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Les paradoxes de la question de l'identité nationale (4)

Publié le 08 janvier 2010 par Hermas
4.- La laïcité, une identité sans identifiés M. Borloo, comme nombre d'autres intervenants, prétend que l’identité nationale serait constituée par la laïcité. Laïcité “à la française” s'empresse-t-on d'ajouter, comme est présenté un plat de boeuf aux épinards “à la Sévigné”, pour convaincre du privilège offert à en goûter la saveur réputée originale. Cette laïcité est fondée sur l’amoralisme politique, sans bien ni mal, sans religion déclarée, ouverte à tout, et à tous, dans le respect supposé de tous, au tempo de l’évolution des mœurs, dans les limites cependant des règles constitutionnelles qu’elle édicte. En tant que telle, cette position laïque constitue bien une certaine identité. Elle définit, en quelque manière, et elle exclut. Est-elle l'identité nationale ? Pour M. Borloo, cela ne fait aucun doute : «Ce qui nous distingue - écrit-il, et qui n'est ni linguistique ni culturel, comme on l'a vu - (c'est) cette notion si particulière de laïcité». M.Borloo paraît ignorer ce que la laïcité doit au christianisme et au bouleversement culturel qu'il a introduit dans la civilisation des hommes, en distinguant le spirituel du temporel et en apprenant aux princes à limiter à ce dernier leurs appétits et leur pouvoir. La France et son identité ne paraissent nées pour lui que des seules Lumières. Elles n'ont rien à voir, semble-t-il, avec le christianisme. Comme pour tant de gens “éclairés”, il n'y a pas d'en-deçà historique à la Révolution et à ses prémices. Seulement une préhistoire. Mais comment la laïcité, qui est essentiellement un principe de réserve, de neutralité ou d'abstention, institutionnalisé au terme de rudes conflits avec le catholicisme, peut-il constituer un principe d'identité ou d'identification pour chacun de ces individus français que M. Borloo a en vue ? A lire attentivement son texte, la réponse apparaît, qui ne laisse pas d'être étrange. Mais M. Borloo nous avait prévenus que nous entrions avec lui dans le paradoxe. La laïcité est une identité, au fond, en ce qu'elle s'identifie à ce qu'elle exclut, consommant ainsi la dialectique des contradictoires : elle est ...une religion. M. Borloo la décrit comme « un supplément d’âme », expression du XIXème siècle que l'on doit aux analyses sentimentalistes du phénomène religieux. A la religion, M. Borloo emprunte son vocabulaire. Il parle par deux fois «d'examen de conscience». De conscience «citoyenne», bien sûr. Il parle encore de foi, ne craignant pas de dire que l'on est français «parce qu'on croit à la devise de la République». Cette foi, éclairée par «le prisme des Lumières et de la vérité», a donc son credo, et ce credo son objet trinitaire : «liberté, égalité, fraternité». La religion laïque a aussi son horizon messianique. Cette trinité, nous explique le co-auteur, «résume toute la quête de l'Humanité». La laïcité n'est pas Alpha, mais elle est assurément Oméga. Elle est, pour cette humanité abstraite et majusculée, le terme de l'histoire, «la base de toute vérité collective, la condition de toute dignité et l'origine de toute communauté». Cette Loi nouvelle ne nous a pas été révélée, mais peu s'en faut : elle «nous a été donnée», et elle procède des Lumières. In Luminibus videbimus lumen... La République est dès lors conçue à l'instar d'une Eglise. Une Eglise qui a reçu le dépôt sacré de «ces trois mots inflexibles et exigeants dont l'héritage est un devoir» et qui par lui devient une «communauté de destin» suscitant une «conscience claire, forte, profonde» d'appartenance. Cette Eglise est universelle. Elle est donc en un sens "catholique" : «Etre français, c'est être universel ou, tout au moins, vouloir l'être» - par ce qui s'apparente à un baptême de désir proposé à tous les hommes de la terre. La République a évidemment sa communion des saints et, par les trois mots sacrés, elle fait toujours de «l'autre un citoyen potentiel, un ami ou un frère», bref : un prochain. Corps mystique, elle «se construit jour après jour, dans les victoires comme dans les épreuves, dans la prospérité comme dans la difficulté, dans la concorde comme dans les malentendus». M. Borloo prend, on le voit, des accents pauliniens et ne manque pas d'indiquer que cette République détermine un mode de vie, avec sa grâce propre et sa metanoïa : «Etre français - en son sein - permet (...) de changer sa propre vie». Cette vie nouvelle est ainsi définie : «Etre français, c'est vivre ensemble (sic) ; c'est vivre par les autres et pour les autres (...), chercher ce qui caractérise l'humain (...) ce qui unit, ce qui rassemble et non ce qui sépare. C'est apprendre à voir l'autre par le prisme des Lumières et de la vérité. C'est aussi (sic) savoir répondre aux appels lancés par sa conscience». Là est la source de son élan missionnaire : comment laisser le monde dans les ténèbres de n'être pas français ? Etre français, ainsi, c’est communier à cette idéologie laïque. C'est du moins ce que M. Borloo ne craint pas d'affirmer. C'est ce à quoi, pourtant, il est possible et sain de répugner. Et ce à quoi nous répugnons de fait, comme chrétiens, et à quoi répugnent sans doute bien des français qui ne le sont pas. Cela suffit à établir que cette religion des Loges et des Nuées, construite sur la parodie du christianisme civilisateur volontairement ignoré, abstraite de tout enracinement réel, ne suffit pas à constituer une identité commune. Elle est même ce que d'aucuns, à ce qu'il semble, s'accordent encore à juger comme étant le contraire d'une identité française. L'identité pensée par M. Borloo paraît être à la France ce que la conscience de classe forgée par le parti communiste soviétique était aux peuples qu'il asservissait, si ne n'est pas encore trop lui prêter. C’est, en réalité, une identité sans identifiés. La question présidentielle de l'identité nationale, on le sait, est officiellement commandée par l’actualité [problème de la burqa, "communautarisme", etc.]. Or l’actualité est plombée par un défi original, unique en notre histoire, qui est l’intrusion massive dans la vie française d’une religion pour laquelle la laïcité même constitue une irréductible contrevaleur : l’islam. Les laïcistes de la Cité croient posséder la réponse, tirée de l’expérience de leur confrontation avec l’Eglise catholique. Ils se trompent, à de multiples égards, et lourdement, ne serait-ce que parce que l’islam aborde la question politique en des termes dont ils n’ont pas l’expérience. Il suffisait d'entendre à la télévision les propos de M. Raoult ou de Mme Pécresse, pour ne citer qu'eux, comparant avec une indifférence bonhomme les minarets aux clochers des églises, pour mesurer [autant qu'il est possible...] l'ignorance inouïe qui est la leur en cette matière. L'islam n'est pas une religion au même sens que le catholicisme. Les laïcistes légifèrent ici, réglementent là, en tablant sur le comportement des musulmans “raisonnables”. Mais il n’est nullement besoin d’attribuer aux musulmans quelque malignité, quelque extrémisme ou quelque insatiable appétit de conquête que ce soit pour s'inquiéter des risques que fait peser l'expansion de l'islam sur les libertés publiques et l'identité de ce pays. C’est la logique et la cohérence de cette religion qui sont ainsi, laquelle n’opère aucune distinction entre le temporel et le spirituel. On pourra tourner autour du pot autant que l’on voudra, et aussi vite que l’on pourra, et dans les deux sens, en tutu rose ou en costume de cosmonaute, rien n’y changera : pour les musulmans, une identité nationale “laïque” au sens donné par M. Borloo n’a pas de sens. Il en sera ainsi tant que l'islam n'aura pas opéré une remise en cause fondamentale de soi-même, perspective à peu près aussi probable que celle de le voir renoncer au coran. La progression démographique voire démocratique du monde musulman dans les communes, les régions, les grandes villes, en établira tôt ou tard l’évidence si ne lui est opposé que le ventre mou d’une laïcité historiquement dépassée, qui se paye de mots en ne trouvant de consistance qu’à singer le christianisme qu’elle a étouffé et dont elle persiste à nier l'héritage [à suivre]. Pierre Gabarra PS : la série de ces articles est intégralement reprise sur les Archives d'Hermas dans la rubrique : Etudes et analyses

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