8 janvier 1337/Mort de Giotto

Publié le 08 janvier 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours



Giovanni Duprè (1817-1882),
Statue de Giotto (1844)
sur la façade extérieure
de la galerie des Offices, Florence.
D'après un portrait de Paolo Uccello.
Ph., G.AdC


    Le 8 janvier 1337 meurt à Florence le peintre Giotto di Bondone, plus connu sous le nom de Giotto. Né vers 1266, Giotto est originaire de Vespignano, un petit village de la campagne florentine, « à quatorze milles de la cité ».
Lange Guglielmo (Toulon, 1839 - Paris, 1914),
Giotto enfant,
Paris, Salon de 1885.
Musée de Picardie, Amiens
D.R. Ph. angèlepaoli
EXTRAIT I

    Dans Le Vite... [Vies d’artistes, 1568], Giorgio Vasari consacre quelques pages à Giotto :

    Cimabue s’arrêta tout émerveillé et lui demanda s’il voulait venir avec lui. L’enfant répondit que, si son père en était d’accord, il viendrait volontiers. Cimabue l’ayant alors demandé à Bondone, celui-ci plein d’empressement y consentit, et accepta qu’il l’emmène à Florence avec lui. Arrivé là, en peu de temps, aidé par la nature et formé par Cimabue, non seulement l’enfant égala la manière de son maître, mais il devint un si bon imitateur de la nature qu’il bannit complètement cette maladroite manière des Grecs, et qu’il ressuscita l’art moderne et beau de la peinture, introduisant la façon de bien représenter au naturel des personnes vivantes, ce qui ne s’était pas fait durant plus de deux cents ans - et si quelqu’un s’y était essayé, [...] cela ne lui avait pas réussi, tant s’en faut, aussi bien qu’à Giotto. Celui-ci entre autres représenta, ainsi qu’on le voit aujourd’hui encore, dans la chapelle du palais du podestat de Florence, Dante Alighieri, son contemporain et son ami très cher, et non moins fameux poète que l’était à cette même époque Giotto en tant que peintre, si loué par messire Giovanni Boccace dans la nouvelle de messire Forese de Rabatta et du peintre Giotto. Dans la même chapelle il y a le portrait, de la main de ce dernier, de sire Brunetto Latini, le maître de Dante, et de messire Corso, grand citoyen de ce temps-là.[…]

    Une fois achevés ces travaux, il se rendit à Assise, ville de l’Ombrie, où il était appelé par son frère Giovanni di Muro della Marca, alors général des frères de Saint-François. Dans l’église supérieure il y peignit à fresque sous la galerie qui longe les fenêtres, des deux côtés de l’église, trente-deux épisodes de la vie et des actes de Saint François, c’est-à-dire seize de chaque côté, avec une perfection telle qu’il en acquit une très grande réputation. Et en vérité, on voit dans cette œuvre une grande variété non seulement dans les gestes et les attitudes de chaque figure, mais encore dans la composition de tous les épisodes. En outre cela fait un fort beau spectacle que de voir la variété des costumes de cette époque, et l’imitation et l’observation des choses de la nature. Un épisode entre autres est très beau : un homme assoiffé et dans lequel on voit une vive envie d’eau, boit penché sur le sol à une source avec un désir très fort et vraiment prodigieux, au point que l’on croirait presque une personne vivante qui se désaltérerait. Il y a aussi nombre d’autres choses fort dignes de considération, sur lesquelles, pour ne pas être trop long, je ne m’étendrai pas autrement. Il suffira de dire que cet ouvrage valut à Giotto une très grande réputation, pour la qualité des figures, comme pour l’ordre, la proportion, la vivacité et la facilité qu’il avait reçus de la nature et que, par l’étude, il avait rendus bien plus grands et qu’il savait clairement montrer en toutes choses.

    Et parce que Giotto, outre ce qu’il avait reçu de la nature, fut très studieux, et qu’il allait toujours méditant et tirant de la nature des choses nouvelles, il mérita d’être appelé disciple de la nature, et non d’autres hommes […]

Giorgio Vasari, Vies d’artistes, Éditions Gallimard, Collection folio bilingue, 2002, pp. 81-83-85.

EXTRAIT II

    Daniel Arasse, dans Le Détail, évoque une anecdote de la jeunesse du peintre, élève de Cimabue. Anecdote empruntée à Giorgio Vasari :

    « Giotto, dans sa jeunesse, peignit un jour d'une manière si frappante une mouche sur le nez d'une figure commencée par Cimabue que ce maître, en se remettant au travail, essaya plusieurs fois de la chasser avec la main avant de s'apercevoir de sa méprise. » L'histoire est plaisante: en plaçant cette mouche sur le nez d'une figure, Vasari fait de la prouesse du peintre l'une de ces plaisanteries dont Giotto était coutumier, et le ton bon enfant du récit suggère une tendresse pour ce « petit jeu » auquel ne se laisserait plus prendre un artiste du Cinquecento, ni pour le provoquer ni pour tomber dans son piège.
     Pourtant, non content de rapporter l'histoire car elle a « quelque rapport avec l'art », Vasari lui donne une place tactique singulière dans l'économie d'ensemble de la Vie du peintre. Rien ne l'empêchait en effet de la situer au début de cette Vie, quand Giotto fait son apprentissage chez Cimabue. Mais c'eût été, alors, seulement une anecdote montrant que l'élève avait dépassé le maître... Si Vasari ne l'a pas fait, c'est qu'en attribuant ce jeu à Giotto, peintre qui constitue pour lui un palier décisif dans l'histoire de la peinture et son renouveau moderne, il lui donne une résonance particulière. Concluant le récit héroïque de la révolution giottesque, le détail condense le progrès de la peinture: cette mouche peinte est l'emblème de la maîtrise nouvelle des moyens de la représentation mimétique, comme si la conquête de la vérité en peinture était passée par celle de son détail ressemblant.
    Ce n'est pas une raison.
    On peut être certain que Giotto n'a jamais peint une telle mouche; la pratique n'était pas de son temps, et Vasari, évidemment, le savait. Mais, au moment où il écrit les Vies, au milieu du XVIe siècle, la mouche était un motif pictural qui avait connu un bon succès entre la moitié du Quattrocento et le début du XVIe siècle. On la retrouve en de nombreux exemplaires : qu'elle soit intégrée à la composition, peinte sur le rebord de l'image ou comme posée à même la surface du tableau, ou encore que ces dispositifs se combinent, la liste des mouches peintes est loin d'être close. Le motif n'est pas florentin d'origine ; il semble qu'il provienne plutôt du Nord, Flandres, Allemagne ou Italie du Nord. En attribuant la paternité de ce motif à Giotto, Vasari travaille, comme ailleurs, pour la plus grande gloire de Florence.

Daniel Arasse, Le Détail, Flammarion, 2008, page 120.


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