Magazine Humeur
Les paradoxes de la question de l'identité nationale (1)
Publié le 07 janvier 2010 par Hermas
1.- De l’intérêt du débat à celui de la question Le débat sur l'identité nationale, qui provoque tant de fureurs ici, et tant de désintérêt là, peut être considéré comme un grand débat à plusieurs égards. En particulier, parce qu'il est voulu par le premier magistrat de France. Ce n’est pas rien, de soi, quelque réduite que soit devenue cette France, et quelque idée que l’on se forme de la grandeur de ce “premier”. Le chef d'un Etat interroge les membres de la société qu'il a fonction de diriger sur le sens, au fond, de leur vie collective. C'est une démarche rarissime, y compris en démocratie, qui va beaucoup plus loin que celle des élections, où les mêmes membres déterminent à moyen terme les conditions de leur gouvernement. Peut-être doit-on y discerner une marque de désarroi, comme celle d'un capitaine de navire, pour reprendre une image chère aux Anciens, qui en appellerait aux lumières de ses marins parce qu'il ne sait plus lui-même ni où il est, ni où il va. Peut-être est-ce au contraire un acte de responsabilisation, comme celle - pour reprendre la même image - d'un capitaine qui mettrait en demeure ses marins, dissociés par l'anarchie et l'esprit propre, de décider s'ils sont prêts ou non à constituer un équipage, un tout ordonné, pour faire avancer de concert le navire vers sa destination. Quelles que soient les interprétations possibles, l'interrogation est importante puisque nous sommes, que nous le voulions ou non, membres de cet équipage qui, dans tous les cas de figure, paraît être en errance - et qui l'est de fait à bien des égards, nous le savons bien. Corrélativement, c'est un grand débat parce qu'il est censé engager l’avenir et, comme beaucoup, journalistes ou politiciens, se plaisent à le dire, « le destin » de notre pays. Après tout, il n’est pas impossible que ce soit le cas. Curieux mot que ce mot de destin. Historiquement, il traduit la force aveugle et implacable qui conduit les hommes à leur fin tragique, sans qu'ils y puissent échapper par leur liberté, illusoire. Le destin, en notre société, paraît être celui qui la conduit, de recul moral en recul moral, à une décadence toujours plus accusée. Pourtant, le mot “destin” vient ici - et c'est le premier paradoxe que nous rencontrons - réveiller le sens de la liberté, le sens de la responsabilité, du choix, de la maîtrise de notre être politique, la capacité de l'identifier pour en tirer la possibilité d'orienter ses engagements. Je ne sais pas si l'on a beaucoup parlé de destin en France depuis le général de Gaulle. Le mot paraît si désuet, si droitier. Il a, en politique, des accents de fierté qui, au rebours de sa signification réelle, laissent entendre que les Français ont un rôle important à jouer dans le monde, rôle qu'il tirent, précisément de ce qu'ils sont. La question aussi est d'importance pour bien des gens qui, tout en étant français de souche et de longue histoire, se sentent de plus en plus étrangers en leur demeure. Car ceux-là aussi existent, lors même que la question ne leur serait pas posée. Qu'est-ce que l'identité nationale si celle en laquelle ils ont été éduqués n'est pas celle qui paraît désormais à leurs yeux ? Et d'où vient, si identité il y a, et si l'on peut parler de personnalité en la matière, qu'il ait pu s'opérer, en l'espace de quelques décennies, ce qui semble bien être un changement de personnalité ? Est-ce là une rupture en quelque sorte de l'être national, ou est-ce une modalité d'évolution simplement accélérée de ce qui s'est toujours opéré dans toute l'histoire de notre pays ? Pourquoi, à se sentir français comme on a pu l'être il y a cent ans n'est-il plus possible de se sentir français d'aujourd'hui ? N'y a-t-il pas une irréductible contradiction à parler d'identité si ce qui conditionnait l'appartenance d'hier rend désormais étranger ? Cependant, le plus intéressant, à l'énoncé d'une question, n’est pas forcément la réponse appelée. Certaines questions, d’ailleurs, n’en ont pas. D’autres peuvent être vaines parce que ceux auxquels elles sont posées sont incapables de les comprendre ou d’y apporter réponse. A l’inverse, il est aussi des réponses qui nous échappent, et d'autres encore qui, quoique pertinentes, ne seront jamais entendues. C'est pourquoi, bien souvent, le plus intéressant d'une question est la raison pour laquelle elle est posée. A-t-on beaucoup interrogé celle qui nous occupe ? Autrement, s’entend, que pour y dénicher un simple calcul politicien, certes possible, mais qui n'ôte rien au contenu même de la question ? Pourquoi la pose-t-on ? Pourquoi, d’un coup, doit-elle s’imposer comme une question à la fois urgente et nationale, alors qu'elle ne s'est pas imposée ces vingt ou trente années passées quand tant de voix, pourtant, s'élevaient pour s'alarmer de la déliquescence de notre identité dans le mondialisme, le recul de notre langue, l'inculture croissant jusqu'à tourner en culture de l'inculture, la crise aiguë de l'enseignement ou l'immigration massive ? La curiosité est légitime. Cette curiosité est renforcée par les paradoxes du débat sollicité. M. Borloo, proche du Président de la République, qui a cosigné dans les colonnes du Monde [8 décembre 2009] un article sur le sujet, intitulé La Nation est la République, en voit un dans l'objet même de la question. Dans cet article - qui, dit en passant, n'est pas sans rappeler les pages illuminées de Victor Hugo lorsqu'il tournait au prédicant de la Cause républicaine - M. Borloo écrit : «Par un curieux paradoxe, ce qui est censé nous définir avec le plus de certitude ou de vérité vis-à-vis du reste du monde, relève lui-même du domaine de l'indéfinissable». Cet obstacle ne le décourage cependant pas de prétendre en donner une définition certaine. Un paradoxe dans le paradoxe, en quelque sorte, mais qui ne doit pas nous surprendre. Nous sommes bien au coeur d'une problématique qui met en cause, de façon inquiétante, le principe d'identité. Tel n’est pas le moindre, en définitive, de ses intérêts, ainsi que nous allons essayer de le montrer [à suivre]. Pierre Gabarra