sociales de l'Etat. Jusqu'à aujourd'hui, l'Etat haïtien ne s'est arrêté à aucun choix économique, ne dégage aucune vision sociale spécifique, n'assure les fondements de son pourvoir politique qui constituerait l'homogénéité de son assise sociale.
L'année dernière, à pareille époque, nous avons présenté la dure réalité de cette phase de transition comme « le refus systématique de la modernité » au fait que nous ne sommes pas résolument décidés à marquer la rupture, à passer d'un ordre ancien à un ordre nouveau, à entamer la phase de remembrement après celle de démembrement, à organiser politiquement le pays en fonction des exigences des sociétés modernes fondées sur les principes démocratiques.
Aussi le processus d'institutionnalisation du pouvoir ou de (re) fondation de l'Etat achoppe-t-il sur cette tentation d'un chef dispensateur de privilèges et de faveurs réclamant l'allégeance personnelle. C'est à travers cette grille qu'il faut tenter d'analyser les actes et actions enregistrés au cours de cette année 2009 :
- les tractations entourant le projet d'une révision constitutionnelle qui devrait, en toute logique, être une nécessité communément partagée par l'ensemble sinon la majorité de la population;
-les contestations, les suspicions soulevées autour de la formation et du fonctionnement d'un conseil électoral (provisoirement permanent), cette institution qui dans un Etat de partis règle le jeu politique;
-la recherche d'une « stabilité » politique - en dehors du processus dégressif du nombre des partis résultant de l'alternance au pouvoir, de l'organisation périodique des élections - par la formation d'un parti présidentiel;
-les atermoiements autour de la constitution des forces armées (police et militaire) chargées de la sécurité nationale et du maintien de l'ordre social et de la détermination du mandat de la Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH);
-les tentatives de vassalisation des deux autres pouvoirs (législatif et judiciaire) par l'éxécutif;
-l'impossibilité de déterminer entre la production nationale (et/ou agricole) et la relance du secteur touristique lequel constitue le pôle de développement de l'Etat et pour lequel il aménage les structures nécessaires, forme les ressources humaines y afférentes et dégage les moyens indispensables;
-l'inaction de l'Etat face à la migration de ses ressortissants vers la République voisine avec son cortège d'assassinats, de persécutions;
-l'absence de transparence dans le processus de privatisation des entreprises d'Etat...
Loin d'être exhaustifs, ces faits enregistrés au cours de cette année, qui annoncent d'ailleurs des élections truquées sinon contestées, sont révélateurs de cette désorganisation sociale caractéristique d'une période de transition qui n'a que trop duré et de ce refus systématique de la modernité. Elle semble s'annoncer pour longtemps encore, dans la mesure où les médias connus généralement comme « des instruments culturels utilisés à des fins de changement accéléré afin d'accéder à une nouvelle structuration de l'ordre social dans le pays », eux aussi sont en transition. Les médias haïtiens sont donc dans l'impossibilité de présider le « processus rituel du démembrement et du remembrement qui permet de déconstruire les structures anciennes et de constituer une nouvelle orientation».
Une nouvelle orientation qui nécessiterait, pour répéter V. Turner, l'apport des « forces de manifestation» s'inspirant de « nouveaux paradigmes de base» impliquant l'action des médias comme « agents de transformation ». C'est dans la perspective de ce contrat de communication que le doyen de la presse haïtienne souhaite une heureuse année 2010 à tous les Haïtiennes et Haïtiens qui croient au changement par le vote, par le choix de leurs représentants et qui manifestent encore leur foi en ce sauvetage national collectif possible à partir d'un véritable saut vers la modernité.Yon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.