2010 : ça passe ou ça casse !
Par Nancy Roc, journaliste
« Je crois que ce bureau vous rappelle ce qui est en jeu, combien d’espoirs et de rêves sont placés dans ce qui se passe ici à la Maison Blanche », a récemment confié le président américain Barack Obama dans une interview à Oprah Winfrey. M. Obama faisait référence au fameux bureau ovale de la Maison Blanche.
En lisant cette interview, je me suis demandée ce que M. Préval pense de ses responsabilités du haut du Palais national, ce qu’il a vraiment dans la tête et s’il réalise tout le temps perdu et les espoirs déçus qui ont jalonné la décennie 2000-2010 sous le régime lavalassien dont il est l’héritier direct. En lisant le discours qu’il a prononcé le 1er janvier, j’ai dû reconnaître, une fois de plus, que, contrairement à Barack Obama, les préoccupations de M. Préval ne rencontrent pas celles du peuple haïtien. Selon le journal Le Nouvelliste, « le président René Préval, satisfait, a jonglé avec les chiffres, avec un accent de bilan : « l’effort consenti de 2006 à aujourd’hui, malgré les intempéries de 2008, a permis à Haïti d’augmenter de 25 % sa production agricole. Une augmentation due à la réhabilitation de 81 000 hectares de terre, qui a coûté 55 000 000 de dollars us à l’État haïtien. 267 tracteurs, 40 motoculteurs, 500 pompes d’irrigation ont été achetés. 13 000 000 d’outils aratoires, de pelles, de pioches d’une valeur de 9 000 000 de dollars us ont également été acquis. 3 000 000 de tonnes de semences ayant coûté 3 000 000 de dollars us ont aussi été distribuées. » (1) D’où proviennent ces chiffres passés sous silence durant 4 ans par le gouvernement et en particulier par le ministre de l’Agriculture, M. Joanas Gué ? Pourquoi le président a-t-il choisi de révéler ces données alors qu’il est connu pour ses discours évasifs et creux ? Comment croire en ces chiffres aujourd’hui ? Ce scepticisme se renforce lorsqu’il annonce «l’augmentation de la capacité de l’EDH, qui est passée au cours des trois dernières années de 83 à 182 mégawatts aujourd’hui, soit une augmentation de 120 % avec une perspective d’atteindre 206 mégawatts en 2011 ». De quoi parle-t-il ? Du pays ou de la zone métropolitaine ? Aucune précision mais le black-out est toujours de mise dans la majeure partie du pays malgré une amélioration ressentie à Port-au-Prince et dans ses banlieues. Autre exemple : le président a affirmé qu’alors qu’en 2009, 26 000 personnes ont été employées dans les usines de fabrication de vêtements destinés à la réexportation, 50 000 personnes le seront en 2010 et 100 000 en 2011. Des chiffres totalement contradictoires aux propos tenus par le Premier ministre Jean Max Bellerive lors de sa récente visite à Montréal. Ce dernier avait en effet déclaré que seuls 40.000 emplois par an pouvaient être créés en Haïti et, ceci, avec des investissements tant des Haïtiens que des étrangers.
Quant aux prochaines élections législatives, M. Préval a souhaité qu’elles « se passent bien, dans la paix, la transparence, sans magouilles et dans l’impartialité, cela renforcera la confiance des Haïtiens et des étrangers dans la capacité du pays à consolider sa stabilité », a-t-il dit. Qui croit-il tromper en parlant de transparence et d’impartialité alors que le processus électoral est dénoncé tant par les partis politiques que par la population pour la mainmise de l’Exécutif sur le Conseil électoral provisoire ? Préval prêche la stabilité par l’unité, à travers le dialogue. Dialogue avec qui? Dialogue de sourds ? On soulignera aussi l’absence des thèmes de justice, d’État de droit et de lutte contre la corruption dans le discours du président.
Une année décisive
« Haïti n’a pas de problèmes fondamentaux autres que les Haïtiens eux-mêmes », avait déclaré le Premier ministre à Montréal, le 16 décembre dernier, en soulignant la nécessité de changer l’image d’Haïti en rétablissant la confiance. Mais comment le faire si, au plus haut niveau de l’État, la mauvaise foi est de mise ? Comment M. Bellerive arrivera-t-il à mener à bien sa mission alors que même des anciens partenaires politiques du président accusent ce dernier d’avoir des projets totalitaires et de vouloir créer une constitution sur mesure ?
2010 est l’année où les Haïtiens devront définitivement faire le choix entre le populisme ou le renforcement de la démocratie. Pour ce faire, Marvel Dandin, directeur de l’information à Radio Kiskeya, a rappelé que « si les dirigeants doivent être les premiers à subir les blâmes en raison de leur échec à réaliser les transformations matérielles et morales souhaitées, il n’en demeure pas moins que les Haïtiens de toutes les catégories sociales, d’ici et d’ailleurs, et particulièrement les secteurs organisés de la société civile, ont eux aussi failli dans la dynamique de création d’une véritable alternative à nos modes d’agir et de penser.» (2) Dandin souligne judicieusement que « 2010 ne sera pas différent pour Haïti si tout un chacun ne s’attaque à ces tares en lui et chez les autres. Rompre avec les tares décrites implique aussi qu’on sorte résolument des méandres du discours et qu’on investisse le champ radieux de l’action. »
Pour créer un nouveau leadership en Haïti, il faudrait qu’un parti politique puisse comprendre qu’il faut penser avec un petit nombre et se faire entendre de la masse. Il faudrait aussi que chacun de nous puisse, à son niveau, combattre l’immoralité de la société haïtienne car, comme disait Alexis de Tocqueville, «la liberté n’existe pas sans morale, ni la morale sans foi.» Or la foi, c’est la volonté de croire, sans preuve et contre les preuves, que l’homme peut faire son destin, et que la morale n’est donc pas un vain mot (3).
1Roberson Alphonse, Préval prêche la stabilité, la continuité..., 4 janvier 2010.
2Marvel Dandin, 2010 : Plaidoirie en faveur d’un haïtien régénéré, 4/1/2010.
3-Emile-Auguste Chartier, dit Alain, Les Arts et les Dieux (1958)
Par Nancy RocYon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.