Le lièvre de Patagonie par Claude Lanzmann

Publié le 09 janvier 2010 par Ckankonvaou


.."....Je venais de voir un lièvre patagon, animal magique, et la patagonie tout entière me transperçait soudain le coeur de la certitude de notre commune présence. Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas."

L es mémoires de Claude Lanzmann  ne laissent pas indifférents. J'ai lu beaucoup d'éloges sur ce livre. Oui, pas mal. Cependant l' intérêt doit être plus grand pour ceux qui cotoient l'homme.
Nous savons tous qu'il est l'initiateur de ce superbe film-témoignage qu'est Shoah, nous connaissons tous son engagement pour que se perpétue cette mémoire là et le remarquable travail qu'il s'est donné comme tâche à accomplir afin que personne n'oublie la question juive. "Mon film devait relever le défi ultime : remplacer les images inexisantes de la mort dans les chambres à gaz". Ce film fut pour lui une nécessité et lui valu un travail acharné pendant plusieurs années avec une course aux financements qui ne fut pas aisée, il réussi à obtenir ce qu'il désirait en ne cédant sur rien. Il s'agissait de faire surgir une vérité. L'objet et le sujet de ce film sont la mort, pas la survie. Dailleurs il fut longtemps et toujours obsédé par la mort. C'est sur ce thème que s'ouvre ce bouquin, son obsession pour la guillotine, la tête qui se fait trancher, et cette petite partie du corps qui se situe entre la nuque et les épaules, offertes au tranchant de l'engin. "J'étais obsédé, par les derniers moments des condamnés ou, ce qui pour la plupart a été la même chose, par les premiers moments de l'arrivée dans un camp de la mort.
Alors bien sûr il a bourlingué, il a vécu, il a vu, il a connu. Témoin et acteur de son siècle, sa vie fut très riche en rencontres. Tout jeune engagé avec les jeunesses communistes, dans le maquis, auprès de résistants, sa vie apparaît comme exemplaire. Il ne supporte pas la lacheté des autres, et a postériori se pose une question : était-il réellement conscient des risques pris ? S'il avait réalisé qu'il aurait pu payer de sa personne en sacrifiant sa vie pour en sauver d'autres, se serait-il engagé de la même façon ?
Plus tard ses amitiés avec les intellectuels rencontrés pendant ses études, kagne, hypokagne, nous rendraient presque jaloux. Sartre, Cau, Beauvoir dont il fut le sixième homme, le seul avec qui elle vécu maritalement pendant sept années malgré leur vingt années de différences, elle étant l'aînée ! tout ce petit monde, joyeux qui écrit, voyage, publie, brasse des idées, les défend, oui c'est enviable.
L'éloge fait à sa soeur Evelyne Rey, comédienne, nous rend sensible en nous révélant le part obscure du philosophe Gilles Deleuze qui partagea un moment sa vie après Sartre.
Ce livre est un hymne à la vie composé par un homme de 84 ans.
A lire.
Présentation de l'éditeur
" Quand venait l'heure de nous coucher et de nous mettre en pyjama, notre père restait près de nous et nous apprenait à disposer nos vêtements dans l'ordre très exact du rhabillage. Il nous avertissait, nous savions que la cloche de la porte extérieure nous réveillerait en plein sommeil et que nous aurions à fuir, comme si la Gestapo surgissait. "Votre temps sera chronométré", disait-il, nous ne prîmes pas très longtemps la chose pour un jeu. C'était une cloche au timbre puissant et clair, actionnée par une chaîne. Et soudain, cet inoubliable carillon impérieux de l'aube, les allers-retours du battant de la cloche sur ses parois marquant sans équivoque qu'on ne sonnait pas dans l'attente polie d'une ouverture, niais pour annoncer une brutale effraction. Sursaut du réveil, l'un de nous secouait notre petite sieur lourdement endormie, nous nous vêtions dans le noir, à grande vitesse, avec des gestes de plus en plus mécanisés au fil des progrès de l'entraînement, dévalions les deux étages, sans un bruit et dans l'obscurité totale, ouvrions comme par magie la porte de la cour et foncions vers la lisière du jardin, écartions les branchages, les remettions en place après nous être glissés l'un derrière l'autre dans la protectrice anfractuosité, et attendions souffle perdu, hors d'haleine. Nous l'attendions, nous le guettions, il était lent ou rapide, cela dépendait, il faisait semblant de nous chercher et nous trouvait sans jamais faillir. A travers les branchages, nous apercevions ses bottes de SS et nous entendions sa voix angoissée de père juif : "Vous avez bougé, vous avez fait du bruit. - Non, Papa, c'est une branche qui a craqué. - Vous avez parlé, je vous ai entendus, ils vous auraient découverts." Cela continuait jusqu'à ce qu'il nous dise de sortir. Il ne jouait pas. Il jouait les SS et leurs chiens.
D'autres avis contradictoires qui me font bien plaisir à lire :
- Assez intéressant certes, mais quelle suffisance. Ce bouquin transpire tellement l'autosatisfaction et l'arrogance qu'il est difficile d'aller jusqu'au bout. C'est pour le moins surprenant et décevant lorsque l'on sait qu'il a été écrit par le réalisateur de "Shoah" Remarque sur ce commentaire Remarque sur ce commentaire
- Dans ses « Mémoires », Claude Lanzman lève le voile sur une vie trépidante. Depuis sa jeunesse résistante, il fut, avec courage, avec audace, de toutes les batailles intellectuelles et humaines qui ont façonné la deuxième moitié XXème siècle.
Sartre fut son ami, Simone de Beauvoir, fut sa compagne et son amie, les « Temps Modernes », dont il est encore le directeur : une trilogie qui a formé et transformé le jeune -homme impétueux en témoin actif et éclairé de son temps. Berlin de l'après guerre, la Corée, la Chine, la guerre d'Algérie, Israël et la « Guerre des six jours », Mai 68 , puis de nouveau la guerre israélo-arabe de 1973. Pourquoi la mort violente par la peine du même nom ? Pourquoi la guerre ? « Pourquoi Israël » ? Enfin « Shoah », cette œuvre magistrale, conçue, mûrie, tournée avec quelles difficultés !... qui fit comprendre au monde entier, par le « non-montré » la réalité de la destruction des Juifs d'Europe.
Alerte, précis, vif, malicieux, son écriture a l'agilité de ces lièvres de Patagonie et d'ailleurs qui surgissaient aux détours des grands chemins de sa vie. De la littérature de haute volée!