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Les paradoxes de la question de l'identité nationale (2)

Publié le 07 janvier 2010 par Hermas
2.- L’identité et l’idéologie du changement perpétuel Il semblerait, à observer nos contemporains, la frénésie de nos vies, et surtout l’idéologie du mouvement et du progrès perpétuel qui s’est imposée collectivement, poussant chacun de nous de son aiguillon, que la question de notre identité soit devenue, entre toutes, la plus inutile qui soit. Qu’est-ce, en effet, que l’identité, sinon un principe premier d’identification de l’être et, avec lui, de ce qui demeure sous ses modifications successives, comme telle personne demeure identique au travers des différents âges de la vie ? Et que peut signifier sa question quand on en est venu à inventer, au rebours de la réflexion à laquelle elle invite, l’adjectif “identitaire”, précisément pour fustiger socialement l’idée ou le comportement qui se réclament d’une identité ? Selon la maxime du « criard et méprisant Héraclite », si moderne en sa dialectique du perpétuel changement, tout coule, tout passe et rien ne demeure [Platon, Cratyle, 402a]. Le marxisme, plus prégnant en nos sociétés qu’on ne veut bien le croire, a emporté toute idée d’une nature humaine qui ne serait en perpétuelle réinvention. C'est-à-dire toute idée de nature tout court. M. Borloo, dans l'article précité, n'est pas en reste : « La Nation est (...) en perpétuelle interrogation et donc en perpétuelle reconstruction ». Et comme s'il n'y avait aucun terme raisonnable entre cette reconstruction et la mort, il ajoute : « La figer, c'est la condamner. Surtout lorsque l'on est Français » (sic). A quoi bon dès lors se demander ce que l’on est puisque cette problématique même paraît appelée à se diluer dans le devenir ? Sommes-nous d’ailleurs autre chose que ce que nous produisons au jour le jour, à terme et à court terme, autre chose que ce que nous valons, à un instant –n, sur ce qu’on appelle si élégamment, dans cette société d’ilotes, le “marché du travail”, en attendant la dévaluation de l’inexorable instant n+1, prélude elle-même de la non moins inexorable dissolution de notre être économique dans le troisième âge, celui du temps dépassé, improductif et encombrant ? Sommes-nous autre chose, selon l’image du philosophe d’Ephèse, que ces gouttes d’eau qui se succèdent dans un fleuve qui n’est jamais identique, tout à la fois elles-mêmes et déjà le contraire d’elles-mêmes ? Y a-t-il en nous autre chose que la perpétuelle liberté que nous revendiquons à nous émanciper de tout invariant, de toute nécessité notamment morale qui viendrait limiter, par son existence même, la maîtrise sans partage que nous entendons exercer sur notre être et notre devenir ? Le terme d’identité, qui dit de soi stabilité, permanence dans l’être, est-il seulement encore intelligible à l’homme contemporain ? A-t-il toujours un sens pour qui est désormais accoutumé à changer au gré de ses caprices tout ce qui a rapport à soi, de son travail à ses convictions, de la religion de ses pères aux croyances à la mode, de son conjoint d’un jour aux enfants qu’il emprunte à ses concubinages successifs, de la civilisation qui a forgé longuement son pays aux déconstructions profanes ou religieuses qui en constituent la négation ou l’apostasie ? Le principe d’identité heurte frontalement le mythe de la dilution de toutes choses dans le mouvement perpétuel. C’est pourquoi, tant d’esprits “éclairés” répugnent aujourd’hui à son énoncé. C'est pourquoi ils répugnent en particulier à la question de l'identité nationale, en laquelle ils voient une menace insupportable pour l’idéologie à laquelle ils ont choisi de longtemps de s’abandonner. L'affirmation selon laquelle elle serait inacceptable parce qu'elle mettrait en cause l'immigration, ainsi que le soutiennent un certain nombre de politiciens ou de journalistes, n'est qu'un prétexte utile sur le grand marché de la démagogie. Au fond, pour eux, c'est le principe même d'une identité qui n'est pas acceptable, comme il est devenu inacceptable à nombre de nos contemporains, devenus citoyens du monde et de la mobilité. Il leur est insupportable parce qu'à leurs yeux rien ne doit demeurer inchangé, pas même ce que nous sommes, qui doit être en perpétuelle réinvention, afin de ne laisser aucune prise à ce qui, consacré par le temps, ou par un temps, pourrait paraître une norme, un point d'ancrage, une tradition créant d'abord des devoirs. Tout, au contraire, doit pouvoir être “modélisé”, de sorte que le modèle d'un jour, historiquement conditionné, puisse laisser place à tout autre, au gré des inventivités et des conquêtes prétendues de la liberté : le modèle de la société, celui de la famille, celui du couple, celui du genre humain lui-même, qui doit ne pouvoir connaître aucune différence sexuée. L'idéologie du mouvement perpétuel réinvente la création. A l'envers. Le monde moderne, tout riche, tout embourgeoisé, tout conformiste qu'il est à tant d'égards, est un monde de révolution, et de révolution permanente fomentée par toutes ses institutions. Le marxisme a gagné cela, que nous nous sommes donnés à lui sur ce point sans nous en être rendu compte, et que nous avons pris en haine ce qui pourrait nous en sauver. Le débat sur l'identité nationale offre accessoirement l'occasion de le rappeler [à suivre]. Pierre Gabarra

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