Vous êtes tous des numéros. Je vous vois passer, suite de chiffres, colonnes d'adresses IP. Je regarde mes stats et c'est vous qui défilez en transparence sur mon écran.
82.5.568.86.498 est en train de lire mon dernier article. Il n'était jamais venu sur mon blog avant.
13.4.453.53.6 est un régulier. Tous les jours à 12h40 il se connecte chez moi. C'est sûrement pendant sa pause déjeuner. Il habite à Charleville-Mézières. Il est petit, maigrichon, la trentaine, il
travaille dans l'informatique. Il vit encore chez sa mère, qui lui prépare un bouillon d'endives le soir. Il regardent tous les deux Navarro à la télé. Sa vie est assez terne, alors 13.4.453.53.6
s'endort en rêvant d'un ailleurs plus beau et sourit en pensant que le lendemain à 12h40 exactement, quand son boss sera sorti déjeuner, il pourra lire mes articles en mangeant son sandwich au
thon.
Enfin, tout ça, je le devine. Lire dans les adresses IP, c'est un peu comme lire dans le mare du café. Ce n'est pas une science exacte, il s'agit surtout de feeling et d'intuition. Heureusement
j'ai mon pendule pour m'aider quand les informations ne sont pas très claires.
Tenez, par exemple, à propos de 216.9.007.546, je me demandais si c'était un homme ou une femme. Quand j'ai posé la question à mon pendule, il a oscillé bizarrement. Un mouvement ni vraiment
circulaire, ni vraiment linéaire. J'en ai conclu que 216.9.007.546 n'était ni un homme, ni une femme mais peut-être un peu des deux. Soit un castor, soit un hermaphrodite. Avec un peu de bon sens
et de la déduction logique, presque mathématique, la réalité se révèle clairement.
Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi j'ai tant de lecteurs et si peu de commentaires. C'est fou. La seule explication rationnelle c'est que je suis lue par une majorité de gens qui n'ont pas
de doigts. Et donc qui ne peuvent pas taper sur un clavier pour me répondre. Encore une fois, élémentaire mon cher Watson. En fait mes lecteurs sont des hermaphrodites manchots. D'ailleurs mon
pendule me l'a confirmé.
Je terminerai par une triste nouvelle.
12.164.25.78, mon petit chouchou, revenait tout le temps chez moi. On avait établi une sorte de connexion mentale. Il savait à la seconde près quand j'allais poster un article. Pour vous dire la
vérité, je crois que j'étais un peu tombée amoureuse de lui. Et puis, il s'est passé quelque chose d'horrible. J'ai découvert la vérité sur son identité. En cherchant dans les méandres de son
adresse IP, en consultant mon pendule, en questionnant les tarots, je me suis rendue compte que 12.164.25.78, c'était moi...
Ben oui, logique. Moi aussi je ne suis qu'un numéro.