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Les paradoxes de la question de l'identité nationale (3)

Publié le 07 janvier 2010 par Hermas
3.- l’identité nationale et l’idéal de l’égoïsme collectif L’identité nationale, par hypothèse, est une identité collective. Les difficultés précédemment évoquées ne s’en trouvent pas seulement déclinées. Elles en sont démultipliées. Si la problématique de l’identité du “je” est déjà délicate, que dire de celle du “nous” ? La société civile paraît avoir choisi de renoncer à tout rapport social au bien, ce bien humain si propre, pourtant, à favoriser par son attrait universel une identité commune et que la philosophie classique qualifie de “commun”. Trop de choses en lui paraissent désormais échapper à sa perception. Sa dimension morale, sa réalité analogique, son insertion dans un ordre, sa nature causale, son immanence et sa fonction même, si l’on peut dire, qui est d’être comme un moyen entre le bien propre et personnel des individus et le bien commun transcendant de l’ordre créé, qui est Dieu. A ce bien commun unitif, dont les familles unies offrent encore une rare analogie, les Lumières ont préféré la notion “d’intérêt commun”, fondée sur une conception contractuelle des rapports individuels. Cet intérêt collectif n’est pas un intérêt substantiellement distinct de celui des individus. Il n’en est que la somme, calculée d’ailleurs selon l’arithmétique démocratique. Ce qui est majoritaire, qu'il soit imposé par les urnes ou par l'idéologie diffuse, y compte double ; ce qui est minoritaire ne compte souvent pour rien. Cause et effet, l’égoïsme viscéral de cette société individualiste à depuis lors fait muer, selon sa pente, cet “intérêt commun”. De somme des intérêts particuliers, il est devenu une conjonction d’intérêts particuliers, maintenus ensemble tant bien que mal par l’Etat à grand renfort de propagande, de lois et de règlements. M. Borloo, dans son article, définit d'ailleurs l'identité nationale par l'individu dont il énonce, soudain maurrassien, qu'il n'est pas une «page blanche» et qu'il «ne naît pas orphelin». Mais pour lui une nation [qui prend nécessairement un N majuscule], c'est bien «une somme de destins croisés». Un jeu fortuit de monades entre lesquelles n'existe aucune orchestration - si ce n'est peut-on supposer, celle de l'Etat. Et c'est dans l'individu qu'il va dès lors chercher ce que dès le départ il a pourtant déclaré ne pas pouvoir trouver, en recourant à des mots tels que “sentiment (...) pluriel” (sic), “croyance”, “conscience”.Ces termes tirés de la subjectivité sont très souvent utilisés dans les discours actuels, qui paraissent rendre impossible l'expression d'une identité commune qui ne soit pas seulement celle de Pierre, de Jean ou d'un groupe déterminé. Cette situation d’égoïsme collectif est généralement vécue, sinon comme un idéal, du moins comme une situation préférable à toute autre. L’égoïsme collectif a certes des travers pénibles, surtout lorsqu’il nous dérange. Cependant, pour rien au monde nous ne renoncerions pour l’ordinaire à celui qui nous est propre, parce qu’il constitue l'habitacle inviolable de nos droits. N’est-il d’ailleurs pas compensé par des festivités collectives, des “grand-messes”, des téléthons, des discours solidaires, des “matchs de foot”, des publicités valorisantes, à la télévision et ailleurs, ou par les émotions mobilisatrices de la religiosité nouvelle de l’écologie ? Tout cela suffit opportunément à nous convaincre que nous sommes un tout parce que nous crions ou pleurons de concert. Dans un tel contexte, à quoi peut donc se rapporter l’interrogation d’une identité commune ? Appliqué à une chose, le principe d’identité conduit à affirmer qu’elle est ceci, et qu’elle n’est pas cela. Cette affirmation révèle les liens étroits et nécessaires qui unissent la question de l'identité à celle du jugement, dont la fonction est de composer et de diviser, d'unir et de séparer, et donc avec la culture intellectuelle et morale qui conditionne socialement ce jugement. Il est beaucoup plus difficile d'appliquer le principe d'identité à plusieurs choses qu'à une seule. Il faut pouvoir dire qu’elles sont ensemble ceci, malgré leurs irréductibles différences individuelles [sans lesquelles elles cesseraient d'être plusieurs], et qu’elles ne sont pas cela. Application faite à des êtres humains, il faut que ces derniers puissent eux-mêmes se reconnaître dans la communion à une identité et pas seulement dans son partage, car la communion unifie dans son objet, tandis que le partage, n'en déplaise aux discours ambiants, sépare. Il faut en outre, cumulativement, que ces êtres humains s'accordent sur ce que leur identité exclut comme étant étranger non seulement aux uns ou aux autres, pris individuellement, mais comme étant étranger à ce qui cimente leur unité et qui, n'étant le propre de personne, est un bien de tous. La définition de l’identité rend ainsi nécessaire l’affirmation de ce qui n’en fait pas partie, au premier chef au regard de la culture et de la civilisation communes. C'est pourquoi M. Borloo, comme d'autres, se trompe lorsqu'il affirme que ni la langue ni la culture n'entrent dans la définition de « ce qui nous distingue » des autres pays du monde. Peut-on encore trouver en notre société la capacité même de définir une identité nationale ? C'est une grave question. Cette société, qui répugne à l'attraction d'un bien commun, peut-elle exprimer cette identité alors qu’elle vit généralement dans la haine de soi, dans le rejet fréquent de son histoire réelle et qu’elle prétend affirmer en même temps son originalité et, si l’on peut dire, sa personnalité collective, par le rejet de toute exclusion ? Ni elle prétend être quelque chose, ni elle prétend se distinguer d’autre chose : c’est la négation même de l’identité, ou la revendication “identitaire” du néant [A suivre]. Pierre Gabarra

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