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11 janvier 1771/Mort de Jean-Baptiste Boyer d'Argens

Publié le 11 janvier 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


    Le 11 janvier 1771 meurt au château de La Garde, près de Toulon, Jean-Baptiste de Boyer, marquis d 'Argens.

    Né le 27 juin 1703 à Aix-en-Provence ― où son père Pierre-Jean de Boyer d'Argens, seigneur d'Éguilles, occupe la charge de procureur général au parlement ―, Jean-Baptiste de Boyer s'établit à La Haye en 1735. Il y publie ses Mémoires puis l'année suivante, en 1736, ses Lettres juives. Le succès littéraire de ces lettres ― dialogue entre un jésuite et le cynique Diogène ― encourage le marquis à poursuivre son entreprise littéraire. Ces premières lettres sont aussitôt suivies des Lettres cabalistes (1737) et des Lettres chinoises (1739). Ces impressions de voyage à la manière des Lettres Persanes abordent les questions relatives à l'histoire, la littérature et la religion.
    Disciple de Montaigne, de Le Vayer, de Gassendi, de Descartes et de Bayle, cet érudit qui s'inscrit dans la lignée des philosophes libertins est aussi l'auteur d'essais philosophiques et de romans. Dont le plus célèbre porte le titre de Thérèse philosophe (1748). De cette œuvre érotique, un moment attribuée à d'Arles de Montigny ou encore à Diderot, le marquis de Sade, dans son Histoire de Juliette, écrit que Boyer d'Argens est « le seul qui ait montré le but, sans l'atteindre tout à fait ; l'unique qui ait agréablement lié la luxure à l'impiété, et qui [...] donnera enfin l'idée d'un livre immoral ». EXTRAIT

Utilité des bidets

    Les Parisiennes sont vives et caressantes. Dès le lendemain matin, mon obligeante voisine vint me proposer de me friser, de me servir de femme de chambre, de faire ma toilette ; mais le deuil de ma mère m'empêcha d'accepter ses offres, et je restai dans mon petit bonnet de nuit. La curieuse Bois-Laurier me fit mille polissonneries, et parcourut tous mes charmes des yeux et de la main, en me donnant une chemise qu'elle voulut me passer elle-même :
    ― Mais, coquine ! me dit-elle par réflexion, je crois que tu prends ta chemise sans avoir fait la toilette à ton minon ! Où est donc ton bidet ?
    ― Je ne sais en vérité, lui répondis-je, ce que vous voulez me dire, avec votre bidet.
    ― Comment, dit-elle, point de bidet ? Garde-toi bien de te vanter jamais d'avoir manqué d'un meuble qui est aussi nécessaire à une fille du bon air que sa propre chemise. Pour aujourd'hui, je veux bien te prêter le mien, mais demain, sans plus tarder, songe à l'emplette d'un bidet.
    Celui de la Bois-Laurier fut donc apporté. Elle me campa dessus, et malgré tout ce que je pus dire et faire, cette femme officieuse, tout en riant comme une folle, lava elle-même abondamment ce qu'elle nommait mon minon. L'eau de lavande ne lui fut pas épargnée. Que je soupçonnais peu la fête qui lui était préparée et le motif de cet exact lavabo !

Thérèse est conduite par la Bois-Laurier
dans une petite maison où elle échappe
d’être violée par un financier


    Vers le midi, un honnête fiacre nous conduisit à la petite maison de Monsieur B***, où il nous attendait avec Monsieur R***, son confrère et son ami. Celui-ci était un homme de trente-huit à quarante ans, d'une figure assez passable, richement habillé, affectant de montrer tour à tour ses bagues, ses tabatières, ses étuis, jouant l'homme d'importance. Il daigna néanmoins s'approcher de moi, et me prenant par les mains, en me considérant attentivement face à face:
    ― Elle est parbleu jolie ! s'écria-t-il, d'honneur elle est charmante et je veux en faire ma petite femme.
    ― Oh ! Monsieur, vous me faites bien de l'honneur, répliquai-je, et si...
    ― Non, non, reprit-il, ne vous embarrassez de rien, j'arrangerai tout cela de façon que vous serez contente.
     On annonça qu'on était servi, on se mit à table. La Bois-Laurier, qui connaissait le jargon, les propos usités dans ces sortes de repas, y fut charmante. Elle eut beau m'agacer, j'étais totalement déplacée, je ne disais mot, ou si je parlais, c'était dans des termes qui parurent si maussades aux deux financiers que la première vivacité de R*** se perdit. Il me regardait avec des grands yeux qui annonçaient l'idée qu'il concevait de mon esprit. On ne paraît ordinairement en avoir qu'avec les personnes qui pensent et qui agissent comme nous. Cependant, quelques verres de vin de Champagne réparèrent bientôt, dans l'imagination de R***, les torts que la stérilité de ma conversation y avait faits. Il devint plus pressant, et moi plus docile. Son air d'aisance m'en imposa : ses mains larronnesses voltigeaient un peu partout, et la crainte de manquer à des égards que je croyais d'usage m'empêchait d'oser lui en imposer sérieusement. Je me croyais d'autant plus autorisée à laisser aller les choses leur train, que je voyais sur un sofa, à l'autre bout de la salle, Monsieur B*** parcourant encore un peu plus cavalièrement les appas de madame sa nièce. Enfin, je me défendis si mal des petites entreprises de R***, qu'il ne douta pas de réussir, s'il en tentait de plus sérieuses. Il me proposa de passer sur un lit de repos qui faisait face au sofa.
    ― Je le veux bien, Monsieur, lui dis-je bonnement ; je pense que nous serons mieux, et je crains que vous ne vous fatiguiez trop dans la situation où vous êtes là, à mes genoux (il venait en effet de s'y mettre).
    Aussitôt il se lève et me porte sur le petit lit. […]

Boyer d'Argens, Thérèse Philosophe, Première partie, in Romans libertins du XVIIIe siècle, Éditions Robert Laffont, 1993, pp. 626-627-628.


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