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Un autre, tiers – Triptyque du désert (deuxième partie)

Publié le 28 décembre 2009 par Yelyam

Un autre, tiers

Un autre, tiers – Triptyque du désert (deuxième partie)

J’aime passer mes soirées dans les dunes. Il y fait calme. Je vous dirais pas qu’il n’y pas “âme qui vive”, car ça grouille de monde là dedans, mais chaque personne qui y passe est persuadée d’être seule.

Vous allez me rétorquez que justement parce qu’on pense être seul, on aurait tendance à se lâcher… et c’est là je vous dit que vous ne connaissez pas deux lignes du BA-ba de la psychologie de l’être humain : s’il a un public, alors il ne le décevra pas, il fera du bruit, pour attirer l’attention des autres, il se donnera en spectacle, il leur en donnera plein la vue.

Mais s’il est seul, croyez-moi, il ne bronchera pas.

Vous pensiez que le seul but des cellules d’isolement était de briser les prisonniers? Non, c’est également le meilleur moyen de les calmer et de donner un peu de répit à leurs gardiens. Seuls, ils sont calmes ; à partir de deux, ils se transforment en bêtes sauvages….

Donc, me voilà dans les dunes, je marche en silence, je profite du moment, de la nuit clémente, de la lumière lunaire. Je dois dire que je ne suis pas déçu par le spectacle!

Bon, comme je vous disais, dans les dunes, on n’est jamais seuls, et un de mes petits plaisirs solitaires, c’est d’observer les autres malgré eux. Parfois, j’ai de la chance et je tombe sur un couple pas forcément légitime et qui s’en donne à coeur joie. J’avoue, je regarde. Et j’avoue, cela me fait quelque chose.

Faut dire que ça n’arrive pas très souvent. Y a bien le village, pas loin, mais on n’est pas très nombreux et ce n’est pas forcément évident d’y voir naître et s’épanouir des romances. Heureusement, durant certains mois de l’année, il y a les touristes aussi et c’est franchement la fête quand ils sont là.

Mais ce soir, on est déjà la fin de saison, il n’y en a plus beaucoup, des touristes. Mon ami qui travaille au bivouac et qui connaît mon petit plaisir secret m’a pourtant dit que je ferais mieux de me pointer ce soir, qu’il me promettait du spectacle. Alors, emballé à l’idée, je suis venu.

Là, je le cherche. Je n’ai rien entendu encore, mais bon, s’il m’a dit de venir, c’est qu’il est sur un coup… C’est vrai qu’il y a deux  filles qui résident au bivouac en ce moment… peut-être un rapport avec elles ? Ca m’étonnerait pas, ces Européennes sont en demande de ce genre de choses. Elles viennent tout exprès pour ça, car elles savent que les hommes de la région leur donneront satisfaction. C’est qu’on a une réputation, et qu’elle n’est pas fausse !

Ah, je crois qu’ils sont là…. attendez, laissez-moi jeter un oeil sur la situation, histoire que je m’assure que je ne suis pas arrivé trop tard…. Bon, ça va, il lui fait la cour, il lui parle. En général, une fois la chose faite, on n’a plus envie de lui conter fleurette à la demoiselle, après l’avoir emballée, on remballe notre matériel et on passe à autre chose.

Là, je m’installe un peu confortablement : c’était pleine lune hier, donc je ne vais rien rater du spectacle. Par contre, je suis un peu loin, je ne vais rien entendre….

Alors gaillard, tu nous fais quoi, là ? Arrêtes de parler et mets-toi en action : j’ai pas que ça à faire, moi. Ceci dit, elle ne m’a pas l’air intéressée du tout ! C’est qu’à force d’observer les autres, cachés dans mes dunes, de ne pas toujours entendre, et de chercher à comprendre magré tout ce qu’ils se racontent, j’ai appris à décoder les gestes, la façon dont chacun se rapproche ou s’éloigne… Et ce que j’ai sous les yeux : c’est clairement une femme qui ne veut pas.

Mais en plus, elle est futée…au lieu de lui dire ‘non, je ne veux pas’… elle le fait parler, la garce !

Tout ceci me rappelle les mariages de mes deux cousins. Ils ont épousé deux soeurs : une était très bavarde et l’autre ne pipait jamais un mot de trop. Le plus âgé des deux s’est octroyé le choix de prendre la taiseuse : il s’est imaginé, l’imbécile, qu’ainsi c’est lui qui aurait le dernier mot, laissant à son frère les joies de discutailler avec une épouse bavarde. Et bien, s’il avait eu une once de bon sens, il n’aurait pas fait cette bêtise.

Un homme ferait mieux d’épouser une bavarde !

D’abord parce que la vie est bien plus agréable avec ce genre de femmes : elle a toujours une anecdote à raconter, une histoire à inventer, des aventures à extrapoler.

Ensuite, parce que la meilleure façon de manipuler quelqu’un ce n’est pas en lui parlant, mais en le laissant parler … la femme bavarde : tu la manipules à ta guise, la femme taiseuse : Dieu seul sait ce qu’elle pense et ce qu’elle manigance…

Et ce n’est pas le spectacle de ce soir qui m’aura fait changer d’avis…

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