"Ils ne voient qu'une seule chose :
nous sommes venus
et nous avons volé leurs terres.
Pourquoi devraient t-ils accepter cela"?
"Si j'étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C'est normal; nous avons pris leur pays. Il est vrai que Dieu nous l'a promise, mais comment cela pourrait-il les concerner ? Notre dieu n'est pas le leur.
Il y a eu l'antisémitisme, les Nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu'une seule chose : nous sommes venus et nous avons volé leurs terres. Pourquoi devraient t-ils accepter cela"? Cette déclaration de David Ben Gourion, l'un des principaux fondateurs de l'état d'Israël résume les deux fondements présumés légitimes de la création de l'État hébreu: la Bible et la Shoah. L'idée répandue à propos de la Palestine depuis une soixantaine d'années, est celle d'une terre que les Juifs, après avoir été chassés par les Romains retrouvaient enfin après un exil qui avait duré dix-neuf siècles, d'autant plus que, suite au traumatisme de la Shoah, ils avaient enfin gagné le droit de vivre en paix sur une terre qui était la leur depuis l'arrivée de David à Sion comme le relate l'Ancien Testament (2 Samuel V,9). L'historien israélien Shlomo Sand est encore plus explicite sur cette justification de l'État hébreu à propos du "retour" du peuple juif: "La terre lui appartenait donc bien, et non pas à cette minorité dépourvue d'histoire qui y était arrivée par hasard. Aussi les guerres menées par le peuple errant pour reprendre possession de sa terre étaient-elles justes, tandis qu'était criminelle l'opposition violente de la population locale. Seule la bonté juive, sans rapport avec la Bible, a permis aux étrangers de continuer à résider aux côtés du peuple d'Israël revenu à sa langue biblique et à sa terre bien-aimée.
En Israël, ces amas de mémoires ne se sont pas constitués spontanément. Ils ont été accumulés, strate après strate, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, par de talentueux reconstructeurs du passé, qui ont assemblé des morceaux de mémoire religieuse, juive et chrétienne, sur la base desquels leur imagination fertile a inventé un enchaînement généalogique continu pour le peuple juif" [1]. Précisément, cette reconstruction du passé s'inscrivit dans une recherche d'identité qui déboucha sur le concept d'une nation juive laquelle prit la forme du sionisme avec son promoteur, Theodor Herzl.
Le sionisme, nationalisme juif
Ce besoin de se créer une identité juive transnationale et laïque était alors nouvelle dans l'histoire des populations juives d'Europe car "pour la plus grande partie du public cultivé d'Europe centrale et occidentale, héritier des Lumières, le judaïsme constituait une communauté religieuse, et certainement pas un peuple nomade ou une nationalité étrangère. Les rabbins et les religieux traditionalistes, c'est-à-dire les intellectuels «organiques» des communautés juives, n'avaient pas, jusqu'à présent, éprouvé le besoin de se fonder sur l'histoire pour renforcer une identité qui, pendant des siècles, leur avait semblé couler de source" [2]. Le sionisme s'inscrivait alors dans un mouvement de montée des nationalismes qui parcourait toute l'Europe et qui a marqué la fin du XIXe siècle: le concept de nation l'emportait sur celui de pays. Il s'agissait de trouver une nouvelle façon de vivre ensemble car "aucune nation ne possède naturellement une base ethnique, mais à mesure que les formations sociales se nationalisent, les populations qu'elles incluent, qu'elles se répartissent ou qu'elles dominent sont "ethnicisées", c'est-à-dire représentées dans le passé ou dans l'avenir comme si elles formaient une communauté naturelle [...]". [3] Donc, le nationalisme a besoin de se référer à une ethnie d'autant plus commune qu'elle est lointaine et c'est ainsi que fleurit dans la France de la IIIe république, le fameux "nos ancêtres les Gaulois" alors que les Français n'ont plus rien à voir avec eux quand on sait que la langue française est d'origine composite: elle procède tout à la fois du latin, du roman et du francique et n'a conservé que quelques mots d'origine gauloise. Cinq siècles d'acculturation romaine ont totalement effacé la civilisation gauloise. C'est dans le même état d'esprit que l'Allemagne se réfère aux tribus teutoniques, la Russie au peuple slave et la Pologne à une notion ethnico-religieuse. C'est justement dans ces trois pays que se concentrent les Juifs ashkénazes. En Russie et en Pologne, ils subirent des pogroms pendant une période allant de 1881 à 1884. On ne peut nier qu'ils eurent une influence déterminante sur la naissance du sionisme, en illustrant de façon brutale et cruelle que les Juifs ashkénazes et leur culture yiddish n'avaient pas leur place dans le nationalisme grandissant de ces pays en quête d'identité et c'est d'ailleurs dans cette montée des nationalismes que l'on trouve l'origine de l'antisémitisme moderne. Il fallait donc élaborer un nationalisme juif: ce fut la naissance du sionisme, ainsi nommé parce que cette idéologie prône le retour des Juifs à Sion, là ou fut bâtie Jérusalem. Theodor Herzl fut le créateur du mouvement sioniste qui repose sur quatre principes:
1. L'existence d'un peuple juif.
2. L'impossibilité de son assimilation par d'autres peuples.
3. D'où la création d'un État particulier pour prendre en charge le destin du peuple juif.
4. Le droit des Juifs à s'installer en terre d'Israël (Eretz Israël), c'est-à-dire en Palestine.
Le sionisme prétend affirmer une entité juive laïque tout en prenant dans la Bible ce qui l'arrange, c'est-à-dire la partie allant de la transmission du Décalogue à Moïse par l'Éternel à l'arrivée de David à Sion. Il passe, pour reprendre la formule de Shlomo Sand, de la religion de la foi à la religion de l'Histoire, chose qui ne fut pas du goût des religieux juifs de l'époque et l'opposition la plus sérieuse au projet sioniste émana du rabbin lituanien Elchonon Wasserman qui jouissait d'un grand prestige dans la communauté juive en tant que spécialiste reconnu de la Torah. Il suivait en cela l'approche d'une majorité de Juifs orthodoxes de l'époque, qui considéraient que Dieu avait détruit l'état juif de l'Antiquité, et que seul son messie pouvait le rétablir. Toute tentative humaine de s'opposer à la volonté de Dieu ne pouvait qu'entrainer des désastres pour le peuple juif. Cette position est partagée par celle de l'église catholique en la personne de Pie X: "Nous ne pourrons pas empêcher les Juifs d’aller à Jérusalem, mais nous ne pourrons jamais les y encourager. Le sol de Jérusalem n’a pas toujours été sacré, mais il a été sanctifié par la vie de Jésus. Les Juifs n’ont pas reconnu Notre Seigneur et nous ne pourrons donc pas reconnaître le peuple juif. Non possumus." [4]. Du reste, malgré la tenue du premier congrès sioniste à Bâle en 1897 au cours duquel fut créée l'organisation sioniste mondiale, et dont Herzl fut à l'initiative, les thèses de ce dernier trouvèrent peu d'écho auprès de la population juive qui avait adopté la même position que les rabbins. Le sionisme n'est pas seulement contestable d'un point de vue religieux, il l'est également sur son premier principe: l'existence d'un peuple juif.
Le mythe du peuple juif
"Comme il n'existait pas de preuve plus éclatante de l'existence des juifs en tant que peuple ou en tant que nation, et non comme «simple» communauté religieuse dans l'ombre d'autres religions hégémoniques, que leur antique «présence» étatique sur un territoire à eux, c'est par une marche en crabe vers le Livre des livres que celui-ci devint le meilleur des outils de construction d'une réalité nationale". [5] Donc, après la destruction du Temple de Jérusalem par l'empereur Titus en 70 et la répression de la révolte de Bar Kokhba en 135, les Juifs auraient été dispersés dans tout l'empire romain. D'après Shlomo Sand, il s'agit d'une légende chrétienne; si c'est le cas, cela vaut la peine qu'on s'y arrête pour nous demander si les Juifs n'ont pas été exclus du royaume de Dieu qui, comme l'a dit le Christ "n'est pas de ce monde" en refusant la Nouvelle Alliance que celui-ci leur proposait, la nouvelle Israël étant l'assemblée des chrétiens, l'église (ecclesia). Cette explication apparaît d'autant plus plausible que le Temple qui abritait l'Arche d'Alliance fut détruit, de sorte que Jérusalem cessa définitivement d'être le lieu privilégié de la présence divine, d'où, de la part des Juifs, un sentiment d'abandon et d'exil. On aurait donc interprété cette situation dans un sens purement matériel pour déboucher sur la légende du peuple dispersé et transformé ainsi en diaspora. Elle arrange bien les sionistes, l'ennui, c'est qu'elle est totalement fausse car à la suite des recherches historiques et archéologiques menées en Palestine, on n'a pas trouvé la moindre trace d'une telle dispersion. Enfin, les Romains n'avaient pas les moyens matériels de procéder à un tel déplacement de population et d'ailleurs, pourquoi l'auraient-ils fait? Lorsqu'une révolte éclatait dans l'empire, il leur suffisait d'en tuer les chefs et d'emprisonner ou de déporter comme esclaves ceux qui y avaient participé, ce qu'ils firent après la révolte de Bar Kokhba.
Pourtant, les historiens ont estimé qu'il y a eu quatre millions de Juifs dans l'empire romain. C'est inexplicable, si on garde à l'esprit cette image du judaïsme auquel un goy ne peut pas se convertir. Mais il n'en a pas toujours été ainsi, et cela fait l'objet d'un tabou, non seulement chez les sionistes mais également chez les juifs talmudiques, leurs alliés. Les historiens ont découvert qu'il y eut des conversions massives au judaïsme entre le premier siècle avant l'ère chrétienne et le premier siècle après JC qui s'accomplirent sur l'ensemble du bassin méditerranéen, entre autres au Maghreb, en particulier chez les Puniques (Carthaginois) qui vivaient sur le territoire de l'actuelle Tunisie, laquelle abrite aujourd'hui la plus importante et la plus ancienne communauté juive d'Afrique du Nord. Le judaïsme toucha même les Berbères qui se convertirent à leur tour. Cette présence des Juifs dans l'empire romain nous est également signalée dans les Actes des Apôtres: on les trouve en Syrie à Chypre, en Macédoine, en Grèce... et à Rome. Toutefois, avec l'apparition et le développement du christianisme, le judaïsme dut trouver des adeptes dans d'autres contrées: "La vérité est que, avant son repli partiel sur lui-même, quand son entourage chrétien l'eut rejeté dans la marginalité, le judaïsme s'adonna au prosélytisme dans les lieux encore vierges de tout contact avec le monothéisme expansionniste. De la péninsule arabique aux territoires des Slaves, des monts du Caucase, des steppes de la Volga et du Don, des espaces autour de la Carthage antique, détruite et reconstruite, jusqu'à la péninsule ibérique pré-musulmane, la religion juive continua de faire des adeptes, ce qui lui assura sa surprenante pérennité historique. Les régions dans lesquelles le judaïsme réussit à s'infiltrer étaient généralement occupées par des civilisations en voie de mutation, de sociétés tribales vers un début de consolidation en royaumes. Toutes pratiquaient encore le paganisme". [6] Il y eut même un empire juif, celui des Khazars: "Les Khazars, produits d'une coalition de clans puissants de lignée turque ou huno-bulgare, se mêlèrent au début de leur colonisation aux Scythes, leurs prédécesseurs sur ces hauteurs et ces steppes s'étendant de la mer Noire à la mer Caspienne, elle-même longtemps appelée la «mer des Khazars». A son apogée, ce royaume engloba une grande variété de tribus et de groupes linguistiques : des Alains aux Bulgares et des Magyars aux Slaves, les Khazars étendirent leur pouvoir sur un grand nombre de sujets qu'ils soumirent à l'impôt. Ainsi purent-ils régner sur un vaste territoire allant de Kiev au nord-ouest jusqu'à la Crimée au sud, de la Volga à la Géorgie actuelle". [7] Cet empire (VIe-XIe siècle), vit sa population se convertir au judaïsme au VIIIe siècle. En Israël, cette question des Khazars est devenue taboue, surtout depuis 1976, date à laquelle l'écrivain Arthur Koestler publia la Treizième Tribu dans lequel il parle de l'empire khazar et de son héritage: "Koestler pensait que « la grande majorité des juifs survivants vient de l'Europe orientale et [qu']en conséquence elle est peut-être principalement d'origine khazare. Cela voudrait dire que les ancêtres de ces juifs ne venaient pas des bords du Jourdain, mais des plaines de la Volga, non pas de Canaan, mais du Caucase, où l'on a vu le berceau de la race aryenne ; génétiquement, ils seraient apparentés aux Huns, aux Ouïgours, aux Magyars, plutôt qu'à la semence d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. S'il en était bien ainsi, le mot "antisémitisme" n'aurait aucun sens : il témoignerait d'un malentendu également partagé par les bourreaux et par les victimes. À mesure qu'elle émerge lentement du passé, l'aventure de l'empire khazar commence à ressembler à une farce, la plus cruelle que l'histoire ait perpétrée». (A. Koestler, La Treizième Tribu, p. 17-18)". [8] Ce qu'on peut affirmer avec certitude, c'est que les conquêtes mongoles chassèrent ces populations d'Asie centrale qui migrèrent à l'est de l'Ukraine et aux frontières de la Pologne et de la Lituanie, et parmi elles, les Juifs khazars. Ces derniers sont-ils pour autant les ancêtres des Juifs ashkénazes? Toujours est-il que les premiers signes de judaïsme en Europe de l'Est apparaissent après la disparition de l'empire khazar et il est difficile de ne pas faire le lien entre les deux. Il ressort de tout ceci que parmi les actuels Palestiniens, il y en a probablement qui sont les descendants des premiers Juifs de la région, comme le soutenaient dès 1929, David Ben Gourion et Ytzhak Ben Zvi. Cette histoire des Khazars fut connue dès 1838 et fit l'objet d'études plus approfondies dans la deuxième moitié du XIXe siècle, mais les documents dont on disposait à l'époque étaient trop rares pour remettre en cause la certitude d'un peuple juif à la filiation biologique ininterrompue depuis sa "dispersion". Ajoutons à cela que le mot "juif" se réfère aussi bien à l'appartenance au peuple éponyme qu'à la religion judaïque alors que la communauté des croyants est qualifiée d'"église" chez les chrétiens, et d'"oumma" chez les musulmans. Cela tient tout simplement au fait que les Hébreux, qui deviendront les Juifs avec leur arrivée à Sion sont désignés dans la Bible comme "peuple élu". Donc la notion de peuple fait partie de la tradition juive comme peuple de Dieu que le sionisme laïque détourne à son profit en lui donnant un caractère charnel et que le judaïsme talmudique, héritier du pharisianisme s'est appropriée en développant dans une optique millénariste le mythe d'un messie vengeur qui viendra avec "une verge de fer" redonner au peuple élu sa gloire d'antan et cela ne pourra se faire qu'en Palestine et à Jérusalem où les Juifs sont appelés à retourner. Ce courant du judaïsme, dont les vues convergent avec le projet sioniste, explique aujourd'hui l'emprise croissante de l'extrémisme religieux sur les institutions israéliennes. Nous y reviendrons. L'absence de preuves historiques et scientifiques d'un peuple juif à la filiation biologique ininterrompue n'empêche pas le sionisme de se développer et de passer à une étape décisive avec la déclaration Balfour et la mise sous mandat britannique de la Palestine.
La Palestine mandataire et la création de l'Agence juive (1920-1947)
Avant la naissance du sionisme, les pogroms des années 1881-1884 provoquèrent l'exil de Juifs ashkénazes, principalement en direction des États-Unis d'Amérique jusqu'en 1924, année où ce pays leur ferma ses frontières. Peu se rendirent en Palestine car à l'époque, elle faisait partie de l'Empire ottoman. Tout change lorsque les troupes britanniques, conduites par le général Edmund Allenby remportent une victoire décisive sur les Turcs à Beer-Sheva le 31 octobre 1917. Arthur James Balfour, alors ministre britannique des affaires étrangères envoya une lettre ouverte à Lionel Walter Rothschild le 2 novembre 1917 et sous la pression des sionistes comme Chaim Weizmann, alors président de la Fédération sioniste, qui sera élu en 1948 Président de l'État d'Israël: […] "Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays".[...]. Après la signature du traité de Sèvres le 10 aout 1920 qui consacra le démantèlement de l'Empire ottoman, la Palestine fut placée sous mandat par la Société des Nations pour en confier l'administration au Royaume-Uni, décision officialisée en juillet 1922. Ce mandat fut assorti des conditions suivantes: le Royaume-Uni devait "placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l'établissement d'un foyer national juif et le développement d'institutions d'auto-gouvernement, ainsi que la sauvegarde des droits civils et religieux de tous les habitants de la Palestine, à quelque race ou religion qu’ils appartiennent" (article 2 du mandat). Il devait également "faciliter l'immigration juive et encourager l'installation compacte des Juifs sur les terres". Cette différence de traitement fut fortement critiquée par les leaders arabes palestiniens, des plus radicaux aux plus modérés. Cela ne pouvait qu'entraîner des conflits qui commencèrent en 1920 avec les émeutes de Jérusalem qui firent une dizaine de morts et 250 blessés. Ces émeutes furent suivies en 1921 par celles de Jaffa que les habitants juifs fuirent pour se réfugier à Tel-Aviv, ville mitoyenne de Jaffa, mais uniquement habitée par les Juifs, qui fut séparée administrativement de Jaffa. A la suite des ces deux émeutes, les Juifs créèrent et développèrent une force d'autodéfense, la Haganah (défense en hébreu) qui devint une véritable force militaire après le massacre d'Hébron en 1929 (67 morts) au service de l'Agence juive pour la Palestine créée la même année pour être l’exécutif de l'Organisation sioniste mondiale en Palestine mandataire britannique. À partir du début des années 1930, elle devint le gouvernement de fait de la population juive palestinienne et organisa l'immigration sioniste pour la développer, ce qui mécontenta la population arabe qui craignait de se voir traiter comme une minorité dans son propre pays. Ce mécontentement déboucha sur la Grande Révolte arabe de 1936 et dura trois ans pour être matée par les forces britanniques qui n'hésitèrent pas à se faire seconder par la Haganah. Dans cette révolte, 5000 Arabes y laissèrent la vie, ainsi que 400 Juifs et 200 Britanniques. C'est aussi durant cette période sanglante qu'apparut le terrorisme juif perpétré par une organisation issue d'une scission au sein de la Haganah, l'Irgoun. Après le massacre d'Hébron qui se prolongea par des émeutes jusqu'en 1931, un désaccord apparut au sein de la Haganah dont les dirigeants avaient développé une doctrine selon laquelle cette organisation paramilitaire devait se cantonner à la défense face à une attaque arabe et n'exercer des représailles qu'à l'encontre d'anciens attaquants dûment identifiés, ce qui était rarement le cas, et c'est pourquoi un courant apparut au sein de l’organisation, prônant des représailles contre les populations soutenant les attaquants, c’est-à-dire potentiellement contre tout civil arabe palestinien. Et c'est ainsi que fut créée la Haganah Beth pour prendre le nom d'Irgoun Zwaï Leoumi ("Organisation militaire nationale") en 1936-1937, époque à partir de laquelle cette organisation perpétra de nombreux attentats terroristes contre la population arabe jusqu'en 1939, en tout 60 dont 37 firent des morts, y compris deux officiers britanniques qui sautèrent sur une mine. Le 17 mai 1939, les Britanniques, pour calmer la population arabe, publièrent un livre blanc: Ils entendaient mettre un coup d'arrêt à l'immigration juive [9] et envisageaient la création en 1949 d'un État palestinien à minorité juive. L'Irgoun arrêta alors ses attentats, mais un de ses dirigeants, Avraham Stern, ulcéré à l'idée de voir disparaître le foyer national juif provoqua une scission au sein de l'organisation et fonda le Lehi en 1940. Il se fixait pour objectif de mettre fin au mandat britannique par la force afin de lever tout obstacle à l'immigration juive et de créer un État juif. Il commit de nombreux attentats contre les Britanniques de 1941 à 1948, puis contre les Arabes en 1947-1948. Son action la plus retentissante fut l'assassinat au Caire de Lord Moyne, secrétaire d'État britannique; il avait eu le tort de déclarer le 9 juin 1942 à la Chambre des Lords que les Juifs n’étaient pas les descendants des Hébreux antiques, et qu’ils n’avaient aucune «réclamation légitime» sur la terre sainte. Toutefois, le Lehi se joignit à la Haganah et à l'Irgoun pour créer "un mouvement de la révolte hébraïque" qui sévit d'octobre 1945 au 22 juillet 1946; ce jour-là, l'Irgoun, sous la direction de Menahem Begin, fit sauter l'hôtel King David qui abritait le secrétariat du Gouvernement britannique de Palestine. On dénombra 91 victimes (28 Britanniques, 17 Juifs et 41 Arabes), la plupart civiles. La Haganah désapprouva cet attentat et se retira du mouvement. La situation en Palestine était de toute façon devenue intenable pour les autorités britanniques, et en février 1947, le gouvernement de Clement Attlee décida de remettre son mandat aux Nations unies. L'ONU désigna le 13 mai 1947 les membres d'un comité, l'UNSCOP (United Nations Special Committee on Palestine) chargé de trouver une solution et il proposa un plan de partage de la Palestine en deux États, l'un juif, l'autre arabe avec Jérusalem sous contrôle international. Ce plan fut adopté lors d'une assemblée générale des Nations-Unies (résolution 181) le 29 novembre 1947. Si les Juifs, dans leur écrasante majorité, acceptèrent ce partage, les Arabes s'y opposèrent farouchement et déclenchèrent une offensive contre le Yichouv (Juifs vivant en Palestine). Le 9 avril 1948, après qu'une poche de résistance arabe située dans le village de Deir Yassin eut été réduite, l'Irgoun s'y livra à un "nettoyage" qui fit entre 100 et 200 morts dans la population civile. Ce massacre eut un grand retentissement auprès des Arabes palestiniens et provoqua l'exode d'une partie de cette population. Finalement, le Yichouv l'emporta et le 14 mai 1948, ce fut la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël qui allait connaître sa première guerre. Le projet de Theodor Herzl étant réalisé, était-ce pour autant la fin du sionisme? Non car à partir de cette date décisive, il servit à justifier en permanence l'existence d'un État, qui bien qu'ayant été entérinée par le droit international, demeure illégitime aussi bien dans ses fondements que dans ses actes.
Israël, État illégitime
Comment une population, vivant en Palestine depuis treize siècles pouvait-elle voir arriver de gaité de cœur des immigrants résolus à voler leurs terres comme l'a dit lui-même Ben Gourion qui reconnaissait ainsi le caractère spoliateur de l'implantation juive sur ce territoire? Le résultat concret de la naissance de l'État d'Israël, ce furent des exodes massifs auxquels on assista entre novembre 1947 et octobre 1948, soit 800000 Arabes de Palestine jetés par la guerre sur les routes de l'exil. Cet épisode est resté dans la mémoire des Palestiniens sous le nom de Nakba (la catastrophe). Enfin, le conflit israélo-arabe de 1948-1949 qui fit suite à la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël permit à ce dernier d'agrandir son territoire de 26%. Ce n'est pas ce qui gêna la communauté internationale car les Juifs ashkénazes rescapés de la Shoah ne voulaient plus rester en Europe et aucun autre pays n'en voulait: "En 1947, l'Assemblée générale de l'ONU vota à la majorité des voix la création d'un «État juif» et d'un «État arabe» sur le territoire qui portait auparavant le nom de Palestine/Eretz Israël. Des milliers de déracinés sans abri erraient alors à travers toute l'Europe, et la petite colonie de peuplement sioniste établie dans le cadre du mandat britannique était censée les absorber. Les États-Unis, qui, jusqu'en 1924, avaient accueilli de nombreux juifs du peuple yiddish, refusaient désormais d'ouvrir leurs portes aux rescapés brisés par le grand massacre nazi; les autres États développés firent de même. Il leur était finalement beaucoup plus facile de proposer aux rescapés une terre lointaine qui ne leur appartenait pas pour résoudre le dérangeant problème juif" [10]. Ajoutons à cela que chez les Européens régnait un sentiment de culpabilité: après tout, c'est sur leur continent que s'était déroulée une des plus grandes tragédies du XXe siècle, d'où l'idée que les Juifs avaient tellement souffert qu'ils avaient le droit de retourner sur la terre de leurs "ancêtres" et voilà que les Arabes cherchaient à les tuer, si bien que l'infortune des Palestiniens ne suscita guère d'émotion en Occident. Enfin, il est évident qu'Israël n'aurait jamais existé et continuer à exister sans l'aide de puissances étrangères, le Royaume-Uni d'abord, les USA ensuite; en effet, c'est en 1947 que débute la Guerre froide qui vit l'antagonisme entre l'URSS qui représentait le communisme, et les États-Unis, le monde libre. Or, les Russes, depuis la conquête de la Crimée sous le règne de Catherine II, ont toujours recherché des débouchés maritimes sur les mers chaudes, d'où leurs menées au Moyen-Orient, et dans cette perspective, ils soutinrent la Syrie, l'Irak et l'Égypte après l'affaire du canal de Suez en 1956. Israël s'était donc trouvé au cœur d'un enjeu géopolitique entre les deux superpuissances du globe, ce qui avait valorisé son image en tant qu'ilot de démocratie au milieu de cette région du monde dominée par des dictatures militaires. En somme, c'était David contre Goliath.
Et en Israël même, la menace permanente d'ennemis massés à ses frontières souda la population autour de son armée, Tsahal et les kibboutz insufflèrent à la société israélienne un esprit de solidarité qui se manifesta dans sa représentation politique avec les travaillistes qui présidèrent aux destinées du pays de 1948 à 1977. Ce capital de sympathie et d'admiration que suscita Israël en Occident écarta tout questionnement sur sa légitimité, à fortiori sur le bien-fondé ou non des thèses sionistes. Les choses changèrent avec la Guerre des six jours en juin 1967: à la suite de sa victoire, Israël tripla la superficie de son territoire en annexant au sud le désert du Sinaï, à l'est la Cisjordanie au nord, le plateau du Golan et à l'ouest la bande de Gaza. Malgré la résolution 242 de l'ONU qui enjoignit l'État hébreu à se retirer des territoires occupés, l'argument du gouvernement israélien consista à dire: restitution des territoires occupés en échange de la paix. Mais il savait très bien que les pays arabes (Égypte, Jordanie et Syrie) auxquels avaient appartenu les territoires annexés n'accepteraient jamais ce marchandage, d'autant plus que leur défaite fut humiliante. En réalité, les Israéliens avaient en projet depuis 1948 de se rendre maître à la première occasion de toute la rive droite du Jourdain et surtout de Jérusalem. Pourtant, ils restituèrent les territoires pris à l'Égypte suite aux accords de Camp David conclus en 1978, à l'exception de la bande de Gaza. Il faut dire qu'ils ne représentaient guère d'intérêt pour eux, à la différence de la Cisjordanie et du plateau du Golan, véritable forteresse naturelle censée les protéger des attaques syriennes. Cependant, l'État hébreu avait annexé des populations qui, avec le temps, remettaient en cause sa cohésion et même sa sécurité, puisqu'à une menace militaire extérieure s'était ajoutée une menace intérieure: celle du terrorisme palestinien car il leur était devenu impossible de chasser les populations des territoires occupés comme ils l'avaient fait lors du conflit de 1947-1948. Ces territoires occupés ont largement contribué depuis 1967 à changer l'image d'Israël dans le monde qui devint peu à peu celle d'un pays colonialiste et oppresseur, avec les deux Intifadas de 1987 et de 2000 et surtout l'opération "plomb durci" de l'hiver 2008-2009, c'est-à-dire l'attaque par Tsahal de la bande de Gaza qui fit 1300 morts chez les Palestiniens. Plus Israël se discrédite aux yeux de la communauté internationale, plus il fait apparaître sa véritable nature: une nation construite sur la base d'une idéologie nationaliste, raciste et xénophobe puisque, ne l'oublions pas, le deuxième principe du sionisme, c'est le caractère inassimilable du peuple juif, ce qui entraîne l'exclusion de tous les autres. C'est pourquoi les Israéliens, face au déficit d'image de leur pays, en sont réduits à "vendre" Israël et font feu de tout bois en répandant la bonne parole sioniste.
Le sionisme et ses relais à l'étranger
C'est sur internet que s'expriment les critiques les plus vives à l'égard de l'État hébreu, et quand on voit des commentaires ou réactions soutenant avec passion Israël, on peut douter de leur caractère spontané: le ministère israélien des affaires étrangères paie une équipe secrète d'internautes qui naviguent sur internet 24h sur 24 afin de diffuser la hasbara, mot qui veut dire "explication publique" qu'il convient de traduire ici par "propagande gouvernementale". Il désigne aussi par extension le groupe chargé de ce travail. L'essentiel reste cependant assuré par les médias traditionnels et les organisations juives. Nous pensons évidemment aux États-Unis, connus pour abriter la plus importante communauté juive dans le monde après Israël et qui finance l'État hébreu depuis le début. Ce soutien américain s'est renforcé avec l'apparition de sionistes chrétiens appartenant à des mouvements évangéliques protestants; ils justifient la création d'un État juif en prétendant s'appuyer sur les prophéties d'Ezéchiel, d'Isaïe et surtout de Jérémie, sauf qu'elles ne concernent pas la période actuelle mais s'adressent aux Juifs captifs à Babylone: « Mais vous écoutez la parole de l'Éternel, vous tous captifs que j'ai envoyés de Jérusalem à Babylone.» (Jérémie XXIX, 20). Elle concernait le retour des Juifs à Jérusalem pour la construction du deuxième Temple avec Esdras et Néhémie. Le sionisme chrétien, oxymore et incongruité sur le plan théologique, est à sa manière aussi faux et mensonger que la doctrine de Herzl.
En France où les Juifs sont bien intégrés à la société grâce à la Constituante qui les émancipa en 1791 et à Napoléon qui créa en 1808 le Consistoire central et sept consistoires départementaux qui avaient pour but d'administrer le culte israélite, la situation est radicalement différente de celle qu'a connu l'Europe centrale au XIXe siècle. Si la France n'a pas été épargnée par l'antisémitisme comme l'a montré l'affaire Dreyfus, il s'est cantonné pour l'essentiel à des mouvements de droite nationaliste ou d'extrême-droite dont les électeurs n'ont jamais voulu, que ce soit avant la Première Guerre mondiale ou après: alors que l'Italie et l'Allemagne avaient basculé dans le fascisme, les Français portèrent au pouvoir en 1936 le Front populaire avec comme président du conseil, un Juif, Léon Blum. Il n'est pas inutile de rappeler ces faits quand une propagande sioniste persistante voudrait nous faire croire que la France est un pays antisémite à cause du régime de Vichy. On en trouve l'exemple le plus emblématique avec ce livre immonde, L'idéologie française, commis en 1981 par le "philosophe" Bernard-Henri Lévy. Il y développe l'idée selon laquelle le régime de Vichy aurait révélé un "fascisme aux couleurs de la France" marqué par l'antisémitisme. Et voici la critique qu'en fit Raymond Aron: "Si l'on objectait à Bernard-Henri Lévy qu'il viole toutes les règles de l'interprétation honnête et de la méthode historique, il répondrait avec arrogance qu'il se moque des pions de l'Université. Mais peut-être consentira-t-il à réfléchir un instant sur un fait indiscutable: le fascisme n'a jamais «pris» en France, comme une mayonnaise ne prend pas. Les idéologies des années 30, de type communautaire, anti-individualiste, n'ont jamais débouché en dehors des cénacles de l'intelligentsia parisienne. Elles ont accédé au pouvoir à la faveur d'une catastrophe nationale. Là encore elles sont demeurées un mixte de traditionalisme et de parafascisme.
Les «rénovateurs», en quête d'une nouvelle droite, rompent avec l'héritage de la contre-révolution qui paralysa le développement d'un vrai fascisme. Les tentatives d'unir le nationalisme au socialisme ne manquèrent pas, mais il n'y eut pas de national-socialisme, et les Français, avant 1940 comme après 1945, votèrent pour la République et la démocratie parlementaire". [11] Non seulement Lévy se livre à une falsification de l'Histoire mais surtout, il crée un antisémitisme imaginaire: "Nombre de Juifs, en France, se sentent de nouveau guettés par l'antisémitisme et, comme des êtres «choqués», ils amplifient par leurs réactions le danger, plus ou moins illusoire, qu'ils affrontent. Que leur dit ce livre? Que le péril est partout, que l'idéologie française les condamne à un combat de chaque instant contre un ennemi installé dans l'inconscient de millions de leurs concitoyens. Des Français non juifs en concluront que les Juifs sont encore plus différents des autres Français qu'ils ne l'imaginaient, puisqu'un auteur acclamé par les organisations juives se révèle incapable de comprendre tant d'expressions de la pensée française, au point de les mettre au ban de la France. Il nous annonce la vérité pour que la nation française connaisse et surmonte son passé, il jette du sel sur toutes les plaies mal cicatrisées. Par son hystérie, il va nourrir l'hystérie d'une fraction de la communauté juive, déjà portée aux paroles et aux actes du délire". [12] Ces propos de Raymond Aron laissent apparaître en filigrane l'action de certaines organisations juives en France qui semblent partager avec Lévy cette suspicion permanente d'antisémitisme "à la française": L'organisation la plus importante est le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui est devenu le plus important lobby pro-israélien en France en ayant ses entrées dans les plus hautes sphères du pouvoir. Ces organisations ont favorisé l'immigration en France en assimilant toute critique des immigrés à du racisme, en brandissant en permanence l'arme judiciaire pour les récalcitrants à cette police de la pensée: le sionisme est l'ennemi des cultures nationales et l'immigration massive est un bon moyen de dissoudre l'identité française, y compris dans ce qu'il reste de son héritage chrétien. C'est ainsi qu'avec la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), il a contribué à faire voter la loi antiraciste dite loi Gayssot dont l'article 9 empêche toute étude historique sérieuse sur la Shoah qui risque d'être considérée comme une forme ou une autre de négationnisme, disposition liberticide et anticonstitutionnelle. La stratégie des sionistes, c'est d'associer l'antisémitisme aux autres formes de racisme, si bien que la présentation qu'on nous a toujours faite de la Shoah, est devenue un dogme intangible. Et à chaque fois que l'État hébreu est critiqué en Europe, ses représentants et ses relais à l'étranger brandissent la Shoah pour entretenir un sentiment de culpabilité éternel chez les Européens et la réaffirmer sans cesse comme un élément fondateur d'Israël, cette dernière considération nous amenant à nous poser pour ce pays la question de son identité.
Israël, quelle identité?
"Tsahal est en train de se transformer en une armée incontrôlable de fanatiques"
L'idée communément répandue est qu'Israël a été fondé par les rescapés des camps de concentration qui n'avaient nulle part où aller si ce n'est dans cette Palestine que l'ONU mettait à leur disposition. C'est en tout cas ce qu'on laissé croire les dirigeants de l'État hébreu lorsqu'ils créèrent en 1953 le mémorial Yad Vashem. Ils avaient tout intérêt à orienter la mémoire collective sur un passé présentant les Juifs comme victimes et non comme bourreaux comme le montre l'histoire de la Palestine mandataire qu'on a de cette façon occultée. Derrière une appropriation de la Shoah qui se veut identitaire, se cache en réalité cette justification permanente: puisque nous avons été opprimés, nous avons le droit d'être des oppresseurs à l'égard de ces Palestiniens qui n'ont rien à faire sur notre Eretz Israël. C'est pourquoi les sionistes identifient l'histoire d'Israël à celle du peuple juif qui plonge ses racines dans l'Ancien Testament, se réclamant de la bénédiction d'un Dieu auquel par ailleurs ils ne croient pas; c'est ce que Shlomo Sand appelle la "mythistoire". Mais il est vrai que "la rédaction des histoires nationales n'est pas destinée à découvrir les civilisations du passé ; son objectif principal, à ce jour, a consisté en l'élaboration de l'identité nationale et en son institutionnalisation politique dans le présent". [13] Aussi, l'État d'Israël est-il officiellement un État juif qui pratique une démocratie à deux vitesses: seuls ceux qui sont de religion juive ont droit à la nationalité israélienne, sinon tous les autres n'ont droit qu'à la citoyenneté. En outre, la loi du retour permet à tout individu de religion juive d'immigrer en Israël et d'en obtenir la nationalité: "du fait de la conception spécifique de la nation portée par le sionisme, l'État d'Israël, soixante ans après sa fondation, refuse de se voir comme une république existant pour ses citoyens. Comme l'on sait, près de un quart d'entre eux n'y sont pas considérés comme des juifs, et, de ce fait, selon l'esprit de ses lois, l'État n'est pas le leur. Dès l'origine, il s'est abstenu d'intégrer les habitants locaux dans le nouveau cadre culturel en train de se créer, dont ils furent délibérément maintenus à l'écart. De même, Israël s'est toujours refusé à se constituer en une démocratie de type pluriculturel (comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas) ou de type polysocial (à l'exemple de la Suisse ou de la Belgique), à savoir un État qui accepte la diversité tout en demeurant une construction au service des habitants qui y vivent. Au lieu de cela, Israël persiste à se déclarer comme l'État juif appartenant aux juifs du monde entier, alors même que ceux-ci ne sont plus des réfugiés persécutés mais des citoyens de plein droit, vivant en parfaite égalité avec les habitants des pays où ils ont choisi de continuer à résider. Cette dérogation profonde au principe sur lequel se fonde la démocratie moderne, et le maintien d'une ethnocratie sans frontières pratiquant une sévère discrimination à l'encontre d'une partie de ses citoyens, continuent de trouver leur justification dans le mythe de la nation éternelle, reconstituée pour se rassembler, un jour, sur la «terre de ses ancêtres»".[14] Pire encore, des recherches scientifiques, à ce jour infructueuses, sont menées depuis plusieurs années en Israël pour essayer, sans rire, de trouver un ADN du peuple juif; et quand on fait ce genre de démarche, c'est pour prouver la supériorité d'une race sur une autre, nous ramenant à l'époque des théories racistes de la fin du XIXe siècle que la Science a depuis longtemps invalidées. Cela en dit long sur la désorientation d'un pays qui s'est lui-même pris au piège de sa colonisation: déjà en 1948, les sionistes n'avaient pas pu se débarrasser de tous les Palestiniens, si bien qu'aujourd'hui, ils représentent 20% de la population israélienne et sont écartés de la vie culturelle et politique du pays. Pour Israël, c'est l'impasse: ou les citoyens israéliens sont traités sur un même pied d'égalité, et c'est en fini de l'État juif, ou le statu quo est maintenu, mais alors, on risque de voir se soulever les Palestino-Israéliens qui se sentent de plus en plus proches de ceux des territoires occupés qu'Israël ne peut pas annexer car les Juifs ne seraient majoritaires qu'à 57% face à une population dont la haine à l'égard de l'État hébreu n'a fait que s'accumuler. Il s'agit bien d'une crise identitaire à laquelle on essaie d'échapper en se référant plus que jamais au Talmud qui rejette violemment tout ce qui n'est pas juif, d'où l'emprise croissante des religieux sur les institutions israéliennes. La situation est particulièrement préoccupante en ce qui concerne Tsahal, l'armée israélienne, qui est de plus en plus sous la coupe des "Yeshivot Hesder" ces écoles talmudiques qui permettent de concilier études religieuses et service militaire dont les élèves sont issus pour la plupart du mouvement sioniste religieux et rejoignent, pour 80% d'entre eux, les unités combattantes. Ils se sont illustrés en refusant d'évacuer des colons israéliens dans les territoires occupés, considérant ces derniers comme "Terre de Dieu" et préférant obéir à leurs rabbins plutôt qu'à leurs supérieurs. Tsahal est en train de se transformer en une armée incontrôlable de fanatiques: plutôt inquiétant quand on sait qu'Israël possède au minimum 200 têtes nucléaires et des missiles d'une portée suffisante pour toucher les métropoles européennes. Enfin, la paranoïa semble gagner les plus hautes sphères du pouvoir israélien qui s'imagine que les pays musulmans du Moyen-Orient veulent détruire Israël, notamment l'Iran avec lequel il brûle d'en découdre. Et si comme cela ne suffisait pas, les Israéliens sont en train de construire un mur de 720 km de long en Cisjordanie, officiellement pour protéger les colonies des attaques terroristes, en réalité pour s'accaparer les points d'eau et en priver les Palestiniens qui se trouvent de l'autre côté de ce nouveau mur de la honte. Enfin, les Arabes sont en train d'être chassés de la partie orientale de Jérusalem. Israël apparaît désormais comme un État aux abois qui se radicalise dans son sionisme, dont l'image est ruinée aux yeux de la communauté internationale et qui représente une menace pour la paix.
Comme on le voit, l'histoire de la Palestine mandataire et d'Israël s'est écrite en lettres de sang et il est à craindre qu'elle ne soit pas finie. En attendant, le conflit israélo-arabe produit des dommages collatéraux en France si l'on en croit le ministère de l'intérieur qui fait état pour l'année 2009 d'une recrudescence des actes antisémites dont on sait qu'ils émanent d'une population vivant dans les cités, et qui identifie tous les Juifs aux Israéliens. La faute en incombe à toutes ces organisations irresponsables qui prétendent parler au nom de tous les Juifs de France et dont le soutien aveugle et inconditionnel à l'État hébreu s'avère contre-productif en générant un antisémitisme post-Shoah. Comme l'avait annoncé le rabbin Wasserman, le sionisme, qui a engendré cette chimère qu'est Israël, ne peut qu'entraîner le malheur des Juifs dont il est, au bout du compte, le pire ennemi.
1 Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Avant-propos, p.30 – Fayard, 2008
2 Ibid., chap. 2 « Mythistoire ». Au commencement, Dieu créa le Peuple/L'Ancien Testament comme «mythistoire» p.106
3 Etienne Balibar, La forme nation : histoire et idéologie, 1988.
4 Saint Pie X, 25 janvier 1904, Cité du Vatican
5 Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, chap.2 «Mythistoire». Au commencement, Dieu créa le Peuple/L'Ancien Testament comme «mythistoire» p.110 – Fayard, 2008
6 Ibid., chap.4 Lieux de silence. A la recherche du temps (juif) perdu
7 Ibid., chap.4 Lieux de silence. A la recherche du temps (juif) perdu/Des Kagans juifs ? Un drôle d'empire s'élève à l'est, p.301
8 Ibid., chap.4 Lieux de silence. A la recherche du temps (juif) perdu/L'énigme — l'origine des juifs d'Europe de l'Est, p.333
9 Les persécutions nazies firent émigrer de nombreux Juifs en Palestine
10 Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, chap. 5 La distinction – La politique identitaire en Israël/Bâtir un état "ethnique" p. 388 – Fayard, 2008
11 Raymond Aron, Provocation, article paru dans L'Express du 02/07/1981
12 Ibid.
13 Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, chap.4 Lieux de silence. A la recherche du temps (juif) perdu/L'énigme — l'origine des juifs d'Europe de l'Est p. 344 – Fayard, 2008
14 Ibid., Avant-propos, p.36
Peuple Juif inventé, Shlomo Sand
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Quand le sionisme est contraire au judaïsme