Paraît-il, certaines personnes se souviennent d’évènements qu’ils ont vécus quand ils avaient moins de deux ans. Ahumpf. En remontance de cet âge-là, que l’on puisse conserver des réminiscences de couleurs, sons, odeurs, ce genre d’émotions, pourquoi pas... mais des souvenirs précis de faits précis, vu l’état du langage d’un humain de deux ans, j’ai du mal à le croire —m’enfin bon, je ne suis pas pédopsycho.
Plus généralement au sujet de la prime-enfance, une question me trotte de-ci de-là quand j’ai le loisir de pouvoir réfléchir à des interrogations désincarnés: à partir de quand on devient en gros ce qu’on est? Vaste débat, comme dit l’aut’. Mais c’est pas le sujet —enfin, un peu quand même.
# o9 — LAISSE BÉTON...
Mon premier souvenir précis j’avais plus de trois ans, un hiver, à Reims, la première fois que j’ai vu la neige tomber. Je me rappelle limpide que ça m’avait flanqué une trouille tripale cette première neige, un traumatimse comme qui dirait originel qui a sûrement joué un rôle dans la constitution de ma structure mentale de coquille Saint-Jacques débonnaire, probable pour ça que je m’en souviens encore si bien de cette neige, une des dernières images précises qui me restera en magasin avant la tombée de rideau si je suis un jour bouffé par une dégénérescence cérébrale. Ce qu’elle m’avait inspiré cette neige... de voir ces drôles de trucs venus du ciel ça m’a occasionné une impression sans doute un peu comparable à ce que je ressentirais aujourd’hui si d’un coup il se mettait à tomber des gouttes de plomb en fusion —certains allumés mystiques ont inventé des religions pour moins que ça. Mais avant la neige de mes trois ans, aucun souvenir net. La présente histoire s’étant déroulée quand j’avais moins de deux ans, c’est ma mère qui me l’a racontée.
Quand j’ai commencé à marcher, comme beaucoup de mômes il paraît que je me barrais tout le temps, genre ‘anguille’. Dans l’appartement ce n’était pas trop gênant, mais dans la rue, une véritable angoisse de tous les instants pour la malheureuse qui a dû assumer de m’avoir donné la vie... grosse hantise pour elle toujours à rattraper son angelot par le haut du pantalon —faut croire que j’avais envie de voir le monde. Même qu’un coup, au marché, il y avait donc plein de gens qui circulaient autour de nous, sans doute que le temps de choisir ses tomates elle a arrêté quelques secondes de me surveiller, et hop! évaporé le p’tit. Elle a commencé à me chercher partout, demander aux gens, et rien... zéro moucheron potelé. Elle a cherché longtemps, mais toujours rien. Et à la fin, complètement épuisée, elle s’est résignée à retourner en solo à l’appart’ dans un état psychique qu’on imagine hélàs trop bien —pardon m’man, si j’aurais su j’aurais pas fait. Et elle m’a trouvé assis sur la marche d’entrée de l’immeuble. Je l’attendais. Elle dit qu’elle ne m’a même pas engueulé tellement elle était soulagée. On n’a jamais su comment à moins de deux ans, j’ai fait pour rentrer tout seul à la maison dans les rues de Reims.
C’est suite à ça je crois que mes parents ont décidé d’acheter un harnais avec une laisse. C’était pourtant pas des fachistes, mes vieux quand ils étaient jeunes, c’en est d’ailleurs pas devenu depuis sauf dans ma tête quand j’avais 14 ans, mais faut croire qu’ils étaient à bout de nerfs, surtout la daronne les jours de marché.
Aujourd’hui on sait que ce n’était pas un bon investissement, le harnais et la laisse... la honte de sa vie pour ma pauv’môman qui a eu bien du mérite dans l’existence. Parce que le coup d’après quand on est allé dans la rue, nanti de mon nouvel accoutrement (je vous demande de visualiser la situation, une jeune femme de 24 ans qui marche sur un trottoir avec juste devant elle un petit agité qui tire sur la ficelle), au beau milieu des gens je me suis mis à marcher à quatre pattes et à aboyer.
***Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu