Magazine Journal intime

Le manque et la fin

Publié le 10 janvier 2010 par Thywanek
Les éléments avaient-ils disparu ? Lesquels ? De quelle sorte de contrainte pouvait-il croire que l’envers et l’absence, d’où il s’interrogeait, se démunissaient. Avec quel objectif. Si on pouvait soupçonner une quelconque détermination.
Il y a eu cette journée. Aucune fumée. Ciel de verre. Dans du verre. Quatre doses d’amertume fleurie. Une fin de boite de friandises. Une rigolade. Et, je crois, trois mandarines. Mais il n’y a pas moyen d’en être sûr. Ce qu’il y a de bien, c’est que le lendemain ça pourra être pire. Et le surlendemain, pire encore. Et le quatrième jour. Le cinquième. Le sixième. En les comptant parce qu’il n’y a pas de rampe et que ça peut la remplacer. Puis en cessant de les compter parce qu’on s’aperçoit petit à petit qu’on se trompe. Qu’on n’y est plus. Qu’on s’est emmêlé les dates. Qu’on a plus besoin de rampe.
C’est une histoire absurde : il s’en va, s’en va. Doit revenir là pour se procurer de quoi subsister, mais s’en va quand même chaque fois plus loin, et met de plus en plus de temps à revenir cependant qu’il y a de moins en moins pour subsister, jusqu’au moment où cela va prendre des jours et des nuits pour revenir et qu’il n’y aura pratiquement plus rien, qu’il le prendra, tout ce qui reste, et repartira, repartira, et ne reviendra plus. Plus jamais.
C’est peut-être de cette façon qu’il va commencer à parler de là-bas. De là où il va.
Peut-être de cette manière aussi qu’il va commencer à sentir dans le plein de son corps une penne de souffle.
C’est une ronde très particulière. Avec du dénuement. Du délestage dirait-il aussi. Une allée et venue qui dure depuis des siècles. Et à force, celle sableuse et pénible d’une corrosion, des loquets tombent en poussière et il faut alors cesser de se demander pourquoi on ne les levait pas, on ne les poussait pas, on ne les faisait pas sauter avec un de ces accès de colère dont il se démettait les épaules en tendant les bras pour tenir les murs encore assez écartés.
Je crois trois mandarines et sans doute d’autres détails à peu près aussi insignifiants parce ce sont les seules traces dont il puisse avoir noté l’existence sans que cela sorte d’un ordinaire dont l’anonymat devient précieux. Le reste, les interrogations, qui ont l’air subalternes bien qu’il les sache déterminantes devront se contenter du vent, des brumes, de la face cachée des heures jusqu’à, peut-être, ce qu’il n’y ait plus qu’elles et qu’il n’y ait plus qu’à rire.
Pour le moment la faim n’est pas encore sèche. Cela sent l’humus et il fait une tiédeur collante.
Ainsi que ça lui est souvent arrivé il ignore s’il est parti dans la bonne direction. Il ne souffre pas de plus qu’un malaise qui floue sa vue de blancheurs fugaces. Habituellement, n’ayant rien retenu des indications glanées, se fiant à une impression d’avoir compris en n’omettant pas le revers de cette impression, il s’en remet à un guide intérieur qui incline s’il doit advenir ceci ou cela, ou au contraire s’il ne doit rien advenir. Puis au fur et à mesure qu’il atteint les premières étapes il regarde autour de lui ce qui peut lui sembler familier et lui confirmer qu’il a emprunté la bonne voie. Suivi les bonnes instructions.
Cette fois c’est beaucoup plus compliqué à déduire. Il y en a bien d’autres que lui qui sont là. Sur les bords. Assis en petits groupes ou isolés. Debout et scrutant méticuleusement chaque point cardinal. Femmes. Hommes. Jeunes, très jeunes, moins jeunes. Il y a des conversations lentes, pleines de circonspection. A peine audibles. Des objets de voyages qui dénotent. Le seul signe qui l’a rassuré c’est qu’il a comparé ces sacs indécis à des caries dentaires. Ca n’a pas été plus loin mais il n’est pas dupe. Il y a des cœurs qui flottent dans des eaux accablées. Des regards qui s’émiettent. S’il ne s’est pas trompé. Des âges s’indifférent. Il y en aurait, à bien les observer, qui ne seraient pas sûr de devoir être là. C’est l’ironie de cette situation.
Ce qui a fréquemment entravé sa progression c’était l’absence de pauvreté. Pas celle dont l’écueil possible lui épargnait la pitié. Plutôt celle à laquelle s’accrochent les abscisses tenaces aux runes fatiguées. Ou celle contre laquelle se blottissent les psaumes effigies aux cordes élimées. Celles autour de laquelle se raidissent les sucres victorieux des crises de folie. Avec leurs additifs sacrificiels.
L’absence de pauvreté. Et l’œil, sur la fin, amorphe et résigné.
Oui, il était temps de partir. Cela ne dépendait enfin plus de la qualité d’une aube. De la durée prévisible d’une journée.
Le manque s’était réduit à un état d’esprit d’alcool. Il avait décidé d’en goûter la volute dégoupillée.
Il avait pris connaissance de son sujet. Et c’était bien semblable à imaginer une rivière descendant à travers le Sahara. Et plus. Il n’était pas question d’en parler en le voyant venir. Pour le faire venir. Avec des ors et des baumes. Des louanges et des déplorations. Des fards et des stylets pour retracer un héroïsme, une faiblesse, un genoux jusqu’à l’os, un profil adoré. Il allait en parler après. Sans lui. Sujet disparu. Archéologique. Sans sa peau. Intacte ou déchirée. Uniquement comme émancipé. Liberté si chèrement acheté qu’une fois tout dépensé on n’en garde que le plus élémentaire vêtement pour finir. Il allait en parler d’après. Des digues de zinc où des petits bateaux de pêcheurs rougeoient en se dandinant, un peu gênés, et un peu fiers aussi. Des petits rangements de cuir cossu où jaunissent des épitaphes pour des sépultures aux concessions renouvelables par tacites reconductions. Des hanches harmoniques qui traînent sur des plages sans cesse réinventées les dignes lamentations des peuples exilés.
Oui, c’est bien cela : parler de là-bas.
N’en ayant plus. A part les impudeurs. Le sourire qu’il a su adroitement se coudre pour ne pas se moquer et ne rien aggraver. Pour voir la paix, plaine insouciante, sur laquelle se battent encore, de loin, de plus en plus loin, les animales lois qu’on déguise d’honneurs.
Et nouvelles propriétés. Chimiques et physiques. Même pas disparaître. Mais ne pas apparaître. Faire l’acquisition d’une rue juste en en arpentant la longueur. Manquer et revoir la chek-list des besoins primordiaux. Retravailler le pire. Chaloupant sous le marteau des dates adjugées. Faire fondre les intempéries organiques pour toucher au dur de la caverne et écrire dessus, au burin, avec des ricanements, cette histoire parfaitement censée, parce que, quand même, on a pas fait tout ça pour s’entendre dire par un criminel ensorcelé qu’il ne s’agirait que d’une plaisanterie pour meubler le néant. Un peu facile de tout résumer ainsi lorsqu’on a les pattes dégoulinantes de sang. Et qu’on est même plus capable d’aller derrière le sang pour raconter ce qui s’y passe. Derrière le mort. Derrière la mort. Derrière le crime. Derrière la chair. Toute chair ouverte. Toute chair. Derrière l’amour aussi. Au delà. Et se retourner, contempler et dire : « Voilà ce que je vois. » Et dire.
Récemment je l’ai vu : après avoir entamé le décompte des jours. Déjà il avait oublié la rampe. Il s’est vaguement comparé à d’autres, jeunes, très jeunes, moins jeunes. D’une part pour vérifier où il était, d’autre part pour se dissocier. On a retrouvé des épluchures de mandarines. On a retrouvé des dessins. Des écritures diront certains. On dirait des plans. Des itinéraires. Des chants, c’est possible.
Difficile de savoir s’il est vraiment parti.
Difficile de savoir si c’est justement là le signe que le manque peut rendre insaisissable.
Et la fin arriver tôt pour bien d’autres raisons et sous bien d'autres formes que celles qu’on lui connaît.

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